Haiti

Face aux soins de base difficiles d’accès, maintes femmes haïtiennes s’en remettent aux sages-femmes pour soins gratuits

Rares sont les femmes haïtiennes ayant accès aux cliniques médicales conventionnelles où elles peuvent bénéficier des soins gynécologiques de base, voire même accoucher. À Haïti, la plupart des accouchements sont assistés par des sages-femmes traditionnelles qui, même si des femmes à assister n’ont aucun sou, se précipitent pour voler au secours.

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Without Easy Access to Basic Health Care, Many Haitians Rely on Unpaid Midwives

Anne Myriam Bolivar, GPJ Haïti

Félicia Morose, sage-femme traditionnelle de 74 ans, assiste une femme pendant l’accouchement à Gonaives, à Haïti.

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GONAÏVES, HAÏTI — Face à l’insuffisance d’accès des femmes aux soins prénatals dans les communautés à Haïti, il est souvent fait recours aux soins primaires des sages-femmes traditionnelles.

Félicia Morose, 74 ans, figure parmi les sages-femmes respectées dans cette ville au cœur du pays. Elle a appris son métier auprès de sa grand-mère et, selon ses propres dires, elle a assisté plus de 400 femmes dans son métier qu’elle exerce depuis 38 ans. Et nul habitant ne conteste cette réalité.

« Aider une femme à mettre son enfant au monde est la plus belle chose qui puisse exister sur cette terre », lâche-t-elle.

Souvent, des femmes en milieu rural ne peuvent se permettre le luxe de planifier l’accouchement, et encore moins de s’y préparer. Les douleurs de l’enfantement peuvent frapper à l’improviste même lorsque les femmes vaquent à leurs occupations quotidiennes, les obligeant ainsi à avoir recours à une sage-femme, révèle Morose.

« Il nous faut aider les mères à se préparer à l’accouchement, à surveiller les principaux signes annonciateurs de l’accouchement et à gérer les douleurs de l’enfantement, ce qui permet de suivre le progrès du travail de l’accouchement », précise-t-elle. « Et pour couronner le tout, on prie pour que le Tout-Puissant assiste l’accouchement ».

Depuis plusieurs années, Haïti dépend largement de l’aide internationale, y compris de grosses sommes d’argent du gouvernement américain. Cette aide s’est accrue de manière substantielle – du moins sur papier – après un séisme de 2010 qui a dévasté de grandes parties du pays. La même année, le gouvernement américain a accordé à Haïti 35,4 millions de dollars en faveur des programmes de santé maternelle et infantile. Selon les données recueillies par la Kaiser Family Foundation, entre 2011 et 2015, quatorze millions de dollars étaient alloués chaque année à ces programmes, ce qui fait qu’Haïti se situait dans le quartile supérieur des pays bénéficiaires en ce qui concerne le financement.

Aider une femme à mettre son enfant au monde est la plus belle chose qui puisse exister sur cette terre

Depuis janvier 2017, le gouvernement américain ne peut financer les organisations œuvrant en faveur des services d’avortement ou proposant aux femmes des informations sur l’avortement – une restriction connue sous le nom de règle du bâillon mondial (Global Gag Rule, en anglais). Le financement du gouvernement américain en faveur des services directs d’avortement au pays ou à l’étranger a, à quelques exceptions près, été en grande partie interdit depuis des décennies.

De l’avis des défenseurs de la santé maternelle, la règle du bâillon mondial applicable à des milliards de dollars d’aide américaine constitue une sérieuse menace pour la vie des femmes et des bébés, car il n’est pas rare que les organisations qui offrent des conseils sur l’avortement proposent des services visant à sauver des vies tels que les tests de dépistage du cancer du col de l’utérus. Haïti en particulier a été au cœur des préoccupations des détracteurs de la règle du bâillon mondial, ne fût-ce qu’à cause de son sombre record en matière de décès maternels: le taux de mortalité maternelle est allé de 359 femmes pour 100 000 naissances vivantes en 2015, selon les données de la Banque mondiale – soit un pourcentage beaucoup plus élevé que la moyenne mondiale de 216 décès.

Mais à Haïti, la plupart des femmes comme Morose comptent sur des sages-femmes traditionnellement formées qui travaillent à l’insu des cliniques ou des hôpitaux conventionnels.

« Le savoir-faire et l’accompagnement des sages-femmes jouent un rôle clé dans la promotion de la santé reproductive à Haïti », déclare Florina Jacques, 34 ans, qui a été assistée par Morose pour l’accouchement de chacun de ses trois enfants.

Mais seules les femmes fortunées peuvent se permettre de payer les sages-femmes, dit Jacques.

Ainsi, Morose et d’autres sages-femmes ont peu d’outils nécessaires à l’accouchement.

« Notre main est la seule arme dont nous disposons pour sauver la vie des mères », dit Morose.

Le travail de Morose permet de combler un vide qui ne peut être comblé par les sages-femmes formées à l’école. Haïti compte 250 sages-femmes officiellement formées, mais a besoin d’au moins 1 500 sages-femmes pour réduire sensiblement les taux de mortalité maternelle, selon le ministère haïtien de la Santé publique.

L’hôpital Sainte-Thérèse de Hinche, le seul hôpital de référence desservant la région, ne dispose que de cinq gynécologues, a déclaré Jean Mariot Cleophat, directeur de pays adjoint de Midwives for Haiti, une organisation à but non lucratif basée aux États-Unis œuvrant à la formation des sages-femmes dans les zones rurales d’Haïti.

« Les femmes n’ont guère d’autre choix que de se tourner vers les accoucheuses traditionnelles », déplore Cleophat, ajoutant que les écoles de sage-femme font cruellement défaut.

Carine Joseph, 27 ans, est une sage-femme qui a été formée par Midwives for Haiti. Aujourd’hui, elle travaille auCentre de Santé Primaire de Darbonne géré par une organisation non gouvernementale et offrant des services gratuits.

« Maintes femmes haïtiennes choisissent l’accouchement à domicile », dit Joseph. « Il est impératif d’augmenter le nombre de sages-femmes formées par des institutions qualifiées et de les doter des compétences leur permettant de faire face aux complications du travail et de l’accouchement. Vu notre métier de sage-femme ayant pour mission de sauver des vies, nous devons être prêtes à tout moment et étendre nos services aux femmes enceintes nécessitant des soins ».

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.