Haiti

Vendeurs ambulants: leur solution de rechange aux pharmacies pousse davantage d’Haïtiens à l’automédication

À Haïti, face aux difficultés économiques et à l’intégration sur le marché du travail devenue un vrai casse-tête, la vente illégale de médicaments soumis à prescription médicale s’avère un choix séduisant, d’autant que les vendeurs ambulants font leur business en toute impunité. Pourtant, les prix plus abordables et les offres d’achat plus flexibles chez les vendeurs ambulants ne sont pas sans conséquences car les consommateurs renoncent de plus en plus aux pharmacies et au traitement médical formel.

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More Haitians Self-Medicating as Street Vendors Provide Alternative to Pharmacies

Anne Myriam Bolivar, GPJ Haiti

Etienne Anel has been selling prescription medication on the streets of Port-Au-Prince, Haiti’s capital city, for more than 20 years, knowing it’s illegal.

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — Etienne Anel, 49 ans, vend des médicaments soumis à prescription médicale dans les rues de la capitale d’Haïti.

De l’argent en main, des clients sans ordonnance viennent le voir tout au long de la journée à la recherche d’analgésiques, d’anti-inflammatoires et d’innombrables autres produits.

Voilà déjà 21 ans qu’il vend des médicaments dans la rue, sachant que cela est illégal.

Veuf et père de trois enfants, il déplore que l’emploi soit impossible à trouver.

Selon ses dires, il a tenté, en vain, à cinq reprises de quitter le pays. Ainsi, un cousin à lui est venu lui révéler ce nouveau créneau pour faire du fric.

Dans les rues, il gagne de l’argent chaque jour, bien qu’il se fasse entre 100 et 500 gourdes haïtiens dans un bon jour.

« Trouver un emploi était beaucoup plus difficile pour certains d’entre nous », confie-t-il. « Et je n’avais d’autre choix que de créer pour subvenir aux besoins de ma famille ».

À l’en croire, son travail est quelque chose de facile et il lui a fallu peu pour se lancer dans son business de vendeur ambulant.

« Je ne pense pas qu’il faille être doté de compétences particulières pour vendre des médicaments. Tout ce qu’il faut, c’est d’avoir quelqu’un autour de vous pour vous conseiller et vous guider, puis d’investir le peu que vous avez – et vous ne serez pas déçu », confie Anel.

Le commerce informel de médicaments soumis à prescription médicale qui a envahi les rues est chose ordinaire ici. Selon beaucoup d’Haïtiens, ils font recours à l’automédication plutôt qu’à un traitement formel car, disent-ils, les hôpitaux publics sont souvent fermés en raison de grèves, les services de santé publics sont irréguliers et les factures dans les cliniques trop élevées.

Il y a quelques jours à peine, l’un des vendeurs a rencontré une amie à moi atteinte d’obésité centrale et lui a offert certains médicaments qui, d’habitude, sont administrés à des femmes ménopausées et post-ménopausées, en lui faisant croire que ces médicaments allaient agir favorablement sur son obésité. Nous pouvons dire sans nous tromper que nombreuses sont les personnes ayant pris de mauvais médicaments ou de mauvaises doses de médicaments.

Mais à Port-au-Prince, les gens ne se donnent pas la peine d’aller loin pour se procurer des médicaments soumis à prescription médicale. Dans chaque coin de la capitale, des vendeurs ambulants sillonnent les rues vendant des comprimés illégalement.

La loi haïtienne interdit la vente de médicaments par une personne autre qu’un pharmacien qualifié, mais les vendeurs ambulants affirment faire leur business sans crainte d’être punis et peuvent gagner des sommes aussi modestes que faramineuses chaque jour.

Toutefois, selon le Ministère de la Santé Publique et de la Population, seules les personnes âgées de plus de 18 ans et détentrices d’un diplôme en pharmacie décerné par l’État haïtien après avoir terminé une formation prévue et subi des examens sont autorisées à vendre des médicaments.

Et pourtant, les habitants affirment préférer acheter des médicaments dans la rue.

« Je préfère acheter des médicaments dans la rue parce que les prix de la pharmacie sont fixes. Dans la rue, on peut tout négocier », explique Guerline Jean, qui achète fréquemment des médicaments dans les rues pour lui-même et pour sa famille.

Selon elle, les vendeurs ambulants proposent également des offres plus flexibles.

« Chez des vendeurs ambulants, on peut acheter des médicaments que la pharmacie ne vend que par boîte. Mais dans la rue, ces mêmes médicaments sont vendus à l’unité », confie-t-il.

Ainsi par exemple, le médicament antifongique Fluconazole soumis à prescription médicale, également connu sous le nom de Diflucan, se vend à 450 gourdes haïtien dans une pharmacie locale, mais Jean dit qu’il a acheté ce même médicament à 200 gourdes dans la rue. Il ajoute qu’il a également acheté un seul comprimé en payant 20 gourdes, ce qui n’est pas possible dans une pharmacie. De même, l’oméprazole, surtout connu sous le nom de la marque Prilosec, médicament soumis à prescription médicale utilisé pour traiter les brûlures d’estomac et les ulcères d’estomac, se vend à 15 gourdes par comprimé dans une pharmacie mais dans la rue on rafle trois comprimés avec 10 gourdes.

Monique Guerrier, 44 ans, est pharmacienne praticienne depuis 12 ans. Elle dit que les gens préfèrent des médicaments de rue pour un certain nombre de raisons, ce qui a provoqué le foisonnement de ce qu’elle appelle « pharmaciens errants ».

« Au fond, c’est une question d’éducation. Certains décident de tout laisser pour se rendre en toute hâte à l’hôpital dès qu’ils présentent le moindre symptôme, tandis que d’autres préfèrent chercher leur propre solution – recourant ainsi aux vendeurs illégaux de médicaments », note-t-elle. « Depuis plusieurs années, on assiste à l’augmentation constante du nombre de pharmaciens errants, ce qui alimente des préoccupations quant aux risques pour la santé des Haïtiens ».

Guerrier exprime ses inquiétudes quant à l’endroit où les patients se procurent des médicaments, à la possible péremption de ces derniers et au risque pour les clients de se voir offrir des médicaments ne convenant pas pour le traitement de leurs maladies.

Selon Anel, il ne peut révéler son fournisseur, se disant inquiet pour sa propre sécurité. Mais il affirme donner aux gens des médicaments dont ils ont besoin. Plusieurs de ses clients se sont refusés à tout commentaire.

« Nous sommes-nous jamais posé la question de savoir d’où proviennent ces médicaments » ? demande Guerrier. « Beaucoup sont amenés à croire en la cherté de tout ce qui se vend dans la pharmacie tout en ignorant, peut-être, les risques et les dangers potentiels de l’automédication ».

Johny Descollines, 32 ans, est spécialiste en infectiologie et exerce la médecine générale depuis les cinq dernières années. Il est président du Groupe Santé Pam, une organisation œuvrant en faveur de de l’accès de tous les Haïtiens aux soins de santé, sans égard à leur statut socioéconomique. Il assure comprendre ce qui pousse les gens à chercher des médicaments dans les rues.

« Les gens trouvent beaucoup plus facile d’acheter des médicaments dans la rue que de se rendre dans un centre de santé où un médecin les fait passer un examen médical. Ce n’est là qu’un choix auquel les gens se résolvent, faute de mieux, et comme la plupart d’entre eux vous le diront, ce choix se fait à cause des moyens financiers très limités et de l’ignorance », explique Descollines, ajoutant que des médicaments pouvant coûter plus de 70 gourdes dans une pharmacie peuvent coûter aussi peu que 25 gourdes dans la rue.

« Souvent, le même type de médicament peut être administré à différents patients, qu’ils aient ou non des problèmes médicaux identiques ou similaires. Parfois, les personnes se plaignant de maux de tête peuvent se procurer le même type de médicament. Et pourtant, les facteurs déclencheurs de maux de tête foisonnent, chacun nécessitant un traitement différent », explique Descollines. « Chez les Haïtiens, l’automédication est devenue une réponse automatique généralisée à tout problème médical ».

Pour lui, le plus gros problème est que, souvent, les vendeurs ambulants font de leur mieux pour convaincre leurs clients de l’efficacité de leurs médicaments.

Le commerce informel de médicaments soumis à prescription médicale qui a envahi les rues est chose ordinaire ici. Selon beaucoup d’Haïtiens, ils font recours à l’automédication plutôt qu’à un traitement formel car, disent-ils, les hôpitaux publics sont souvent fermés en raison de grèves, les services de santé publics sont irréguliers et les factures dans les cliniques trop élevées.

« Il y a quelques jours à peine, l’un des vendeurs a rencontré une amie à moi atteinte d’obésité centrale et lui a offert certains médicaments qui, d’habitude, sont administrés à des femmes ménopausées et post-ménopausées, en lui faisant croire que ces médicaments allaient agir favorablement sur son obésité », dit Descollines. « Nous pouvons dire sans nous tromper que nombreuses sont les personnes ayant pris de mauvais médicaments ou de mauvaises doses de médicaments ».

Il s’inquiète également du stockage des médicaments hors des plages de températures spécifiées.

« La vente de médicaments à la sauvette reste certainement préoccupant en raison d’une mauvaise manipulation, d’autant plus que ces médicaments sont constamment exposés à un soleil de plomb et restent non réglementés. Et comme si cela ne suffisait pas, les dates de péremption sont ignorées. Personne ne se soucie du fait que ces médicaments achetés dans la rue présentent un danger grave pour la santé des consommateurs », ajoute Descollines.

Dans les zones rurales, dit-il, le problème est le même puisque les services de santé d’Haïti sont concentrés dans les villes et les gens doivent souvent parcourir de longues distances à la recherche des services de santé.

« Les Haïtiens n’ont pas accès à l’éducation à la santé et il est quelque peu aberrant de constater que la situation s’aggrave chaque jour avec des vendeurs illégaux qui ont déjà envahi le secteur qui, au contraire, devrait rester la chasse gardée des professionnels qualifiés ayant besoin d’exercer leur métier en toute quiétude », dit Descollines.

Wilnor Dominique, un sociologue de 32 ans, affirme que l’automédication et d’autres problèmes de santé restent le cadet des soucis des politiques. Il espère que les autorités et les politiques pourront commencer à accorder plus d’attention aux besoins en matière de santé et d’emploi de leurs électeurs.

« Ce phénomène navrant est devenu endémique dans le secteur informel et prend de l’ampleur. Si rien n’est fait pour l’endiguer, le gouvernement sera obligé de le reconnaître comme un aspect, une norme et un principe légalement acceptés », prévient-il.

Pour Etienne, il n’a pas l’espoir de trouver un emploi dans le secteur formel et est satisfait des revenus qu’il tire de son travail de « pharmacien errant ».

« Nous sommes économiquement stables et avons notre propre maison », dit Etienne. « En outre, nous avons les moyens d’envoyer nos enfants à l’école ».

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.