Democratic Republic of Congo

RDC: des veuves souvent maltraitées et harcelées par des belles-familles, mais une localité se refuse à se croiser les bras

En République Démocratique du Congo, des veuves font souvent l'objet de maltraitance et de harcèlement de la part de leurs belles-familles. Toutefois, le gouvernement local de Kisangani ne se croise pas les bras, œuvrant non seulement pour aider ces femmes à revendiquer leurs droits, mais également pour changer cette culture abritant la tolérance pour la maltraitance des femmes.

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Widows in DRC Are Often Subjected to Violence, but One Locality Is Fighting Back

Françoise Mbuyi, GPJ RDC

Elisabeth Isikisiki Beagaba, directrice de la division du Genre, Famille et Enfants, assise dans son bureau à Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo en République Démocratique du Congo. Depuis plus de 30 ans, Beagaba œuvre en faveur des femmes de Kisangani ayant subi des violences physiques et verbales de la part de leurs proches.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — « Depuis la mort de mon mari, je n’arrive pas à trouver un peu de paix en moi », explique Anna Baolimo Aziza.

Il y a quatre ans maintenant, Aziza, 38 ans, mère de sept enfants, perdait son mari alors qu’elle attendait son plus jeune enfant. Peu après cette épreuve douloureuse, elle s’est retrouvée chassée de sa maison pour errer avec ses enfants, car sa belle-mère et ses belles-sœurs l’accusaient d’être responsable de la mort, dit-elle. Pourtant, son mari a perdu la vie dans un accident de voiture, et ce, d’après les dossiers médicaux.

En République démocratique du Congo, des veuves deviennent souvent des proies faciles de l’animosité de leurs belles-familles qui les accusent de sorcellerie et les montrent du doigt pour la perte de leurs êtres chers. Certains persistent et signent, exigeant que ces veuves soient chassées de leurs maisons, laissant derrière elles leurs biens et argent.

Aux dires d’Aziza, elle a été obligée de demander au gouvernement local de l’aider pour rentrer en possession de la maison qu’elle et son mari ont construite à la sueur de leur front. Cette décision est, selon elle, un fait rare chez des veuves à Kisangani, chef-lieu de la province de Tshopo, malgré la pratique d’éviction par des belles-familles devenue monnaie courante.

La violence sexuelle et sexiste étant une pratique de routine en RDC, en partie à cause des années de conflit, il existe moult femmes en proie à la violence de la part de leurs proches. Le stigma lié au viol et à d’autres formes de maltraitance ou de violence prive certains de la chance de recourir aux tribunaux ou à la prise en charge médicale et psychologique.

Aujourd’hui toutefois, le gouvernement local s’emploie à venir en aide aux femmes victimes de la maltraitance ou de la violence grâce à sa division du Genre, Famille et Enfants offrant aux femmes et aux filles non seulement un traitement médical et psychologique, mais aussi une assistance juridique au grand dam de leurs bourreaux.

Elisabeth Isikisiki Beagaba, femme à la tête de l’effort à Kisangani, affirme que si le soutien est apprécié chez certains, le stigma culturel chez les autres demeure une pierre d’achoppement contre laquelle bute son travail.

D’après les résultats de la dernière enquête démographique et de santé 2013-2014 réalisée par le gouvernement, on estime que 52 pour cent des femmes de 15 ans et plus en RDC ont été victimes de violences physiques.

Néanmoins, depuis des années, certaines femmes ayant été victimes de la violence n’ont pas signalé ces incidents aux autorités, déplore Beagaba, directrice de la division du Genre, Famille et Enfants, une unité du gouvernement provincial de la Tshopo, au nord-est de la RDC.

« À Kisangani, des belles-familles font vite de venir ravir tous les objets de valeur à la veuve et la chasser de la maison après la mort du mari », révèle-t-elle.

Beagaba a rejoint la division du Genre, Famille et Enfants en 1987 après avoir empoché son diplôme en sciences sociales de l’Université de Kisangani. Au début de son boulot, l’assistance aux femmes ayant subi des violences physiques et verbales de la part de leurs proches était une tâche très ardue, car peu d’entre elles recouraient aux services offerts par la division, annonce Beagaba. Aujourd’hui même, il est des femmes qui ne sont pas prêtes à dénoncer leurs bourreaux auprès des autorités de peur de voir la communauté s’en prendre à elles, glisse-t-elle.

Pour faire la guerre contre ce silence voulu par la culture, affirme Beagaba, la division sensibilise les femmes et les familles à Kisangani sur la violence physique et sexuelle. Chaque mois, elle organise et abrite des séminaires et des conférences grâce auxquels les participants apprennent à identifier les premiers signes de violence à leur encontre et connaître leurs droits.

Selon Beagaba, elle oriente également des femmes victimes de la violence et de la maltraitance exercées par leurs proches vers le service d’assistance juridique gratuite ou vers un tribunal local.

Dans bien des cas, les femmes ayant subi des violences ou des agressions ont le droit de faire entendre leur cause devant un tribunal, mais nombre d’entre elles ignorent ce droit, explique Balthasard Lisambola, avocat basé à Kisangani.

« Quiconque commet l’attentat à la pudeur avec violence, ruse ou menaces sur des personnes de l’un ou l’autre sexe est puni d’une servitude pénale de six mois à cinq ans », révèle Lisambola, en référence à l’article 168 du code pénal.

Aussi, affirme Beagaba, l’article 14 de la Constitution congolaise protège-t-il les droits des femmes.

Selon Beagaba, entre 2010 et 2015, le Tribunal de Paix (TriPaix) de Kisangani était saisi de 30 à 53 cas de violence domestique tous les trois mois. Pourtant, depuis juin 2016, ajoute-t-elle, le tribunal n’a été saisi que de trois à quatre cas tous les trois mois. Des séminaires fréquents ont permis de réduire le nombre de cas de saisine du tribunal, car les parties, hommes et femmes confondus, ont acquis une meilleure compréhension de la loi, assure Beagaba.

Marie Jeanne Mukasa, 44 ans et mère de trois enfants, affirme avoir commencé à subir la maltraitance de la part de sa belle-famille après le décès de son mari en avril dernier.

« Ma belle-famille est venue juste deux semaines après pour me ravir tous les objets de la maison et me chasser de la maison avec mes enfants », dit-elle de ses meubles et autres articles ménagers. D’après Mukasa, elle s’est tournée vers la division de Beagaba pour référer son cas au tribunal local. Après des mois passés à vivre sous le toit de ses parents, une décision du tribunal rendue en décembre dernier lui a permis de retourner chez elle, ordonnant à sa belle-famille de lui rendre ses biens, explique Mukasa.

Toutefois, il est des cas dont le tribunal est saisi et qui n’ont rien à voir avec les violences physique à l’égard des veuves, souligne Beagaba. Dans certains de ces cas, des plaignants ont tendance à compter sur des témoignages de leurs voisins et proches qui confirment les violences verbales de la part de la belle-famille. Pourtant, la peur du stigma dans la communauté peut parfois pousser des témoins à faire marche arrière face au besoin de parler ouvertement, remarque-t-elle.

Beagaba affirme que sa division se doit de ne pas lâcher du lest pour enregistrer des progrès continus.

« Mon objectif aujourd’hui est de continuer à lutter contre toutes les formes de violence subies par des veuves à cause de l’injustice de leurs belles-familles », annonce Beagaba.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.