Democratic Republic of Congo

Covid-19 : l’effort vaccinal se heurte aux guérisseurs traditionnels

À l’heure où le nombre de guérisseurs non agréés augmente et fait obstacle aux efforts de vaccination déployés par la RD Congo, les autorités sont aujourd’hui en train de sévir contre les praticiens de la médecine traditionnelle prétendant être un rempart contre le Covid-19.

Confiance et Médecine Traditionnelle: Part 1. Lisez Part 2

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Traditional Healers Hinder COVID Vaccination Drive

FRANÇOISE MBUYI MUTOMBO, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Les autorités sont en train de sévir contre les guérisseurs traditionnels qui affirment que leurs traitements à base de plantes peuvent protéger les gens contre le Covid-19 alors qu’aucun élément de preuve existe pour étayer leurs affirmations.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Pendant 15 jours, Alpha Mbula en a pris chaque matin. Il s’agit d’un verre de jus rouge amer, d’un mélange de feuilles et de pommes rouges, tous prescrits par un guérisseur traditionnel. Il espérait voir cette concoction conjurer le Covid-19, maladie provoquée par le coronavirus. Plutôt que de voir son espoir devenir réalité, la concoction lui a causé des complications cardiaques potentiellement mortelles.

Non seulement les autorités de Kisangani, une ville dans le nord de la RD Congo, luttent contre la pandémie, mais elles livrent bataille contre le nombre croissant de praticiens fraudeurs prétendant offrir des traitements à base de plantes non testés qui, selon leurs dires, sont le meilleur rempart contre le Covid-19.

Quelques jours après avoir terminé son traitement chez un guérisseur non agréé, Mbula, 37 ans, a eu de violents maux de ventre. Il a vite fait d’aller à l’hôpital et, en septembre, il a reçu un diagnostic de toxicité cardiaque, une affection caractérisée par l’endommagement du muscle cardiaque par une toxine. Deux semaines de soins d’urgence ont sauvé la vie de ce commerçant qui reste toutefois sous traitement et incapable de reprendre son travail.

De retour chez lui, dans l’est de Kisangani, Mbula décrit sa maladie comme une prise de conscience. « Je ne compte plus retourner encore chez un guérisseur traditionnel », déclare-t-il. « Je n’ai plus confiance en eux, même s’ils prétendent être des experts ».

Mais, lorsqu’ils tombent malades, nombre de gens ont toujours recours aux guérisseurs traditionnels plutôt qu’aux médecins. Beaucoup de guérisseurs déconseillent à leurs patients de se faire vacciner contre le Covid-19, malgré l’existence de très nombreuses preuves montrant que les vaccins protègent contre cette maladie.

La médecine traditionnelle en soi « n’est pas une mauvaise chose », affirme Jean Louis Alaso, maire de Kisangani, reconnaissant que cette médecine a un passé historique et ancien dans le traitement des maladies. En RD Congo, les tradipraticiens se définissent comment étant des personnes qui utilisent les propriétés curatives de plantes, d’animaux ou de minéraux, et ils coexistent avec les médecins qualifiés. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a, elle aussi, exprimé son soutien vis-à-vis de la médecine traditionnelle lorsque ses bienfaits et sa sécurité sont scientifiquement démontrés.

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Mais, à l’instar de l’OMS, Alaso met sérieusement en garde contre l’utilisation de la médecine traditionnelle non prouvée comme traitement préventif ou curatif du coronavirus mortel apparu en décembre 2019.

« Le mal pour notre pays, et précisément dans la ville de Kisangani, [c’est qu’] on les observe partout dans les rues, prétendant soigner toutes les maladies avec des plantes », s’alarme le maire. « Ces tradipraticiens font croire à la population qu’ils sont en train de soigner le Covid-19 avec des plantes de la forêt ».

L’ampleur du problème a poussé les autorités à prendre des mesures punitives contre les tradipraticiens non agréés.

Seules 13 cliniques sont autorisées à pratiquer la médecine traditionnelle à Kisangani, déclare Augustin Salumu, agent du conseil chargé d’identifier les praticiens hors-la-loi. Mais depuis l’épidémie de Covid-19, son équipe a repéré plus de 60 centres qui opèrent « clandestinement » dans des maisons à travers la ville. Certains guérisseurs non enregistrés opèrent même dans la rue. Depuis le début de l’enquête l’année dernière, 26 cliniques illégales ont été fermées, confie-t-il.

Précédée d’une mise en garde, la peine prévue pour ceux qui pratiquent la médecine traditionnelle sans être agréés est de 500 000 francs congolais. En cas de récidive, cette peine est portée à une amende plus élevée de 1 000 dollars et à trois mois de réclusion. Mais la pratique ne cesse de se propager.

« Ces tradipraticiens font croire à la population qu’ils sont en train de soigner le Covid-19 avec des plantes de la forêt ».

« Nous avons du mal à y mettre fin », avoue Luc Alungu Walisaya, ministre provincial de la Santé, estimant qu’au moins 65% de la population de Kisangani fréquentent les guérisseurs traditionnels. Selon lui, l’un des principaux défis à relever est le « changement de stratégies » par les guérisseurs qui, aujourd’hui, sont nombreux à traiter leurs patients à leur domicile pour éviter d’être repérés.

La désinformation sur le Covid-19 ne se limitant pas aux guérisseurs non agréés, cela pose également problème. Même ceux qui sont enregistrés par le gouvernement et qui ont reçu une formation formelle en médecine traditionnelle prennent position contre le vaccin.

Dans une maison qui comporte une seule pièce dans le quartier de Motumbe, en plein centre de Kisangani, six patients sont vus en attente d’être reçus en consultation par Franck Kilombo, guérisseur traditionnel agréé depuis sept ans.

Selon Kilombo, les patients se rendent en consultation chez lui pour toutes sortes de problèmes, au nombre desquels le cancer, l’hypertension, l’infertilité et, de plus en plus, la prévention du Covid-19.

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« Nous, praticiens traditionnels, savons que les plantes et les feuilles de la forêt sont très efficaces pour prévenir le Covid-19, ce que les médecins modernes ignorent », déclare-t-il. Kilombo ajoute qu’il décourage ses patients de se faire vacciner car, selon lui, la vaccination est un plan mijoté par le gouvernement pour se faire de l’argent.

Il prescrit plutôt à ses patients ses propres remèdes pour prévenir le coronavirus, notamment des feuilles de palmier, d’avocat et de mangue écrasées, qu’il transforme en jus.

« Dans un hôpital, pour une fiche de consultation d’un médecin, il faudra 10$ sans compter la somme des examens médicaux. Chez moi, tradipraticien, avec 7 000 francs congolais, je te consulte et te dis la maladie dont tu souffres », fait-il savoir.

Mais aucun des traitements offerts par Kilombo pour prévenir le Covid-19 n’a fait ses preuves.

À en croire les autorités sanitaires, elles sont en train d’élaborer un nouveau plan de lutte contre la désinformation, y compris en prenant des mesures visant à punir les tradipraticiens — enregistrés ou non — qui déconseillent la vaccination ainsi que tout radiodiffuseur qui relaie leurs opinions non vérifiées.

De fausses rumeurs au sujet du vaccin contre le Covid-19 ont entravé la campagne de vaccination à Kisangani et dans toute la RD Congo. Selon Alungu, la ville a reçu 1 000 doses de vaccin, mais moins de 20 personnes y ont recouru. Même si le taux de vaccination avait été élevé, révèle-t-il, une pénurie de vaccins aurait entravé l’effort après l’expiration du lot initial. En octobre, la campagne de vaccination qui avait démarré à Kisangani en juillet s’est arrêtée, la ville attendant de nouvelles fournitures.

Mbula affirme qu’il était opposé à la vaccination avant sa récente expérience qui a failli lui être fatale. Les guérisseurs traditionnels « travaillent pour gagner de l’argent, pas pour traiter les maladies », déplore-t-il. « Aujourd’hui, je serai le premier à me faire vacciner quand ils seront à nouveau disponibles ».

Françoise Mbuyi Mutombo est journaliste à Global Press Journal en poste à Kisangani, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.

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