KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Dans les zones rurales du Nord-Kivu, région essentiellement agricole, la propriété foncière est un signe d’appartenance au terroir. Beaucoup de personnes dont les familles sont originaires de cette cité sont propriétaires des terres.
Souvent, les nouveaux arrivants dans la cité sont contraints de vivre en location. Naomi Kanyere Ndele ne fait pas exception. Elle est arrivée en 2018, laissant derrière elle un conflit violent dans son village. Des groupes armés locaux dénommés Maï-Maï se battent souvent, soit pour conquérir des villages dans cette province, soit contre l’armée congolaise.
Ndele, aujourd’hui loin de chez elle et dépourvue de tout moyen de se faire du fric pour acheter un terrain, verse un loyer mensuel de 6 530 francs congolais pour deux chambres chez son bailleur. Un rideau, voilà ce qui, dans ces chambres minuscules, sépare le coin couchage, le poêle à charbon et la salle à manger où se trouve un méli-mélo de vivres, ustensiles de cuisine, sacs de charbon et autres matériels.
Pour Ndele, cet arrangement relève du pis-aller.
« Très souvent, nous ne vivons pas en harmonie avec notre bailleur », avoue Ndele.
Mais, aux dires de Ndele et d’autres locataires comme elle, les options sont rares. Ici, l’expulsion d’un locataire, souvent peu après la perte d’un être cher par ce dernier est devenue monnaie courante.
Selon Ndele, elle a déjà connu cette triste expérience après son arrivée à Kirumba. Son enfant s’étant éteint en 2018, elle et sa famille ont été immédiatement forcées par son bailleur d’évacuer la maison avec le cadavre.
« Son allure était tellement farouche », se désole-t-elle.
Dans certaines parties de la RDC, la sacralisation des rites funéraires est devenue un obstacle majeur pour les équipes d’intervention contre Ebola qui se mobilisent pour freiner la propagation de ce virus mortel. (Lire notre article ici.)
Dans les zones rurales de la province du Nord-Kivu dont nombre d’habitants affluent vers Kirumba et d’autres cités en cas de violence dans leurs villages, les cérémonies funéraires semblent se muer en événements de plusieurs jours où se mêlent alcool, bagarres et rasage des cheveux, la conservation du corps du défunt se faisant au domicile jusqu’au jour des obsèques.
À Kirumba, en revanche, les cérémonies funéraires sont souvent de plus courte durée et moins fringantes. Et l’enterrement, lui, est chose vite faite.
Si ces types de conflits liés aux usages funéraires sont de plus en plus fréquents dans la province du Nord-Kivu, c’est parce que les communautés ayant vécu séparées depuis des générations sont aujourd’hui condamnées au vivre-ensemble. Cette région étant en proie à des conflits, des milliers de nouveaux habitants ont afflué à Kirumba ces dernières années. Des propriétaires des terres partagent leurs maisons et leurs biens avec eux, mais cette hospitalité est mise à l’épreuve lorsque ces déplacés internes ne montrent aucun signe de retour dans leurs foyers.
Entre les communautés, le torchon brûle lorsque le choc des traditions éclate.
« On dit qu’une maison qui a accueilli un cadavre est maudite », déclare Ndele.
Cette superstition pose problème aux bailleurs qui voient un locataire s’éteindre dans une maison à eux.
« Je ne peux jamais admettre l’organisation du deuil dans ma parcelle », martèle Muhindo Lukwamisa, 50 ans, propriétaire d’une maison. « Parce que ça me conduirait au manque de clients qui pensent qu’il y a déjà un mauvais sort ».
Il semblerait que cette pratique soit en train de perdre sa résistance à l’usure du temps. Selon Salomon Kakule Kaniki, porte-parole du Cercle international pour la défense des droits de l’homme, la paix et l’environnement, son organisation s’efforce de sensibiliser la population de Kirumba aux traditions de ces nouveaux arrivants. À l’en croire, la recherche réalisée par son organisation révèle que 3 bailleurs sur 10 sont aujourd’hui convaincus de la nécessité de permettre à leurs locataires de faire leur deuil comme ils avaient l’habitude de le faire dans leurs villages.
« Si mon locataire était éprouvé, il devrait passer ses activités de funérailles dans cette maison », explique Mumbere Bayunda, agriculteur et bailleur. « Tout le temps qu’il me paie, il est d’office propriétaire de la maison ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre.