Democratic Republic of Congo

Malgré les risques, les cliniques médicales sont reléguées au rang de pis-aller

En RD Congo, la zone rurale connaît le règne des remèdes traditionnels à base de plantes. Une telle situation peut se traduire par des erreurs de diagnostic et des traitements inefficaces, ce qui a pour corollaire nombre de femmes se retrouvant avec des problèmes de santé plus graves avant de finalement se rendre dans une clinique.

Confiance et Médecine Traditionnelle: Part 2. Lisez Part 1

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Despite Dangers, Medical Clinics Act as Last Resort

Merveille Kavira Luneghe, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Le Dr Demetrio Tembo Kipisa surveille une patiente ayant subi une kystectomie ovarienne au centre de santé de référence de la Communauté baptiste d’Afrique centrale à Kirumba.

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KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Lorsque Kanyere Vihamba a senti quelque chose bouger dans son ventre, elle a consulté un herboriste qui lui a dit qu’elle avait des vers intestinaux tout en lui prescrivant un mélange d’herbes.

S’il y a quelque chose qu’elle n’envisagerait généralement pas, c’est de se faire soigner par des médecins professionnels. Après avoir pris le mélange d’herbes, sa douleur est pourtant devenue si extrême qu’elle pouvait à peine se tenir assise.

« J’ai été poussée à aller au centre hospitalier Ndihira [un hôpital privé à Kirumba] de peur que je ne meure », confie cette cultivatrice de Kirumba, une commune rurale au nord de Goma, dans l’est de la RD Congo.

Après une série d’examens médicaux, le médecin a constaté qu’elle avait un kyste de l’ovaire, déjà à un stade avancé.

Jamais Vihamba n’avait entendu parler d’un kyste de l’ovaire. Son ablation nécessitait une intervention chirurgicale.

Le cas de Vihamba est fréquent dans les zones rurales de la RD Congo où, en raison de l’absence d’accès aux soins de santé et d’une dépendance excessive à la médecine traditionnelle, beaucoup ne sont pas habitués aux contrôles médicaux. Lorsque les femmes développent des symptômes tels que des douleurs abdominales, la plupart font recours aux guérisseurs traditionnels ou font de leur choix des herbes pour l’automédication.

Souvent, elles se présentent en consultation médicale après une aggravation dangereuse de leur état. Les autorités sanitaires préviennent qu’en cas d’absence de sensibilisation de la communauté à la nécessité de faire des soins professionnels leur choix prioritaire, les femmes rurales en RD Congo risquent de graves problèmes de santé.

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Les femmes font le choix très tardif de se présenter en consultation médicale après avoir développé des fibromes et des kystes de l’ovaire qui sont à l’origine de la plupart des interventions chirurgicales chez les femmes dans la région à cause de l’absence persistante de sensibilisation à la santé reproductive, révèle le Dr Demetrio Tembo Kipisa, médecin directeur du centre de santé de référence de la Communauté baptiste au centre de l’Afrique à Kirumba.

Le système de santé du pays a connu son lot de difficultés ayant contribué aux mauvais résultats en matière de santé reproductive. Des décennies de violence qui s’est propagée depuis des pays voisins — et qui est toujours présente dans la partie orientale de la RD Congo— a détruit les infrastructures sanitaires et provoqué beaucoup de déplacés, rendant encore plus difficile l’accès aux services de santé.

En RD Congo, les zones rurales ont été particulièrement touchées. Dans les zones rurales de la RD Congo, un seul ménage sur quatre habite à moins d’un kilomètre d’un hôpital public, selon les données de 2015 de l’Institut national de la statistique (INS) du pays.

Pourtant, à en croire les données de la Banque mondiale, plus de la moitié de la population du pays, soit environ 54 %, vit en milieu rural.

Le non-recours par des femmes aux soins par un professionnel de santé se justifie par le manque d’accès aux hôpitaux. Mais ce n’est pas la seule raison. Plusieurs personnes dans les communautés rurales ont l’habitude de recourir à la médecine traditionnelle, laquelle occupe un rôle important dans le système national de soins de santé de la RD Congo.

Un programme national visant la réglementation de l’utilisation de la médecine traditionnelle a vu le jour dans le pays depuis 2001. Pourtant, l’intégration sans faille des praticiens de la médecine traditionnelle dans le système national de soins de santé n’a pas été réussie en raison de la méfiance entre les praticiens de la médecine traditionnelle et les professionnels de la médecine moderne, ainsi que du manque de structure qui caractérise la profession traditionnelle et des praticiens non agréés et parfois frauduleux qui ont pignon sur rue.

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Lorsque les habitants des zones rurales tombent malades, la médecine traditionnelle reste souvent la première option de traitement, malgré ces risques. Parfois, c’est la seule dont ils ont connaissance.

Edwige Katungu Pahali, une lycéenne, raconte qu’elle ne savait pas qu’elle devait se rendre à l’hôpital lorsqu’elle a ressenti des douleurs abdominales. « Personne ne m’en avait parlé », avoue-t-elle.

Ce n’est que lorsque la douleur a persisté qu’elle est allée se faire consulter par un médecin. Et après ? Elle a appris qu’elle avait un kyste de l’ovaire et reçu un traitement.

Chriso Kasereka partage une expérience similaire. Lorsque sa femme s’est plainte de douleurs, il a pensé qu’elle souffrait d’une appendicite. Il lui a donné des fruits d’une plante communément appelée « muranda » qui est utilisée localement pour traiter l’appendicite, en espérant que cela allait soulager sa douleur.

Mais après plusieurs jours pendant lesquels sa femme était incapable de s’asseoir à cause de la douleur, Kasereka l’a emmenée au Centre de santé de référence de la Communauté baptiste au centre de l’Afrique à Kirumba.

« Elle a subi une intervention chirurgicale après un examen échographique qui a confirmé un kyste de l’ovaire », confie-t-il.

L’intervention chirurgicale lui a coûté 178 000 francs congolais, ce qui est une somme élevée dans un pays où, selon les estimations de la Banque mondiale de 2018, 73% de la population disposent de moins de 1,90 dollar par jour pour vivre.

Il faudrait organiser une campagne de sensibilisation, conseille Kipisa, médecin directeur du centre de santé.

« Qu’elle [la population] sache qu’il est important de connaître l’état de santé avant même que la maladie n’apparaisse. Sur ce, la sensibilisation doit être générale pour faire comprendre les habitants », ajoute-t-il.

« Qu’elle [la population] sache qu’il est important de connaître l’état de santé avant même que la maladie n’apparaisse ».

Alors que les interventions chirurgicales sont généralement couronnées de succès, Kipisa prévient que si ces femmes ne sont pas traitées, elles risquent de développer, entre autres complications, des troubles tels que l’infertilité, des saignements, l’ablation de l’utérus et des accouchements prématurés.

Le Dr Eugène Nzanzu Salita, ministre provincial de la Santé du Nord-Kivu, où se trouve Kirumba, affirme que le gouvernement éduque la population sur les questions de santé et décourage l’automédication. Cependant, il n’a pas fourni d’informations spécifiques sur ces efforts.

Kavugho Kinyambumbu, agent de santé communautaire au centre de santé Bulinda à Kirumba, affirme qu’elle et ses collègues ont également contribué à sensibiliser la population et à l’encourager à se faire soigner par un professionnel de santé. Ils ont employé diverses méthodes, notamment l’organisation de visites à domicile et l’utilisation de mégaphones pour passer des annonces dans le village.

Malgré ces efforts, Kinyambumbu reste pessimiste, car elle constate peu de changements dans les comportements. Elle ajoute que certains membres de la communauté attendent d’être trop malades ou d’être proche de la mort pour être emmenés à l’hôpital.
Mais pour Vihamba, la décision d’aller enfin se faire soigner dans un hôpital n’a fait que d’ouvrir ses yeux.

« J’ai trouvé qu’il est bon de se faire consulter avant tout traitement », fait-elle savoir.

Merveille Kavira Luneghe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.

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