Democratic Republic of Congo

Pays riche en ressources en eau partout avec peu d’eau potable

En RD Congo, les ressources en eau sont abondantes, mais l’accès à l’eau potable demeure difficile. Des maladies débilitantes et des doigts accusateurs à gogo, telle est la conséquence de ce paradoxe.

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Water Everywhere, but Little Is Fit to Drink

Noella Nyirabihog, GPJ RDC

Claude Gasore, 12 ans, est allé à l’hôpital en octobre pour cause de diarrhée. Selon sa mère, ce garçon a été la proie de la diarrhée chronique tout au long de son enfance, et elle incrimine le manque d’eau potable à Rubaya.

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RUBAYA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : C’est un matin en ce début du mois d’octobre, et Claude Gasore, 12 ans, est allongé sur son lit d’hôpital sans aucun drap. Rangé sous ce lit est un seau qui lui sert de sac vomitoire. En position fœtale, voilà le sort subi par ce garçon mince et bavard à cause des douleurs atroces engendrées par une diarrhée chronique.

Cette chambre exiguë dégage des odeurs de médicaments et de vomi. Dans la salle de bain, il y des taches et le matelas est en loques. Et la chambre, tout comme le reste du centre de santé, est privée d’eau potable.

« Je ne peux pas compter combien de fois j’ai dû emmener mon enfant dans cet hôpital, peut-être plus de huit fois depuis qu’il a 3 ans », se remémore Elisabeth Muhoza, la mère de Claude.

Potentiellement mortelles, des maladies d’origine hydrique comme la diarrhée, les vers intestinaux, le choléra et la typhoïde constituent une menace grandissante à Rubaya et dans toute la RD Congo.

Ville en plein boom dans le territoire de Masisi, dans la province du Nord-Kivu, Rubaya dispose d’abondantes ressources en eau. Aux dires des activistes et des habitants, pourtant, la majorité de ces ressources sont accaparées par des mineurs dans l’extraction des matières premières qui servent à fabriquer des pièces pour l’industrie de l’électronique, y compris les téléphones portables.

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Noella Nyirabihog, GPJ RDC

Claudien Habarugira, 21 ans, lave des minéraux à Rubaya. Des activistes et des habitants pointent du doigt les mineurs qui se servent d’une grande partie de l’eau de la ville pour séparer les minéraux du sable. En conséquence, disent-ils, Rubaya souffre d’une pénurie d’eau.

Ces mineurs réfutent l’accusation. Mais, quelle qu’en soit la raison, une chose est sûre : Rubaya manque toujours d’eau potable, un problème qui se fait sentir dans toute la RD Congo : quoique le pays regorge de ressources en eau, sa population souffre d’une pénurie constante d’eau – et du fléau des maladies d’origine hydrique. En 2019, la RD Congo figurait parmi les pays recensant le plus grand nombre de cas de choléra dans le monde.

Quoique, affirme l’UNICEF, la RD Congo compte plus de la moitié des réserves d’eau du continent mais 33 millions de personnes dans les zones rurales n’ont pas accès à une eau de qualité.

« Le pays ne dispose pas de moyens suffisants pour la construction de canalisations pour le transport d’eau », explique David Angoyo, directeur provincial de la Regideso, société publique de production et de distribution d’eau, au Nord-Kivu. « Cela nécessite beaucoup [d’argent] ».

Rubaya, une ville verdoyante entourée d’arbres et prise dans le carcan des collines, possède des gisements de minerais, comme le coltan, le tungstène et l’étain. Tous ces minéraux sont utilisés à toutes les sauces, allant de la peinture et des stimulateurs cardiaques aux ordinateurs et smartphones. Mais le traitement des minéraux, à savoir leur séparation du sable, exige de grandes quantités d’eau.

Cette région a vu affluer de nombreuses personnes attirées par l’exploitation minière, tandis que des conflits dans d’autres parties du Nord-Kivu ont poussé les Congolais déplacés à affluer vers Rubaya, explique François Mwenge, président du Comité d’eau de Rubaya, un service gouvernemental. En cinq ans, la population de cette ville a presque doublé, pour atteindre près de 100 000 habitants.

Selon Mwenge, quatre canalisations desservaient autrefois la région, mais un glissement de terrain en avril 2019 a endommagé deux d’entre elles.

L’utilisation par des mineurs des ressources en eau, conjugué au boom démographique, avait pour corolaire l’insuffisance d’eau dans cette ville même lorsque les quatre canalisations pouvaient fonctionner, révèle-t-il. « La capacité de nos réseaux d’eau est restée la même », avoue Mwenge.

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Noella Nyirabihog, GPJ RDC

Des enfants et des femmes de Rubaya parcourent de longues distances à pied avec leurs jerricans tous les jours pour se procurer de l’eau. Souvent, l’eau est sale car elle provient directement de la source sans aucun traitement.

Aujourd’hui, il faut parfois une journée entière aux habitants pour avoir accès à l’eau. Dans certains quartiers, jusqu’à 200 ménages se partagent un seul robinet.

Selon Clément Ntirenganya, responsable du centre de santé de Rubaya, le manque d’accès à l’eau potable est l’une des principales raisons pour lesquelles les enfants du quartier tombent malades. Une enquête menée en 2017 et 2018 par l’UNICEF et le ministère chargé de la planification a révélé que 56 % des habitants du Nord-Kivu présentent un risque moyen à élevé de boire de l’eau contaminée par la bactérie E. coli, potentiellement mortelle.

Le centre de santé de Rubaya traite au moins 30 enfants par jour pour des maladies d’origine hydrique, explique M. Ntirenganya. Selon lui, ces maladies font de nombreux jeunes de Rubaya leur proie à plusieurs reprises.

Des enfants qui tombent malades à répétition souffrent souvent d’un retard de croissance, confie-t-il.

À l’en croire encore, les maladies d’origine hydrique sont à l’origine de la hausse du taux de mortalité infantile dans la ville. Il y a cinq ans, ce taux était de 3 %, dit-il. Aujourd’hui, il est de 5 %.

Les mineurs, affirment certains activistes et habitants, ne sont pas seulement responsables de la pénurie d’eau, ils causent également la contamination.

« Le lavage des minerais serait essentiellement à la base de la rareté de l’eau dans la cité du fait que les creuseurs n’hésitent pas à sectionner la tuyauterie du réseau qui approvisionne la cité pour dévier l’eau vers leurs laveries », selon un rapport de 2017 d’une coalition d’organisations non gouvernementales de la RD Congo qui se consacre aux questions touchant les femmes.

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Noella Nyirabihog, GPJ RDC

Benoît Zabayo, 5 ans, essaie de boire l’eau directement depuis un robinet à sec sous le regard de sa grand-mère, Madeleine Muhoza. Aux dires des autorités sanitaires de Rubaya, le manque d’eau potable a provoqué des épidémies de diarrhée et des maladies au grand dam des enfants de la ville.

« Des eaux à la couleur de boue argileuses charriées par des laveries des minerais qui pullulent Rubaya et qui polluent exponentiellement quasiment toutes les sources de la zone d’où les femmes et enfants puisent quotidiennement l’eau de breuvage et de cuisson », lit-on également dans ce rapport.

Plus de 3 500 mineurs travaillent à Rubaya, principalement pour la Société minière de Bisunzu et la Coopérative des exploitants artisanaux de Masisi. Le président de la coopérative, Robert Seninga Habinshuti, nie le rôle des mineurs dans la crise de l’eau à Rubaya.

« La réalité est que l’eau est un problème général dans tout le pays et c’est la même chose ici à Rubaya », dit-il.

Il affirme que sa coopérative ne tolère pas que les mineurs détournent l’eau destinée à la population : « Nous travaillons pour le bien-être de la communauté, et nous faisons partie d’elle ».

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Gerald Habimana, mineur marié et père de cinq enfants, affirme que l’économie de la ville a besoin des activités minières et que le gouvernement devrait fournir suffisamment d’eau pour tout le monde.

« Nous ne devrions pas être les seuls à blâmer, car nous faisons aussi partie de la population locale, nos femmes et nos enfants souffrent aussi », déclare Habimana. « De plus, sans minéraux, ils ne peuvent pas trouver de quoi mettre sous la dent ».

Gervais Hakizimana, président de la société civile à Rubaya, dit avoir demandé l’aide du chef du territoire de Masisi, chargé de porter les problèmes de la ville à l’attention du gouverneur provincial. D’après lui, il n’a pas reçu de réponse.

En l’absence de changement, on peut assister à une nouvelle épidémie de diarrhée, prévient Hakizimana. En juillet 2019, le centre de santé s’est presqu’empli des enfants souffrant de cette maladie, dont la plupart étaient âgés de moins de 5 ans.

En RD Congo, les écoles ont rouvert et accueilli tous les enfants le 12 octobre, après avoir fermé leurs portes en mars en raison des restrictions liées au coronavirus. Claude, ce garçon atteint de diarrhée chronique, ne figurait pas parmi eux.

Il a plutôt poursuivi sa convalescence en milieu hospitalier pendant une semaine et demie avant de retourner en quatrième année, affirme sa mère.

« Cela n’a pas de sens de fournir au monde des matières premières pour fabriquer des smartphones », demande Hakizimana, « et de continuer à regarder nos enfants mourir par manque d’eau ».

Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo. Elle est spécialiste des reportages sur la paix et la sécurité.


Note à propos de la traduction

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ. Cliquez ici pour en savoir plus sur notre processus de traduction.

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