Rwanda

Nouvel impôt sur le revenu au Rwanda : un casse-tête financier pour nombre d’agents de mobile money

Plus de 7 millions de Rwandais effectuent leurs opérations bancaires via leurs téléphones portables, mais bon nombre d’agents qui facilitent ces opérations n’ont jamais déclaré leurs revenus à l’administration fiscale du pays. Aujourd’hui, les autorités fiscales ont commencé à faire appliquer une retenue à la source de l’impôt de 15 pourcent sur les revenus que ces agents gagnent auprès de cet opérateur de télécoms, entraînant ainsi certains d’entre eux dans la débâcle financière.

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New Income Tax in Rwanda Causing Major Financial Strain for Many Mobile Money Agents

Janviere Uwimana, GPJ Rwanda

Jean Habaguhirwa, agent de mobile money de MTN Rwanda, sert un client sur son stand situé dans le secteur de Gisenyi dans l’ouest du Rwanda.

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GISENYI, RWANDA — Justin Nshimiyimana tient un stand en bordure de route, et ce stand est une destination très prisée des habitants non bancarisés de Gisenyi, ville de l’ouest du Rwanda. Nshimiyimana est un agent de mobile money, système opéré par MTN Rwanda, le plus grand opérateur de télécoms du pays.

Depuis sa prestation de services financiers par téléphone mobile y compris le transfert et le dépôt d’argent liquide il y a cinq ans, il pouvait gagner suffisamment d’argent pour payer son loyer et ses factures de services publics, déclare-t-il. Or, aujourd’hui, Nshimiyimana se retrouve à court d’argent à cause de la nouvelle loi sur l’impôt sur les sociétés mise en application par le Rwanda Revenue Authority (RRA) – l’Office rwandais des recettes – depuis avril.

Selon cette nouvelle mesure fiscale, les revenus mensuels de Nshimiyimana calculés en fonction des commissions sur chaque vente sont soumis à une retenue à la source de 15 pourcent. Cette mesure s’applique à tous les agents de mobile money qui n’ont pas déclaré leurs revenus annuels au RRA avant le 31 mars de cette année, indiquent les responsables.

Même si Nshimiyimana garde toujours ses clients réguliers, l’argent qu’il gagne aujourd’hui ne suffit plus pour lui garantir la survie, se désole-t-il.

« Nous devons gagner plus pour qu’il nous reste plus d’argent chaque mois après avoir payé l’impôt de 15 pourcent », confie-t-il.

Selon les autorités, cette loi permettra d’augmenter les recettes fiscales. Pourtant, ces agents pour qui le mobile money représente une bouée de sauvetage pour eux-mêmes et pour leurs familles affirment que cette récente mesure du gouvernement signifie, au mieux, un petit salaire, et au pire, un chômage.

Déployé depuis huit ans, le service de mobile money continue de gagner en popularité dans les rangs des Rwandais.

En 2015, la Société financière internationale (IFC) a révélé que plus de 7 millions de Rwandais abonnés aux différents réseaux de téléphonie mobile recouraient aux services de mobile money.

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Janviere Uwimana, GPJ Rwanda

Des agents de mobile money de MTN Rwanda dans le secteur de Gisenyi font l’éloge de leurs services en bordure de route.

Toutefois, des difficultés subsistent pour déterminer le nombre d’agents, car certains jettent l’éponge après un certain temps et d’autres nouveaux agents entrent souvent sur le marché, explique Teta Mpyisi, responsable des relations publiques de MTN Rwanda. Mais Mpyisi estime qu’au moins 30 000 agents sont au service de sa société.

Pour devenir agent de mobile money auprès de MTN Rwanda, il suffit de présenter une pièce d’identité nationale prouvant la nationalité rwandaise, être titulaire d’un compte de mobile money de MTN Rwanda dans lequel se trouve une certaine somme d’argent – quel qu’en soit le montant – et de prouver que l’on est capable d’utiliser un téléphone mobile.

Aujourd’hui âgé de 27 ans, Nshimiyimana note qu’aucune expérience de travail formelle n’étant requise, nombreux sont les jeunes non scolarisés, sans travail ou ayant perdu leur travail qui s’improvisent agents de mobile money au service de MTN Rwanda arborant des gilets jaune vif. Selon une enquête sur la population active réalisée par le gouvernement en 2016, le taux de chômage des Rwandais âgés de 16 à 30 ans était supérieur de 5 points de pourcentage à celui des adultes qui s’établissait à 16 pourcent.

Gashango Rwiririza, coordinateur régional du RRA dans la Province de l’Est au Rwanda, déclare que nombre d’agents ne déclarent pas leurs revenus à l‘administration fiscale. Ainsi, Nshimiyimana n’avait jamais payé l’impôt avant cette nouvelle loi.

Lorsqu’il s’est fait enregistrer pour la première fois auprès de MTN Rwanda en tant qu’agent de mobile money, il a reçu un numéro d’identification fiscale sans toutefois savoir qu’il devait déclarer ses revenus au RRA, explique Nshimiyimana. Il pensait que cela incombait à MTN Rwanda et que l’impôt devait peser sur la société et non sur les agents.

Lambert Shingiro, superviseur du centre de services de MTN Rwanda dans le district de Rubavu, déclare que la société s’acquitte pleinement de ses obligations fiscales et s’attend à ce que chacun de ses agents déclare ses revenus au RRA.

Aux dires de Rwiririza, le prélèvement à la source de l’impôt de 15 pourcent avait pour but d’amener les agents n’ayant jamais déclaré leurs revenus à se mettre en règle avec le fisc. Ces agents sont soumis à la retenue à la source mensuelle jusqu’à ce qu’ils déclarent leurs revenus l’année prochaine. Aussi la nouvelle loi contribuera-t-elle à l’élargissement de l’assiette fiscale de l’État, fait-il savoir.

L’administration fiscale classent les travailleurs rwandais en quatre catégories en fonction de leurs revenus. Dans l’une de ces catégories, on y trouve ceux qui gagnent entre 2 millions et 4 millions de francs rwandais par an, et quiconque se retrouve dans cette tranche de revenus doit payer un impôt sur le revenu de 60 000 francs à la fin de l’année d’imposition, indique Rwiririza.

Selon les estimations du RRA, ces agents réalisent environ 6 500 francs de chiffre d’affaires journalier, révèle-t-il. En un an, cela représente plus de 2 millions de francs, ce qui les classe dans cette catégorie.

Aujourd’hui, MTN Rwanda applique, à la fin de chaque mois, une déduction de l’impôt retenu à la source sur les comptes de mobile money de ces agents sur lesquels leurs revenus sont versés et envoie l’impôt au RRA.

Theophile Nkurunziza, agent de mobile money, n’a aucun problème à déclarer ses revenus et à payer des impôts.

« Pour moi, si nous faisons du business et que tous les commerçants paient leurs taxes, pourquoi pas nous ? », se demande-t-il.

Aux dires des autres, pourtant, l’impôt versé à la fin de l’année et la retenue à la source sont injustifiés car, disent-ils, leur business ne rapporte guère d’argent. Nshimiyimana affirme avoir gagné 80 000 francs en juillet et qu’il lui est resté 68 000 francs après déduction de l’impôt. Selon ses dires, nombreux agents, y compris lui-même, gagnent beaucoup moins que les estimations de leurs revenus journaliers faites par le RRA. Comme pour tout type de service de vente, il n’y pas que des jours où notre business nous rapporte beaucoup, car il est des jours où on gagne moins, ajoute-t-il.

Sadiki Nambajimana déclare que l’impôt de 15 pourcent ayant été déduit de ses revenus d’avril, il a fini par jeter l’éponge.

« Je suis marié et père de quatre enfants et je n’avais plus les moyens de payer mon loyer », explique-t-il, ajoutant que le coût de la vie au Rwanda ne cesse de grimper.

À l’instar de Nshimiyimana, Nambajimana affirme qu’il ne savait pas qu’il devait déclarer ses revenus. Et lorsqu’il tenta de le faire après l’entrée en vigueur de la loi, confie-t-il, le RRA lui a demandé de payer une amende de 100 000 francs pour déclaration tardive de ses revenus.

Autrefois une manne pour un certain nombre de chômeurs, le mobile money n’est plus rentable, affirme Jean Habaguhirwa.

« J’ai commencé ce business en 2011 après avoir obtenu mon diplôme universitaire en développement rural », déclare-t-il. « Cela ne nous procurait pas un grand revenu, mais c’était une bonne occupation ».

Pourtant, une bonne nouvelle se profile peut-être pour Habaguhirwa et d’autres agents de mobile money de MTN Rwanda qui affirment gagner très peu.

Une fois que les agents qui n’ont pas déclaré leurs revenus cette année arrivent à le faire l’année prochaine, ceux d’entre eux qui gagnent moins de 2 millions de francs par an bénéficieront des exonérations fiscales, indique Rwiririza. Ceux qui gagnent entre 2 millions et 4 millions de francs doivent toujours verser 60 000 francs au RRA.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.