Democratic Republic of Congo

Coronavirus : quand les commerçants locaux se retrouvent isolés et fauchés

La chute des revenus : une réalité pour des commerçants congolais. Un mal qui est la conséquence de la fermeture des frontières par la RD Congo et ses voisins. Dans un village, les mesures imposées par la région frappent de manière particulièrement dure au grand dam des femmes.

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Coronavirus Border Closures Leave Traders Isolated, Broke

Noella Nyirabihogo, GPJ RDC

Immaculée Raguha est assise à l’extérieur de sa petite maison de paille dans le village de Nyongera, où de nombreuses femmes qui faisaient le petit commerce ont du mal à gagner leur vie à la suite des restrictions frontalières imposées par la RD Congo à cause du coronavirus.

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RUTSHURU, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Immaculée Raguha fait de sa demeure une maisonnette aux murs en terre et d’une surface de 3 mètres carrés. Le toit étant de paille, le vent et la pluie y pénètrent. Assise sur un lit de paille recouvert d’un tissu usé, elle s’occupe de son aîné, un petit garçon qu’elle a mis au monde, il y a de cela une semaine.

Raguha, 19 ans, a accouché à son domicile avec l’aide de sa belle-mère. Mais la faiblesse a depuis fait d’elle un butin. Elle s’en remet à un jus de plantes, car se faire soigner reste un luxe qu’elle ne peut s’offrir.

« Je suis sûre que les médicaments que ma belle-mère me donne m’aideront à me sentir mieux ainsi que mon bébé », rassure Raguha, habitante du village de Nyongera, dans le territoire de Rutshuru, frontalier du Rwanda et de l’Ouganda.

Avant que la pandémie ne frappe, Raguha faisait le petit commerce transfrontalier. Aujourd’hui, elle et les habitants de son village ont du mal à survivre, car la pandémie a des effets dévastateurs sur l’économie de la RD Congo. Les récents chocs économiques sont le corollaire, du moins en partie, des restrictions imposées à cause de coronavirus, qui restent particulièrement dures à supporter pour ceux qui vivent du commerce transfrontalier, dont bon nombre de femmes.

Fin mars, l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda et la RD Congo ont tous bouclé leurs frontières pour enrayer la propagation du nouveau coronavirus à l’origine de la Covid-19. En mai dernier, un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sur la RD Congo a averti que les mesures contre le coronavirus imposées par le gouvernement et ses voisins allaient aggraver la pauvreté et nuire davantage à l’économie d’un pays déjà déchiré par des conflits ayant contraint 5,5 millions de personnes à se déplacer à l’intérieur du pays.

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Noella Nyirabihogo, GPJ RDC

Immaculée Raguha tient dans ses bras son bébé d’une semaine qu’elle a mis au monde à domicile. Son petit commerce étant bousillé par la pandémie de coronavirus, elle et son mari comptent aujourd’hui sur l’argent que son mari gagne grâce à de petits boulots.

Selon la Banque mondiale, plus de 70 % de la population congolaise vivent déjà avec moins de 1,9 dollar par jour.

Les restrictions liées aux coronavirus, notamment la fermeture des frontières, ont causé la disparition de près des deux tiers des entreprises de la RD Congo qui ont fait faillite en 2020, déclare Alain Kikandi Kiuma, doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université libre des pays des Grands Lacs.

D’une population d’environ 1,6 million d’habitants, Rutshuru est un territoire situé dans la province du Nord-Kivu. Le territoire sert de terreau à des conflits récurrents, car plusieurs groupes armés y sont actifs.

Siège administratif du territoire du même nom, la ville de Rutshuru est encombrée de bars, de restaurants et de maisons inachevées comme la région tente de se reconstruire. La frontière avec l’Ouganda se trouve à 15 kilomètres à l’est de la ville.

À Nyongera, nombre de ménages dépendent du commerce transfrontalier entre la RD Congo et l’Ouganda.

Soixante pour cent des commerçants transfrontaliers sont des femmes, déclare Geneviève Kwiye, présidente des femmes membres de l’Association des commerçants transfrontaliers à Nyongera.

« La majorité des gens vivant ici sont des déplacés de guerre qui, après avoir quitté leur lieu d’origine, essaient de survivre en pratiquant le petit commerce », dit-elle.

Selon Alexis Bahunga Malira, membre du parlement qui est l’un des représentants du Nord-Kivu, la fermeture des frontières dans la région a contribué à la paralysie des activités com-merciales en RD Congo, à la baisse de recettes fiscales et à l’envol du prix des produits impor-tés.

« Ce que je peux dire, c’est que cette pandémie a vraiment déstabilisé le revenu national, mais plus particulièrement les ménages de petits commerçants », confie Malira.

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Noella Nyirabihogo, GPJ RDC

Pascaline Nyandegeya est celle qui jadis gagnait jusqu’à un dollar par jour grâce au commerce transfrontalier. Face à la précarité de sa situation économique, elle ne peut emmener son bébé chez un médecin pour des visites postnatales.

Les femmes engagées dans le commerce transfrontalier pouvaient gagner entre 20 000 et 60 000 francs congolais par mois, achetant des poulets, des chèvres, de la farine, du sucre et d’autres articles en provenance de l’Ouganda pour les revendre dans le centre de Rutshuru, explique Kwiye. Aujourd’hui, le commerce ne leur procure aucun revenu.

Selon Simon Mukungu, chef de quelque 1 500 déplacés internes à Nyongera, il ne se passe pas un jour sans qu’il rende visite aux femmes du village. Il se dit préoccupé par la santé des femmes enceintes et des nouveau-nés, car le nombre d’accouchements à domicile, dont la plupart ne sont pas assistés par une sage-femme qualifiée, a augmenté au cours de l’année écoulée.

« L’accouchement à domicile comporte de nombreux risques, notamment des complications pendant l’accouchement, qui peuvent mettre en danger la vie de la mère et de l’enfant », explique Mukungu. « De plus, l’hygiène à la maison est précaire et peut provoquer des infections ».

Les femmes enceintes ne pouvant pas se permettre les frais hospitaliers, la plupart des accouchements se font à domicile, raconte Mukungu.

À en croire une infirmière du centre de santé de Rutshuru, qui a requis l’anonymat par crainte des répercussions de la part de son employeur, des femmes sont retenues prisonnières dans l’enceinte de l’hôpital jusqu’au règlement de leur facture, généralement environ 20 000 francs.

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« Moi-même, vu la situation de pauvreté dans laquelle ces femmes vivent, j’ai assisté au moins 10 femmes à l’accouchement à leur domicile pour rien », révèle-t-elle ». « En tant que femme je comprends la raison qui le pousse à ne pas venir à l’hôpital et je fais de mon mieux pour leur venir en aide ».

En novembre, les autorités gouvernementales de la RD Congo et du Rwanda ont rouvert la frontière entre les villes de Goma et Gisenyi, à environ 70 kilomètres au sud de Rutshuru, pour permettre aux populations locales de reprendre leurs activités tout en les adjurant à l’observance des mesures de prévention du coronavirus.

« On espère que d’autres frontières poursuivront, et que la vie reviendra à la normale dans notre village », déclare Kwiye.

Pascaline Nyandegeya, 39 ans, faisait le commerce avant la fermeture des frontières. Elle se rendait en Ouganda pour acheter du sel et du savon pour les revendre dans son village. Après la fermeture des frontières, sa seule solution de rechange était de travailler dans les champs des autres pour gagner sa vie. Quand le commerce était encore possible, elle gagnait jusqu’à 2 000 francs par jour. Aujourd’hui pourtant, elle gagne 1 000 francs.

Alors que Nyandegeya place son fils dans une bassine pour lui donner un bain, ce tout-petit d’un mois pleure. Et pour cause, il n’aime pas l’eau froide. Ensuite, sentant la chaleur ondulant autour de lui provenant de sa mère qui se prépare à l’allaiter, il se calme.

Nyandegeya a accouché à son domicile, il y a de cela un mois. Ce bébé, autrement dit, le quatrième enfant, est apparemment sain, mais sa mère ignore son poids, car elle n’a pu l’emmener chez un médecin depuis sa naissance.

« Nous avons simplement confiance en Dieu qui nous protège pendant la grossesse et qui protège nos bébés sans aucune intervention médicale », confie-t-elle.

Raguha craint pour la santé de son bébé. Son mari fait des petits boulots pour gagner de l’argent. Elle avait l’habitude de gérer une entreprise de culture de champs entre son village et l’Ouganda, mais l’entreprise a fait faillite avec l’apparition de la pandémie.

Selon elle, le bébé tousse tout le temps, probablement à cause de la pluie. Raguha ne sourit que lorsqu’elle prend son garçon dans ses bras.

« Nous n’avons même pas de couvertures chaudes », s’alarme-t-elle. « Avant la Covid-19, nous vivions dans la pauvreté, mais aujourd’hui nous vivons dans la misère absolue ».

Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo. Elle est spécialiste des reportages sur la paix et la sécurité.


Note à propos de la traduction

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.