Haiti

À l’ère numérique, une caravane cherche à redonner vie aux jeux traditionnels

La marelle et le jeu de dominos, ces deux traditionnelles activités à Haïti, sont enseignés à travers le pays, ciblant des enfants qui courent plus de risques d’être absorbés par des jeux sur l’écran de leurs portables. Un duo père-fils s’active pour préserver des jeux traditionnels en faisant le tour du pays pour les enseigner aux enfants.

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In Haiti, Caravan Tours Seek to Revive Traditional Games in the Digital Age

Géraldine Colin, GPJ Haiti

Anderson Andral (à gauche), musicien professionnel, s’amuse au jeu traditionnel de Kay (maison, en créole haïtien) avec un jeune volontaire à Martissant, banlieue sud de Port-au-Prince. Andral a rassemblé plusieurs jeux traditionnels et a, en 2014, lancé une caravane touristique de jeux baptisée «Caravane de l'Art».

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — Rassemblés à l’extérieur dans une petite cour dans le bidonville de Martissant, des enfants s’amusent aux jeux: marelle, cache-cache et dominos. Certains s’attèlent au saut à la corde et au tire aux billes tandis que le ralba, ce jeu local consistant en un bouchon de bouteille dans lequel sont percés des trous où l’on passe une ficelle, est prêt pour l’action sur des tables à proximité. Et à la tombée du jour, le voisin Richelet Lamarre, 63 ans, va arriver pour créer l’engouement avec des contes populaires, des blagues et des devinettes.

Parmi le groupe figure Joemaï Bonel, 12 ans.

«J’adore chaque seconde de Mortal Kombat et de Game Master. Mais aujourd’hui, je trouve les jeux traditionnels beaucoup plus intéressants».

Il y a quatre ans, Bonel était initié à ces jeux lorsqu’ Anderson Andral, musicien local âgé de 29 ans, a décidé d’initier les enfants locaux absorbés par l’électronique à certains des jeux auxquels les Haïtiens s’étaient amusés des générations durant.

Avec son père, Andral a rassemblé une collection de jeux de société, de jeux de cercle et d’autres jeux d’antan jadis prisés par les enfants et, ensemble, ils ont lancé en 2014 une caravane de jeux baptisée «Caravane de l’Art».

J’adore chaque seconde de Mortal Kombat et de Game Master. Mais aujourd’hui, je trouve les jeux traditionnels beaucoup plus intéressants.

Pendant une période d’un mois chaque année, la caravane part de la capitale Port-au-Prince et sillonne le pays, y compris Jérémie, ville située à la pointe de la péninsule méridionale d’Haïti, le port des Cayes et une ville côtière de Léogâne, environ 42 kilomètres à l’ouest de Port-au-Prince.

Bonel affirme que son coup de cœur s’est particulièrement porté vers le jeu traditionnel de Ludo auquel il s’amuse avec son grand-père et sa mère. Le Ludo est à la fois un jeu de société et de stratégie. Au départ, les pions sont à la base et les joueurs jettent un seul dé tout en rivalisant pour faire tous les quatre pions terminer les premiers leur course sans être «mangés» par les pions de l’adversaire et ainsi les faire retourner sur leurs cases de départ.

Le caractère intergénérationnel de ces jeux et le fait que ces derniers se jouent en groupe contrastent avec des jeux sur ordinateur, des applications et des jeux vidéo qui, souvent, créent l’isolement des enfants.

Ursule Jean, 37 ans, dit que la caravane a aidé ses deux enfants timides à se faire de nouveaux amis.

«Avec mon fils aîné, c’était difficile de trouver un sujet de conversation intéressant entre nous ». «Outre ses devoirs scolaires qui constituent son passe-temps, il passe beaucoup de temps à regarder la télévision et à s’amuser à des jeux vidéo».

Les jeux traditionnels aident Jean à se rapprocher de ses enfants en créant «un espace chaleureux de conversation entre mes enfants et moi-même. Mon fils en profite pour faire des connaissances et interagir avec d’autres personnes», lâche-t-elle.

Ce renouement nous est utile, dit-elle, car il est difficile pour un parent de contrôler l’utilisation des portables par ses enfants et encore moins «de connaître le genre de personnes avec qui nos enfants interagissent» en ligne.

«En tant que mère, le renouement avec des jeux traditionnels dit beaucoup pour moi», renchérit Jean.

Le jeu de Kay, les contes de fées et les contes populaires tels que Tezin Nan Dlo, entre autres traditions véhiculées par la caravane font partie de la richesse patrimoniale d’Haïti que la nation risque de perdre si elle n’est pas transmise aux jeunes générations. Le jeu de Kay est un jeu de la famille mancala dans lequel on est en face de deux rangées de trous peu profonds creusés dans le sol et des pièces qui sont distribuées suivant les règles selon lesquelles un joueur essaie de capturer les pièces adverses.

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Géraldine Colin, GPJ Haiti

Un groupe s’amuse au jeu traditionnel Ludo à Martissant, bidonville situé au sud de Port-au-Prince, capitale d’Haïti.

Tezin Nan Dlo est un conte de la tradition orale d’Haïti qui, à l’instar des contes populaires, est agrémenté selon le conteur. Au cœur de ce conte réside une relation d’amitié entre une fille et un poisson qui se sont liés d’amitié après que le poisson ait aidé la fille à secourir sa bague qui était tombée accidentellement dans des eaux profondes. Le poisson a aidé la jeune fille à apporter de l’eau potable à sa famille, mais avec la jalousie, l’émotion de la fin tragique du récit ne fait que couler des larmes.

Louis Lecoin, professeur d’histoire de l’art à l’École nationale des Arts et également responsable des musées au Bureau national d’Ethnologie, affirme que les jeux contribuent à remettre les enfants sur les bons rails et à les aider à affronter des épreuves.

À en croire Andral, fondateur de la caravane des jeux, le jeu de Kay est son préféré, car il est pour lui l’occasion de penser stratégiquement. Il adore voir les enfants s’amuser aux jeux ayant bercé sa jeunesse.

«Aujourd’hui, très peu de jeunes se rappellent des jeux qui nous plaisaient beaucoup à la campagne, et les jeunes restent émotionnellement attachés à leurs smartphones. Les conversations de la vie courante ont cédé place à WhatsApp ou Facebook», dit-il. «J’espère qu’un jour on aura une plate-forme pour préserver toutes nos traditions».

 

Adapté à partir de sa version originale en français par Sylvestre Ndahayo, GPJ.