Democratic Republic of Congo

Pour la première fois en RDC, des pygmées s’intéressent au travail, la faim s’éclipse et la paix s’installe avec les voisins

Depuis belle lurette, les pygmées de la forêt de l’Ituri pratiquent la chasse et s’insurgent contre les villageois voisins qui ont empiété sur leurs terres et effrayé leurs proies. Les villageois, à leur tour, accusent les pygmées affamés d’avoir volé leurs récoltes. Et avec l’appui des chefs de village, les pygmées adoptent le labour de la terre depuis 2017, ce qui a contribué à mettre un terme à des conflits souvent violents entre les deux groupes.

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DRC Pygmies Farm for the First Time, Easing Hunger and Tensions With Their Neighbors

Pascaline Kavuo Mwasi Saambili, GPJ RDC

Dans le village de Ngereza en République démocratique du Congo, Vakima Poloto (à gauche) et son frère, tous deux pygmées, ont récolté des haricots dans la forêt, et ce, pour la première fois cette année.

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NGEREZA, PROVINCE DE L’ITURI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Des cultures poussent au cœur de la forêt de l’Ituri, et ce, pour la première fois dans l’histoire.

Cette forêt reste le terroir des pygmées, un groupe indigène des forêts de la RDC qui a longtemps vécu loin d’autres civilisations. Faisant le choix de la culture des terres, ils contribuent à réduire les confrontations violentes avec les habitants du village de Ngereza.

Aux dires d’Henriette Autabi, femme pygmée, le passage au travail de la terre a également permis la modification des rôles masculin et féminin qui ont pris racine depuis des générations.

« Depuis que je suis née, je vis ici et nulle part ailleurs », relate-t-elle. « Avec nos rôles qui sont clairement définis, nos maris parcourent la forêt, faisant la chasse et le piégeage d’animaux. Et nous, les femmes, assumons la tâche de préparer de la nourriture ensemble ».

Pourtant, avec les habitants des villages voisins qui empiètent sur notre forêt, abattant des arbres et effrayant les animaux, la nourriture se fait parfois rare, déplorent Autabi et beaucoup d’autres pygmées.

« La chasse n’est plus une promenade dans un jardin de roses, et pour cause, des intrus envahissent aujourd’hui nos forêts, faisant fuir les animaux sauvages », ajoute-t-elle.

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Pascaline Kavuo Mwasi Saambili, GPJ RDC

Henriette Autabi, femme pygmée, cultive aujourd’hui des haricots près de chez elle dans la forêt de l’Ituri.

Chez les villageois aussi, les accusations contre les pygmées sont légion. Selon ces habitants, ils sont en mesure de savoir quand les pygmées sont tenaillés par la pénurie de vivres, parce qu’ils s’infiltrent dans leurs champs pour voler des récoltes.

Ces va-et-vient — tantôt les animaux effrayés, tantôt les récoltes volées, tantôt les récoltes volées, tantôt les animaux effrayés, — est à l’origine de la querelle souvent violente qui, depuis des générations, s’invite entre les habitants et les pygmées.

Mais cette année, les pygmées en ont assez avec la querelle et s’adonnent au travail de la terre pour la première fois dans l’histoire, et ce, avec l’appui des chefs de village locaux.

Jacques Musuani, 53 ans, est l’un de ces chefs de village ayant aidé les pygmées à apprendre à cultiver, et affirme que les échauffourées entre les deux groupes ont cessé avec l’adoption des travaux agricoles par les pygmées.

« Les combats interethniques étaient devenus monnaie courante », fait-il savoir. « Mais aujourd’hui, le clame et la paix règnent chez nous. Les gens sont tellement occupés dans leurs champs qu’ils n’ont plus le temps de se quereller ».

Selon les estimations du gouvernement de la RDC, le pays compte entre 25 000 et 600 000 pygmées. Toutefois, le gouvernement ne dispose pas de données précises, car le groupe n’a jamais participé à un recensement officiel. Cette région est devenue le vivier des affrontements entre villageois et pygmées depuis des années.

Mais le récent passage à l’agriculture a transformé la communauté pygmée, explique Autabi.

« Pour la plupart d’entre nous qui sommes en vie aujourd’hui, on avait du mal à imaginer la vie sans notre vieille manière de vivre », confie Autabi. « Mais aujourd’hui, la vente de nos produits agricoles sera un excellent moyen d’acheter de la nourriture et des vêtements sans nous tourner vers le vol ou la mendicité ».

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Pascaline Kavuo Mwasi Saambili, GPJ RDC

Aujourd’hui, des femmes pygmées s’adonnent au travail de la terre et affirment jouir de la paix avec des villages voisins.

Neema Makuba, 32 ans, un pygmée vivant dans la forêt d’Ituri, partage cet avis. Sa vie s’est littéralement transformée cette année, car elle passe maintenant ses journées à labourer les rangées de cultures nouvellement plantées.

« J’avais l’habitude de rester à la maison pour attendre que les hommes apportent de la nourriture pour cuisiner. Sinon, je n’avais d’autre choix que de demander l’aumône et mendier pour survivre », confie-t-elle. « Or aujourd’hui, je passe mon temps à labourer la terre, et je garde espoir que bientôt viendra le temps où mes enfants ne seront plus la proie des douleurs lancinantes de la faim ».

Pour d’autres, le passage à l’agriculture est exaltant, car il sonne le glas de la violence et de la triste réputation des populations pygmées dans les villages voisins.

« Bien trop souvent, il y avait certes des affrontements violents entre nous et les groupes ethniques voisins », explique Vakima Poloto, 18 ans. « Je suis confiant que les choses pourront s’améliorer, car nous tournerons le dos au vol des récoltes. L’agriculture va changer notre vie ».

Aussi les habitants dans les villages affirment-ils que ce changement de donne est pour eux aussi un ouf de soulagement.

Muba Buruchu, 38 ans, qui vit à Ngereza, affirme que sa famille était toujours en conflit avec la communauté pygmée.

« Il est des moments où nous avions même peur d’aller dans la forêt pour couper des arbres », précise-t-il.

Aujourd’hui, une nouvelle ère de calme règne dans toute la région, raconte-t-il.

Dieudonné Kambale, un agronome ayant aidé à enseigner à certains groupes pygmées l’art de travailler la terre, dit qu’il espère l’enseigner aux autres dans toute la région.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.