Haiti

Insécurité alimentaire à Haïti : des marchandes de rue en tête de peloton pour nourrir la capitale

Plus tôt en juillet, des protestations contre la hausse des prix ont paralysé Port-au-Prince. Et comme si cela ne suffisait pas, des manifestations ont éclaté, forçant la fermeture de l’une des sources bon marché dans la capitale : des cuisinières de rue informelles appelées « manje kwit ». Avec un dollar, voire moins, ces marchandes vous offrent la bouffe. Elles ont des stands à proximité des marchés et des gares routières et leur petit prix s’érige en planche de salut pour de nombreux citadins en situation de précarité alimentaire.

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In Food-Insecure Haiti, Street Vendors Play a Central Role in Feeding the Capital

Oxane Sylvestre, GPJ Haïti

Des manje kwit exploitent des stands de nourriture informels partout à Port-au-Prince. Chaque jour, elles proposent la bouffe low-cost à des milliers d’Haïtiens en situation de précarité alimentaire.

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — Au lendemain de la hausse des prix qui a été à l’origine des violences généralisées ici plus tôt ce mois-ci, le Fonds monétaire international (FMI) ne cesse d’insister pour que le gouvernement haïtien réduise les subventions alimentaires. Dans un pays qui éprouve des difficultés éléphantesques à combattre la faim et la malnutrition, cette fureur populaire a mis à mal une tradition singulière développée par des Haïtiens pour nourrir les habitants de la capitale : des « manje kwit », ou marchandes de nourriture de rue.

Beaucoup d’Haïtiens se tournent vers des restos de rue qui bordent de nombreuses rues principales de la capitale, des restos qui ne sont que des maisonnettes en tôle recouvertes de draps. Ici, des citoyennes ordinaires s’improvisent cuisinières et s’installent près des gares routières, des églises ou au bord des marchés locaux au service des populations locales au meilleur prix.

Mais plus tôt en juillet, la capitale a été paralysée pendant cinq jours, entraînant la fermeture temporaire de ces planches de salut peu connues.

Des restos avec service à table ont également fermé leurs portes pendant les protestations au début du mois, mais ils restent souvent vides même quand le clame règne dans la capitale. Ici, une assiette de nourriture dans les restos élémentaires créoles est proposée en moyenne à 250 gourdes haïtiennes. Pourtant, la plupart des Haïtiens vivent avec moins de 2 dollars par jour, rendant ainsi prohibitif le prix d’un repas dans un resto.

La faim reste un problème majeur dans les quatre coins de cette nation insulaire où, selon les estimations de l’USAID, 40 pourcent des ménages sont sous-alimentés et 30 pourcent des enfants en proie à la malnutrition chronique. Quoique l’agriculture y soit le secteur principal, la nation a toujours du mal à produire le riz, sa denrée de base, en quantité suffisante pour nourrir sa population.

Aux dires de ces marchandes de nourriture, servir aux citoyens haïtiens leur nourriture de base en fonction de leur capacité à payer est source de leur fierté.

« Nous servons des professeurs, des étudiants, des porteurs et des cireurs de bottes », explique Jocelyne Jean Baptiste, 30 ans, qui sert du riz haïtien et des haricots dans un resto de rue depuis sept ans. « Je me sens utile à ma communauté tout aidant à apaiser la faim à un prix accessible à tous ».

À l’instar de ses collègues cuisinières de rue, Jean Baptiste propose des plats à 75 gourdes, voire moins.

« Mon commerce m’aide aussi à gérer ma vie [et] mes enfants », confie-t-elle.

Pourtant, ces protestations forçant ces manje kwit à fermer leurs portes, la faim s’est généralisée au grand dam des clients et ces cuisinières se sont retrouvées aux prises avec des difficultés financières, explique Cécilia Alfred, 42 ans, qui s’est improvisée manje kwit depuis six ans.

« Il m’était impossible de vendre la nourriture que j’avais préparée parce que nous ne pouvions pas rester dans la rue », déplore-t-elle. « Donc, je devais la manger avec mes enfants et donner gratis le reste aux voisins. C’est comme ça que j’ai perdu mon investissement ».

Selon John, l’un de ses clients fréquents, l’absence des options low-cost d’Alfred a entraîné la pénurie de la nourriture.

« Pendant les cinq jours de protestations, j’ai eu du mal à trouver à manger parce que je ne pouvais pas quitter ma maison », dit-il, ajoutant que Delmas, le quartier de la capitale où il trouve généralement Alfred, était plongé « dans le chaos ».

Depuis que les protestations ont cessé, les manje kwit ont refait surface, se retrouvant dans presque tous les points de rencontre, marchés ou lieux de rassemblement dans la capitale. Les restos de rue arrivent de nouveau pour offrir la bouffe aux Haïtiens à des prix raisonnables. Des plats de riz, de pois, de légumes et de de poulet permettent des milliers de personnes dans les rues de retrouver le sourire chaque jour.

« Ces marchandes de nourriture contribuent à la vie quotidienne de chaque Haïtien », explique Fredna Clemont, cliente régulière.

Alors que les fonctionnaires ici négocient avec le FMI sur les subventions alimentaires, les restos de rue sont à l’avant-garde, essayant de fournir à leurs concitoyens des repas nutritifs à bas prix.

« C’est toujours un plaisir de voir vos clients vous confier leurs ventres », explique Alfred.

Adapté à partir de sa version originale en français par Nicole Muteteri, GPJ.