BUKAVU, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Dans une maison qu’on dirait abandonnée à la périphérie de la ville, cinq jeunes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres vivent ensemble et cachés.
Selon certains activistes, des cas de violence et de discrimination sont en hausse au grand dam des LGBT à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu en RDC.
Trois gays et deux lesbiennes vivent ensemble dans cette micro-maison de 5 mètres carrés. Face au chômage, la prostitution s’avère leur seule porte de sortie, celle qui se fait la nuit et leur permet de trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Et le loyer se payant à tour de rôle, ces colocataires déboursent 20 dollars par mois.
Une chose est sûre, ils ont tous connu le même sort: abandon par des proches, privation du droit à l’emploi et excommunication par des églises. Selon leurs dires, l’intimidation, l’enlèvement, l’arrestation et la violence sont leur lot quotidien. Et pourtant, l’homosexualité est dépénalisée en RDC.
Selon Consolé Bahati, 28 ans, ses parents ont découvert qu’elle était homo en 2006. Et sans tarder, les parents ont arrêté de payer ses frais de scolarité, la forçant à quitter l’école. À l’en croire, ce n’est que récemment qu’elle a choisi de se sentir dans la peau d’une femme.
Quand elle était encore au banc de l’école, elle se sentait à l’aise avec des filles, mais ces dernières l’évitaient quand elle portait des jupes et mettait du maquillage, confie-t-elle.
La violence semblait la suivre partout où elle se rendait.
« Une fois au marché, des mamans nous traitaient de sorcières et d’autres nous jetaient des pierres », fait-elle savoir. « D’autres refusaient tout simplement de nous vendre leurs marchandises car, selon elles, c’était une malédiction ».
D’après elle, le rejet par ses anciens amis est plus douloureux que la violence.
« Dans mon église, je chantais à la chorale de l’église. Mais lorsque mon orientation sexuelle a été rendue publique, j’ai été immédiatement excommuniée », déplore-t-elle. « Mes collègues dans la chorale ne pouvaient même pas me dire bonjour en cours de route. Ils me fuyaient lorsque je m’approchais d’eux ».
Bahati vit dans des maisons abandonnées, et ce, en marge de la société depuis près d’une décennie.
À la différence d’autres pays de la région comme l’Ouganda et le Kenya, la RDC n’a jamais pénalisé l’homosexualité. Mais l’acceptation sociale des LGBT demeure un rêve dans ce pays.
L’Action pour la lutte contre l’injustice sociale (ALCIS), une organisation de défense des droits de la personne basée à Bukavu, milite en faveur des minorités sexuelles au Sud-Kivu.
Au cours de 2017, ce groupe a publié plusieurs rapports dénonçant la violence contre la communauté LGBT, en particulier celle contre les travailleurs du sexe gay.
Un rapport publié en avril dernier dépeint une situation où cinq homos ont été forcés de fuir leur maison quand cette dernière a été perquisitionnée par la police. Tous les cinq ont été battus par la police et chassés du quartier.
Ici, les LGBT n’ont aucun droit aux voies de recours, annonce Alphonse Mihigo, président de l’ALCIS.
Quoique des rapports non officiels soient chose courante, on a du mal à amener les gens à dénoncer officiellement les cas de violence, affirme-t-il.
« Il est regrettable que cinq cas aient été dénoncés dans un intervalle de quatre mois, ce qui suggère que ni les autorités ni les organisations de la société civile n’élèvent la voix contre ce fléau de la violence », dit-il.
Mihigo fait savoir que les LGBT sont traités de criminels dans leur propre patrie alors que l’homosexualité n’est pas punie par la loi.
« Nous sommes des Congolais et avons tous le droit de vivre où nous voulons dans notre pays et circuler librement. Nous ne sommes pas des étrangers dans notre propre pays » martèle-t-il.
Amanda, colocataire de Bahati, dit que c’est bien pire qu’on le croit.
Portant le nom Jerry à sa naissance, elle s’appelle aujourd’hui Amanda. Comme elle l’affirme, elle n’oubliera jamais la première fois qu’elle s’est habillée en femme et est sortie en public.
« Un dimanche, j’ai mis du maquillage et porté une jupe et pris un sac à main», dit-elle. « Je suis montée dans un taxi et j’ai immédiatement attiré des regards et des passagers se sont mis à chuchoter ».
Selon ses dires, elle a lancé un « bonjour à tout le monde » à d’autres passagers, mais ça n’a rien arrangé.
« Derrière moi, j’ai entendu un chuchotement, ‘ c’est un garçon!’ et un autre qui disait ‘ non! c’est une femme, ne vois-tu pas qu’elle a mis du maquillage »!, se souvient-elle.
Et puis, une mère avec son enfant dans le taxi a hurlé demandant au chauffeur de s’arrêter. Le chauffeur, lui, a fait Amanda sortir de force pour faire plaisir à d’autres passagers.
« Nous vivons cela chaque jour », lâche-t-elle.
Aujourd’hui, ALCIS dispose de nouveaux programmes qui aident au renforcement de la tolérance, révèle Mihigo.
Mais de l’avis des cinq jeunes vivant dans la micro-maison à la périphérie de la communauté, l’espoir de changement ne s’annonce qu’à petite dose.
« Des attaques pouvaient arriver à tout moment. Nous devions rentrer en courant et nous enfermer dans la maison », explique Bahati. « C’est dur de vivre ça ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.