Mongolia

Les femmes se retirent du marché du travail : quelles en sont les raisons ?

La fermeture des écoles et le manque de services de garde d’enfants obligent les femmes mongoles à retourner au foyer.

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Women Are Quitting the Labor Force. Here’s Why.

URANCHIMEG TSOGKHUU, GPJ MONGOLIE

Tumendelger Lkhagva a démissionné de son poste de chef cuisinière pour pouvoir aider ses enfants à étudier en ligne pendant la pandémie.

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DALANZADGAD, PROVINCE D’ÖMNÖGOVI, MONGOLIE — Jusqu’à l’année dernière, Tumendelger Lkhagva était chef cuisinière dans une centrale électrique de la place, où elle était chargée de restaurer des centaines de travailleurs chaque jour. Mais lorsque la pandémie a entraîné la fermeture des écoles, la mère de quatre enfants a été contrainte de démissionner.

« Il m’était impossible de continuer à travailler », explique la femme de 35 ans, qui vit à ÖMNÖGOVI, la plus grande province de la Mongolie située à l’extrême sud, aux confins de la Chine.

Elle a néanmoins fait des efforts au début. Chaque 6 heures du matin, son réveil se déclenchait afin qu’elle puisse habiller et nourrir ses deux fils et ses deux filles avant de se rendre à son lieu de travail qui durait neuf heures. Elle les laissait ensuite étudier en ligne, sous la surveillance des membres de sa belle-famille très âgés. De retour à la maison, elle faisait le dîner, le ménage et aidait les enfants à faire leurs devoirs. Elle se couchait à 22 heures. Cependant, Tumendelger s’inquiétait du fait que ses enfants auraient besoin de plus de supervision. Elle a fini par démissionner en décembre.

La situation de la chef était compliquée en raison de la nature du travail de son mari. En sa qualité de mineur, il passait des semaines dans des camps reculés. « Quand mon mari va au travail, je suis comme une mère célibataire », affirme-t-elle.

Pour autant, même lorsque les maris sont à la maison, les femmes mongoles assument le gros des tâches ménagères. Selon un sondage réalisé en 2019 par l’Office national des statistiques, les femmes consacrent près de cinq heures par jour à des activités non rémunérées comme les tâches ménagères, tandis que les hommes y consacrent moins de deux heures.

La pandémie de coronavirus a davantage contribué à cantonner les femmes au foyer. En février, l’Office des statistiques a indiqué que les femmes quittaient leur emploi pour un travail informel ou non rémunéré, comme la garde des enfants, en raison du confinement et de l’éducation à distance.

Cette situation a accru l’écart entre les hommes et les femmes en matière de travail, soit la différence entre le nombre d’hommes et de femmes qui ont un emploi. Selon l’office des statistiques, l’écart s’élevait à 15 % au deuxième trimestre de 2021, soit 60 % de la population active pour les hommes contre 45 % pour les femmes, ce qui correspond à une augmentation de près de 3 % depuis le deuxième trimestre de 2019.

La Mongolie reflète une réalité mondiale. La pandémie a mis à rude épreuve les mères salariées du monde entier. Le dernier rapport du Forum économique mondial sur les inégalités entre les sexes révèle que les femmes ont été confrontées à des taux de chômage plus élevés que les hommes à cause du coronavirus, et que le cumul des tâches professionnelles et domestiques s’est « intensifié » chez les mères de famille. Selon des données fournies en novembre dernier par l’ONU Femmes, une entité des Nations unies qui promeut l’équité entre les sexes, la pandémie pourrait annuler 25 ans de progrès en matière d’égalité des sexes.

En Mongolie, les chercheurs craignent que les normes sociales en vigueur ne rendent encore plus difficile la tâche qui incombe au pays d’inverser les conséquences néfastes du coronavirus.

« Au cours de cette pandémie, les femmes ont porté un fardeau supplémentaire sur leur dos. Elles n’ont aucun autre choix », explique Gantuya Ariunsan, maître de conférences en relations internationales à l’université des sciences humaines d’Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie.

Elle évoque « les stéréotypes sexistes, les inégalités salariales, les mesures de garde d’enfants et le fait que les femmes consacrent plus de temps aux tâches ménagères non rémunérées », qui fragilisent davantage les femmes que les hommes en situation de pandémie. Selon Gantuya, la Mongolie a besoin « d’une meilleure compréhension des droits de la femme et d’un soutien politique ciblé ».

L’absence de services de garde d’enfants adéquats est une faille notoire. En 2015, le pays a adopté sa première loi sur les services de garde d’enfants pour répondre aux besoins des parents exerçant une activité professionnelle, introduisant pour la première fois des centres de garde d’enfants officiellement reconnus. Plus de 550 centres avaient alors été créés sur l’ensemble du territoire, raconte Enkhzul Milkhaa, membre du conseil d’administration de l’Association des prestataires de services de garde d’enfants, une organisation non gouvernementale. Ce fut un bon début, car il y avait peu de centres de garde d’enfants disponibles avant la législation, bien que le nombre ne fût pas à la hauteur de la demande nationale. Hélas, six ans plus tard, près de 60 % d’entre elles ont dû mettre la clé sous la porte à cause du coronavirus, explique Enkhzul.

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URANCHIMEG TSOGKHUU, GPJ MONGOLIE

Les éleveuses comme Ochmandakh Sumiya ne disposent que très peu de possibilités de garde préscolaire ou de garde d’enfants. En outre, plusieurs doivent voyager avec leurs enfants.

Parallèlement, une pénurie d’établissements préscolaires accroît la nécessité de garde d’enfants. Selon un rapport du gouvernement de 2017, seuls 68 % des enfants âgés de 3 à 5 ans étaient en mesure d’accéder à des services préscolaires.

Une loi sur le travail adoptée en juillet n’a pas réussi à allouer des ressources supplémentaires aux écoles maternelles et aux centres de garde d’enfants. Cependant, en avril dernier, la pandémie a incité le gouvernement à augmenter les prestations quasi universelles pour la garde d’enfants, lesquelles sont passées de 20 000 togrogs mongols (7 dollars) à 100 000 togrogs (35 dollars) par enfant le mois.

« Le gouvernement mongol a adopté des politiques et des décisions visant à promouvoir la participation des femmes sur le marché du travail », déclare Minjin Tserenbaltav, responsable du service d’information et de recherche du Comité national de lutte pour l’égalité des sexes, soulignant la récente augmentation des allocations familiales et les mesures prises pour multiplier les établissements préscolaires. Toutefois, elle admet que « ce n’est pas encore suffisant ». Minjin avance que la solution est le travail à distance, évoquant ainsi une nouvelle campagne « e-nation » qui « permettra aux mères de travailler en ligne tout en s’occupant de leurs enfants à la maison ».

Le problème est encore plus criard dans les régions reculées, où vivent la plupart des quelque 3,3 millions de Mongols. Sur les 228 centres de garde d’enfants actuellement opérationnels, moins de la moitié sont répartis dans les zones rurales.

Pour les éleveuses comme Ochmandakh Sumiya, l’enseignement préscolaire constituait déjà un défi avant la pandémie, et les centres de garde d’enfants étaient inexistants. Son mari est également mineur. Pendant l’été, lorsqu’elle doit se déplacer pour faire paître son bétail, elle n’a d’autre alternative que d’emmener ses trois enfants.

« J’aurais aimé envoyer mon plus jeune fils à l’école maternelle s’il existait des écoles pour nomades qui soient plus accessibles en campagne », dit la jeune femme de 34 ans, en faisant référence aux services mobiles qui répondent aux besoins des familles d’éleveuses dans d’autres régions de la Mongolie. Mais aucun n’est disponible dans les plaines reculées d’Ömnögovi.

Pour assurer l’éducation de ses enfants, Ochmandakh passe la majeure partie de l’année dans un camp urbain du district de Bayandalai, où ses trois enfants allaient à l’école avant l’épidémie du coronavirus.
En septembre, plusieurs écoles et centres de garde d’enfants avaient rouvert dans certaines régions de la Mongolie. Mais à Ömnögovi, ils sont toujours fermés.

Tumendelger rêve de reprendre le travail lorsque ses enfants pourront retourner à l’école. « Je souhaite travailler et intégrer une équipe », dit-elle. « Pour avoir mon propre revenu et aussi soutenir mon mari ».

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