Democratic Republic of Congo

Jadis privées d’école, les femmes se tournent vers l’éducation pour adultes

En République Démocratique du Congo, des décennies de discrimination ont laissé des empreintes visibles : de nombreuses femmes incapables de lire ou écrire. L’objectif du nouveau programme d’alphabétisation pour adultes est de réparer ces dommages.

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Once Barred From School, Women Embrace Education

MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Esperance Dolorose à droite, institutrice chargée de l’éducation des adultes, donne à Bahati Katungu Kamondi des cours de lecture dans le cadre de la nouvelle initiative d’alphabétisation à Kayna, dans le territoire de Lubero en République Démocratique du Congo.

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KAYNA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Kavugho Puruhya n’était encore qu’une petite fille lorsque ses parents ont fait une chose qui dans leur communauté était insolite : ils l’ont inscrite à l’école.

« J’étais très contente, car aller à l’école avait toujours été mon rêve, » déclare Puruhya qui est aujourd’hui mère de trois enfants.

La décision de ses parents était révolutionnaire, car à l’époque, pour les populations Nande du territoire de Lubero, l’éducation des filles était largement considérée comme un gaspillage des ressources familiales. Lorsqu’une femme Nande se marie, elle quitte sa famille et s’attache à celle de son époux. Pour beaucoup, il était par conséquent absurde de dépenser de l’argent à éduquer une fille sachant qu’elle se marierait et ferait plutôt profiter la famille de son conjoint.

Pour cette raison, Puruhya se sentait privilégiée d’être l’une des rares filles de son village à aller à l’école. Malheureusement, son séjour sur les bancs fut de courte durée, car un problème congénital d’audition rendait son apprentissage extrêmement pénible.

« Il a été difficile pour moi de poursuivre les études normales dans ce contexte, » soupire-t-elle. « Il me fallait étudier dans un groupe restreint, car il faut hausser la voix pour que je comprenne, mais la salle de classe n’était pas ainsi configurée. »

Ses parents l’ont donc retirée de l’école. Âgée maintenant de 47 ans, elle a repris le chemin des salles de classe.

Des femmes comme Puruhya se massent vers les centres d’éducation pour adultes qui en RDC ont récemment ouvert leurs portes pour leur donner une seconde chance d’instruction. En matière d’éducation formelle, les programmes d’alphabétisation dans le pays tentent de combler le fossé entre les sexes, fossé qui selon le rapport 2021 du Forum économique mondial est l’un des plus grands au monde. Un sondage démographique national de 2017-2018 établit qu’environ 36 % des femmes sont parvenues au second cycle de l’enseignement secondaire, 6 % seulement d’entre elles obtenant un baccalauréat, contre 53 % et 11 % respectivement chez les hommes. Des décennies de conflit armé à l’est de la RDC ont également compliqué l’accès à l’éducation, car des millions de personnes étaient obligées de fuir vers des pays voisins ou vers d’autres régions de la RDC, à en croire l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie.

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MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Kyakimwa Donesiana, une des élèves du programme d’éducation pour adultes, s’exerce à l’écriture durant une session en classe à Kayna dans le territoire de Luberoen République Démocratique du Congo.

Le nouveau programme d’alphabétisation pour adultes est conçu pour aider les femmes à apprendre les compétences élémentaires dont elles ont besoin pour se frayer un chemin dans un monde de plus en plus difficile à explorer sans éducation de base, confie Edwige Kanyatsi, une psychologue impliquée dans le projet à Lubero.

« L’objectif est de sauver des populations, précisément les femmes, des conséquences de l’analphabétisme, » explique Kanyatsi.

Ce programme de scolarité gratuite a été lancé en juillet 2021 et ciblait principalement les femmes dans plusieurs zones du Nord-Kivu, notamment Nyiragongo, Masisi, Rutshuru, Rwanguba et Kayna, déclare Nasibu Baraka, coordinateur provincial des programmes d’alphabétisation pour adultes. Il est financé par la Banque mondiale et piloté par trois institutions : la Dynamique des Femmes Juristes (une organisation des femmes avocates), la plateforme d’alphabétisation à but non lucratif baptisée Collectif Alpha Ujuvi, et Caritas (une coalition d’organisations philanthropiques catholique fonctionnant dans plus de 160 pays).

« Nous avons obtenu de fabuleux résultats, » se réjouit Baraka.

Des initiatives identiques ont vu le jour à travers le pays, surtout avec l’appui d’organisations confessionnelles à but non lucratif comme Africa Inter-Mennonite Mission, un réseau d’églises chrétiennes évangéliques qui a dirigé le programme d’alphabétisation pour adultes dans les provinces de Kinshasa, Kwilu, Kasai, Kasai-Central et Kasai-Oriental depuis 2017, selon un rapport de l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie. Bien que le programme soit ouvert aux hommes, les femmes en restent la cible principale en raison de l’énorme disparité entre les sexes.

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MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Jeanne Masika Kiberiti à gauche, contrôle le travail de ses élèves. Dans le cadre d’un programme d’alphabétisation pour adultes, elle dispense des cours de lecture à Kayna dans le territoire de Lubero en République Démocratique du Congo.

Contrairement à Puruhya, qu’un handicap a poussé vers l’abandon, la majorité des femmes faisant partie du programme à Kayna pointent du doigt la culture de discrimination contre les filles comme la cause de leur manque d’éducation. Bahati Katungu Kamondi, âgée de 52 ans, voulait aller à l’école, mais ses parents s’y sont opposés, estimant qu’elle n’en avait pas du tout besoin.

« Ils pensaient que la mission de la femme est d’assurer les tâches ménagères, se marier, mettre au monde et garder les enfants, puis s’occuper de son mari, » soupire Kamondi, qui n’a appris que récemment à faire un appel téléphonique puisqu’enfin, elle sait lire.

Dans une salle de classe d’une école locale, environ 50 femmes âgées de 34 à 67 ans se rassemblent en petits groupes autour des tables. Jeanne Masika Kiberiti, 46 ans, leur enseigne depuis janvier les rudiments de la lecture, de l’écriture et de l’arithmétique. Elle démarre les sessions en testant les aptitudes de ses apprenantes à lire et à écrire le Swahili. Pendant qu’une élève lit, les autres essaient d’écrire à tour de rôle au tableau les mots qu’elles entendent. Au terme de l’exercice, la salle explose en applaudissements quand Kiberiti leur annonce qu’elle est extrêmement satisfaite de la manière dont la plupart d’entre elles ont lu et écrit. À la fin des cours, c’est une Kiberiti radieuse qui reconnaît qu’elle a vu en quelques mois d’enseignement la vie de ces femmes se transformer.

« Ces femmes savent déjà lire, écrire et calculer, » s’extasie-t-elle. « Même si quelques-unes d’entre elles accusent encore de petites insuffisances, au moins je suis satisfaite du travail abattu. »

« L’objectif est de sauver des populations, précisément les femmes, des conséquences de l’analphabétisme. »

Kiberiti affirme que l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de la mathématique a rendu les femmes plus indépendantes, certaines pouvant désormais se lancer dans des affaires ou améliorer celles dans lesquelles elles étaient déjà engagées. Une de ses apprenantes, Anastasi Kavira Sitwaminya âgée de 35 ans, précise qu’elle aurait bien voulu toute jeune profiter d’une éducation formelle, mais une maladie chronique l’en a empêchée. Elle est plus tard devenue vendeuse de beignets et d’arachides, mais des clients la trompaient parfois en raison de son incapacité à résoudre de basiques opérations de mathématique.

« De fois, en cas de change, je pourrais remettre une somme supérieure à celle que je devais aux clients, » se lamente-t-elle.

En septembre 2021, Sitwaminya a entendu parler d’une nouvelle campagne visant à enseigner aux femmes des aptitudes à la lecture. Elle a décidé de s’inscrire et depuis lors, elle a appris à lire, à écrire et à faire des calculs élémentaires.

« Depuis quelques mois, je ne connais plus de pertes et mon commerce se développe, » s’écrie-t-elle, toute radieuse.

Pour Jorime Kavira Shakeha, 42 ans, le fait de se sentir lésée et impuissante l’a motivée à aller à la quête du savoir dont elle a été privée gamine. Elle s’est mariée, et quand elle a eu deux filles parmi ses quatre enfants, elle a décidé de les envoyer à l’école en même temps que leurs frères, car elle voulait leur épargner le supplice que lui a causé l’analphabétisme.

« Quand tu es une femme qui ne peut ni lire ni écrire, ton champ d’activités est réduit, » confesse-t-elle.

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Voir ses filles sur le chemin de l’école lui a ôté certains de ces sentiments d’injustice, admet-elle. Mais quand son époux est décédé, lui qui gérait la plupart des affaires familiales, elle a eu peur de se faire duper par les personnes sur qui elle comptait pour l’aider à signer d’importants documents. Aussi n’a-t-elle pas hésité à s’inscrire dès le lancement du programme d’alphabétisation pour adultes. Elle peut à présent lire la Bible et, confesse-t-elle, elle n’a jamais été heureuse à ce point.

Kavugho Fatuma, une autre élève âgée de 48 ans, avoue qu’elle est enthousiaste de voir la communauté Nande inverser cette tradition qui empêche les filles d’avoir accès à l’éducation. Elle a noté le changement au début des années 2000, lorsque cette collectivité a commencé à scolariser les enfants sans discrimination de sexes.

« Les gens ont enfin compris que tous les enfants sont les mêmes et que les filles peuvent être aussi intelligentes et parfois plus utiles que les garçons, » confie-t-elle, ponctuant cet avis d’un rire prolongé.

Peut-être Fatuma fait-elle une demi-plaisanterie, mais le septuagénaire Matayo Kabuyaya (76 ans) appuie qu’il s’agit d’une question qui mérite une profonde réflexion. À un moment où cela paraissait encore anormal, il a inscrit tous ses dix enfants (quatre garçons et six filles) à l’école. Quand ses fils ont refusé de poursuivre leurs études au-delà du secondaire, il a encouragé ses filles à intégrer l’université. Aujourd’hui, la majorité d’entre elles travaillent. Il avoue que sa vie de personne âgée aurait été très difficile sans l’assistance de ses filles, qui continuent à lui apporter leur soutien même si elles sont mariées et ont quitté la maison.

« Mes filles sont l’exemple parfait de la raison pour laquelle il est si important pour une communauté d’avoir des femmes éduquées, » clame Kabuyaya. « Elles m’ont tellement aidé pendant que mes fils se promenaient sans direction. »

Merveille Kavira Lungehe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Kouethel Tekam Néhémie Rufus, GPJ.

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