Democratic Republic of Congo

Pour soigner la carie dentaire, les guérisseurs traditionnels de la RDC se tournent vers un ingrédient insoupçonné.

Les guérisseurs traditionnels exploitent des traitements vieux de plusieurs générations pour soulager de la carie et des douleurs dentaires.

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To Treat Cavities, DRC’s Traditional Healers Turn to a Surprising Ingredient

Françoise Mbuyi Mutombo, GPJ RDC

Jean Claude Lipaso, un guérisseur traditionnel, utilise des coquilles d’escargots réduites en poudre et du sel pour soigner les caries dentaires de Rosette Sodi (5 ans) à Kabondo, Kisangani, en RDC.

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TSHOPO, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Avec une concentration sereine et une remarquable aisance, Jean Claude Lipaso mélange des poudres pour traiter la carie dentaire d’une fillette de six ans assise à ses côtés. Ces dernières années, cet homme âgé de 38 ans et père de trois enfants a gagné sa vie en utilisant des coquilles d’escargots broyées en poudre et mélangées au sel traditionnel pour traiter la carie dentaire, une technique qu’il a acquise de son grand-père. Durant près de deux décennies, le jeune garçon, aujourd’hui devenu un homme, est resté aux côtés de son grand-père (décédé en 2019), l’aidant dans son métier tout en s’imprégnant de son savoir.

« Mon grand-père a consacré de nombreuses années à traiter des enfants souffrant de la carie dentaire et moi, je suis son successeur. Cette poussière de la coquille d’escargot doit être placée juste au trou de la carie dentaire ; il faut avoir de la formation comme moi pour le faire », affirme Lipaso tout en appliquant le fameux mélange sur les dents de Nanah Lokamba, sa jeune cliente.

De l’avis de Lipaso, se procurer des coquilles d’escargots et du sel ne pose aucun problème, mais le plus difficile est de savoir comment s’en servir. Bien que cette technique ait été transmise d’une génération à l’autre, il est le seul dans sa famille immédiate à avoir appris ce métier auprès de son grand-père.

Grâce à cette méthode, Lipaso a trouvé un moyen facile de soulager les populations, car de nombreux enfants au sein de la communauté souffrent de carie dentaire, tandis que l’on déplore la forte pénurie des services de stomatologie dans la ville de Kisangani et la vaste province de la Tshopo. Même lorsqu’ils sont disponibles, les services ont des coûts exorbitants. Pour un enfant, une seule extraction dentaire coûte environ 20 dollars ou plus, un luxe que de nombreuses personnes ne peuvent tout simplement pas s’offrir. Pour environ 8 000 francs congolais (3 $), le traitement qu’offre Lipaso est beaucoup moins onéreux. « Je ne demande pas beaucoup d’argent comme font les dentistes modernes pour extraire juste une dent », déclare-t-il.

D’après Franci Baelongandi, chef de la division provinciale de la santé de la Tshopo, « la Tshopo comme une grande province du pays ne compte que cinq médecins dentistes ». Deux d’entre eux sont basés à Kisangani, la capitale de la province. Baelongandi estime qu’il s’agit là d’un défi de taille pour les personnes ayant des problèmes dentaires, car certaines de ces affections exigent des compétences que n’ont pas les médecins généralistes.

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Françoise Mbuyi Mutombo, GPJ RDC

Jean Claude Lipaso utilise une poudre traditionnelle faite de coquilles d’escargots moulues et de sel pour soigner les caries dentaires à Kabondo, Kisangani, en RDC.

Le traitement dentaire à base de coquille d’escargot est-il efficace ?

Augustin Sindani, âgé de 36 ans et père de quatre enfants, se réjouit du traitement administré par Lipaso à l’un de ses gamins il y a quatre mois. Il confie qu’avant cette prise en charge, ce dernier avait énormément souffert.

Lipaso a également soigné la fille de Mado Mulamba, une commerçante âgée de 45 ans et mère de plusieurs enfants. « Ma fille a beaucoup trainé avec la carie dentaire depuis l’âge 5 ans. Chaque fois, on lui faisait extraire une dent et après quelque temps l’autre. Sans répit, elle avait mal ; rien ne marchait », explique Mulamba. « Mais une fois, une amie est venue me montrer ce tradipraticien qui traite la carie dentaire chez les enfants, et une fois traitée ma fille n’a plus le mal dentaire. »

Mulamba est persuadée que l’extraction dentaire, loin de résoudre le problème de la carie, n’est qu’une sorte d’exutoire à la douleur immédiate. Elle préfère le traitement traditionnel qui de surcroît s’avère plus économique qu’une visite chez le dentiste.

« L’extraction d’une seule dent coûte 20 dollars. Alors, si l’enfant a un problème avec plus de deux dents c’est beaucoup d’argent ! Au même moment, il faut chez le tradipraticien juste 8 000 francs congolais (3 $) pour le traitement complet », précise-t-elle.

Pour Mulamba, pouvoir préserver la dent constitue autant pour les parents que pour leurs enfants un bonus. Par ailleurs, pour chaque dent attaquée, le traitement traditionnel n’est nécessaire qu’une seule fois et point n’est besoin de multiplier les séances.

Des études scientifiques confèrent une certaine crédibilité aux affirmations de Lipaso relatives aux bienfaits de son médicament. De nombreuses études ont démontré l’efficacité des coquilles d’escargots, broyées en poudre, dans les traitements dentaires. La matière dense, riche en carbonate de calcium, peut être un élément de valeur pour les greffes osseuses ou les soins odontologiques. Selon une étude publiée dans l’American Journal of Chemistry, certaines coquilles d’escargots sont même dotées de propriétés antibactériennes.

« L’extraction d’une seule dent coûte 20 dollars. »

« La taille des granules de coquilles d’escargots est particulièrement importante, car une réduction de celle-ci permet d’obtenir une plus grande zone de surface. Un nombre considérable de ces produits naturels résulte de l’étude scientifique de remèdes traditionnellement employés par diverses cultures aux quatre coins de la planète, » selon une étude sur l’application de la nanotechnologie pour l’hygiène dentaire (Application of Nanotechnology for Cleaning of Teeth). Des communautés à travers le monde ont utilisé les coquilles d’escargots pour le nettoyage des dents.

Disponibilité des coquilles d’escargots en RDC

En RDC et particulièrement dans la province de la Tshopo, l’escargot, ou mbembe, comme on l’appelle en lingala, gagne à nouveau du terrain. Selon le ministère de l’Environnement et Développement Durable, plusieurs communautés utilisent l’escargot (mbembe) pour enrichir leur alimentation.

Par le passé, quelques collectivités seulement consommaient l’escargot ; mais avec les défis économiques de ces dernières années, ce mollusque est devenu pour beaucoup, y compris à Kisangani, une source de protéine nutritive et bon marché.

Des médecins se prononcent

Certains croient que les traitements de Lipaso pourraient être préjudiciables.

« Ce traitement que font les tradipraticiens contre la carie dentaire chez les enfants est beaucoup plus dangereux parce que vous ne connaissez pas la quantité ou la dose du médicament donnée aux malades », se lamente Baelongandi, expliquant qu’il y a dans la ville d’autres tradipraticiens qui soignent la carie dentaire de manière identique et par conséquent, ses critiques ne prennent pas Lipaso pour cible directe.

La ville de Kisangani, avec une population de plus de 1,37 million d’âmes, compte uniquement deux dentistes ; Amisi Luando est l’un d’eux. Il exerce depuis plus de 10 ans cette profession dans la ville et avoue que la pénurie des dentistes constitue un défi de taille. Luando affirme que les maladies dentaires sont assez courantes dans la ville, car les enfants se gavent de friandises comme des bonbons et des biscuits. Les parents se tournent vers la médecine traditionnelle qui est une option moins coûteuse, mais les dentistes estiment que ces traitements n’offrent qu’une solution temporaire ; autrement dit, les malades auront l’obligation de retourner prendre des soins supplémentaires. Luando soutient que si les malades consultent le dentiste dès l’apparition de la douleur, ce dernier peut mettre sur pied une solution définitive. Mais bien souvent, les malades viennent vers lui trop tard, alors qu’ils ont déjà des infections, ce qui complique davantage l’avulsion dentaire.

De l’avis du dentiste, l’extraction est plus efficace que la prise des médicaments, laquelle est typique en médecine traditionnelle, car cette dernière pourrait générer de fâcheuses conséquences comme des infections.

« Ce traitement que font les tradipraticiens contre la carie dentaire chez les enfants est beaucoup plus dangereux parce que vous ne connaissez pas la quantité ou la dose du médicament donnée aux malades »Chef de la division provinciale de la santé de la Tshopo

Lipaso rejette toutefois l’allégation selon laquelle les soins traditionnels contre la carie dentaire sont dangereux, soutenant qu’il calcule avec attention ses dosages pour s’assurer qu’il soulage convenablement la douleur des enfants qu’il prend en charge.

Tradition ou science : le débat est ouvert

La science à elle seule ne pourrait probablement pas éradiquer en RDC le scepticisme du corps médical à l’égard des traitements traditionnels, une tension qui persiste depuis des décennies.

Au niveau national en RDC, l’on a depuis 2001 un programme de médecine traditionnelle, mais la collaboration avec le secteur officiel de la santé se trouve entravée par la crise de confiance entre les guérisseurs traditionnels et les professionnels de la médecine scientifique. La question devient encore plus complexe en raison non seulement de la nature non structurée de cette profession de guérisseurs traditionnels, mais aussi de l’infiltration de « charlatans » dans ce corps de métier, selon un document de stratégie gouvernementale de 2016.

« [La médecine traditionnelle] représente une composante importante de l’offre en matière de couverture médicale. Dans certains domaines, il s’agit même du premier recours, en raison du manque d’infrastructures modernes, une accessibilité financière pitoyable ainsi que le caractère particulier de certaines pathologies (fractures, troubles mentaux, etc.) », selon le plan 2016-2020 du ministère de la Santé.

Lipaso ne se préoccupe pas de l’opinion des détracteurs de la médecine traditionnelle. Les résultats ont pour lui plus d’importance et il se réjouit de pouvoir procurer du soulagement à ses malades. Il doit parfois affronter l’opposition des médecins de la région qui dénigrent son métier, mais il estime que ses clients satisfaits constituent la preuve de sa réussite. Durant les mois d’intense activité, il peut traiter 10 à 25 clients, bien qu’il y ait des mois où il n’enregistre pas le moindre patient. Il assure que son traitement est toujours un succès, mais qu’il doit faire face à un gros défi : la pénurie des coquilles et du sel traditionnel. C’est essentiellement sur les berges du fleuve Congo que Lipaso ramasse ses coquilles, mais en raison de récentes crues et des conflits entre communautés, il ne peut traverser vers la rive opposée où pourtant il en trouverait davantage.

À Kisangani, il est l’une des rares personnes à avoir poursuivi ce traitement séculaire contre la carie, mais le regain d’intérêt des populations pour la consommation de l’escargot ainsi que son utilisation comme remède naturel contre les caries pourraient annoncer une renaissance de la médecine dentaire traditionnelle. D’autres communautés ont récemment fait un repli vers la sagesse ancestrale, comme on le constate au Mexique avec la résurgence d’anciens super-aliments ou en RDC avec des variétés locales d’œufs pour les remèdes à base de plantes.

Lipaso est optimiste. Il explique qu’avec la hausse constante des coûts de traitements médicaux, davantage de personnes essaieront des options alternatives.

« Je reçois de plus en plus de personnes qui viennent pour des consultations », confie-t-il.

Françoise Mbuyi Mutombo est journaliste à Global Press Journal en poste à Kisangani, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Kouethel Tekam Néhémie Rufus, GPJ.