PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — De violentes manifs n’ont pas faibli dans cette capitale pendant environ 20 jours, mais Fritz Noël, un des militants, persiste et signe pour continuer à réclamer la chute du régime.
La mobilisation par Noël pour un changement a été déclenchée par la perte de son neveu, Peterson Noe, qui a succombé aux balles lors des manifs le 13 février. (Il n’existe pas d’informations confirmées faisant état du nombre total de personnes tuées depuis le début des manifs, mais certains organes de presse ont indiqué que ce nombre s’élève à sept.)
« La justice sera faite pour sa mort », déclare Noël. « On va porter plainte contre le gouvernement haïtien ».
La frénésie qui s’empare de Noël face à une tragédie qui le bouleverse n’est qu’un exemple parmi d’autres du niveau auquel nombreux Haïtiens bouillonnent de colère profonde contre leur gouvernement. Les prix des produits de première nécessité, se désolent-ils, restent très élevés et les nombreux habitants les plus démunis sont le cadet des soucis des quelques puissants qui concentrent le contrôle du pays entre leurs mains.
Cinquante-neuf pour cent des Haïtiens vivent encore sous le seuil de pauvreté national, qui est de 2,41 dollars par jour. Selon la Banque mondiale, 24% ont un revenu inférieur au seuil d’extrême pauvreté, qui est de 1,23 dollar par jour.
« Fatigués de cette situation, on va continuer la lutte jusqu’à obtenir la démission de ce gouvernement », prévient Noël.
Les manifs ne sont pas nouvelles ici, mais le coup d’envoi de ces plus récentes rappelle une date symbolique – le 7 février, qui marque le 33e anniversaire du jour où les Haïtiens ont contraint leur dictateur, Jean-Claude Duvalier, dit « Baby Doc » à l’exil.
L’origine des manifs actuelles, elle aussi, date de bien plus longtemps. En 2006, Haïti a signé avec le Venezuela un accord PetroCaribe, lui permettant d’acheter le pétrole à ce pays voisin au-delà de la mer des Caraïbes avec la possibilité de payer 60% de son approvisionnement pétrolier, l’autre partie restante étant remboursée sur 25 ans à un taux d’intérêt de 1%. Autrefois entre les mains des acteurs privés, l’approvisionnement d’Haïti en pétrole a changé de mains au profit du gouvernement. Les fonds générés par l’accord allaient être injectés dans une multitude de chantiers d’infrastructures, d’éducation et de santé.
Mais rien n’a changé depuis, s’énervent les Haïtiens. En effet, au lieu de faire tourner ces fonds à l’avantage du peuple haïtien, des puissants en ont vidé une grande partie pour se renflouer les poches, lit-on dans un rapport d’une commission du Sénat haïtien publié à la fin de 2017 et ayant fait l’effet d’une bombe.
On estime que plus d’une dizaine de personnes ont détourné au moins 2 milliards de dollars depuis la signature de l’accord PetroCaribe.
Les manifs sont devenues monnaie courante en Haïti, en particulier après la publication de ce rapport. En 2018, une manif contre la hausse des prix du carburant a fini par pousser le Premier ministre d’Haïti à la démission.
La colère extrême exprimée par les Haïtiens lors des plus récentes manifs publiques a été d’une ampleur inédite. Avec de grandes foules de gens réclamant haut et fort la chute du régime, les déplacements à travers la ville comportait des risques.
« Nous allons continuer la mobilisation », martèle Jean Charles Moïse, 51 ans, ancien sénateur et candidat à la présidentielle, actuellement secrétaire général du parti Pitit Dessalines en Haïti.
Un petit groupe de gens tient tout le pays en otage, s’alarme Moïse. Les jeunes restent embourbés dans le chômage, les agriculteurs n’ont pas de ressources nécessaires pour produire et le peuple n’a pas accès aux soins de santé, ajoute-t-il.
« Nous avons besoin d’une société où le gouvernement est capable de répondre aux besoins du peuple haïtien », déclare-t-il.
Mais aujourd’hui, quelques semaines après le début de ces manifs persistantes, certains Haïtiens affirment que la vie est devenue l’invivable.
Inedette Prédelus, mère commerçante, explique que les manifs l’ont mise dans l’impossibilité de gagner de l’argent.
« L’argent que j’utilise dans mon commerce est un prêt que je dois rembourser », confie-t-elle. « Ces jours de manifestation m’ont empêchée d’honorer mes engagements envers la banque ».
Prédelus ajoute que son fils aîné est en terminale mais que les classes ont été fermées. Et le triste paradoxe, c’est que l’une des principales revendications des manifestants, c’est l’éducation de base garantie par le gouvernement.
« Les manifestations ne devraient pas empêcher le fonctionnement des écoles », déclare Prédelus.
Selon Jacqueline Datilus, elle est restée cloîtrée dans sa maison au plus fort des manifestations, mais elle a dû finir par débourser tout son argent pour joindre les deux bouts.
Le gouvernement ne fait rien pour aider les Haïtiens ordinaires, déclare-t-elle, ajoutant qu’elle arrive à peine à nourrir ses enfants, encore moins ses petits-enfants.
« Nous n’avons plus rien, ni la nourriture, ni l’eau potable, ni l’électricité, » dit-elle. « Et pourtant, ils nous avaient tout promis. Aujourd’hui, notre destin est entre les mains du Tout-Puissant ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre.