Democratic Republic of Congo

Vol de billets dans une ville en RD Congo : le cash en souffre, perdant toute son utilité

L’an dernier, des habitants de Kisangani se sont emparés d’un tas de billets de banque voués à la destruction. Des billets usagés et déchirés étant reversés en circulation, certains acheteurs font face à une dure réalité : leur fric n’a aucune valeur.

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Currency Heist Makes a City’s Cash Useless

Zita Amwanga, GPJ RDC

Kisangani ne dispose d’aucun incinérateur approprié pour se débarrasser de vieux billets, déchirés et tachés. Nombre de vendeurs refusent de les prendre, les rendant ainsi inutilisables.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Ali Sefu avait du fric, mais personne n’en voulait.

Tentant d’échanger sa monnaie locale contre des dollars américains pour se payer plus de chaussures à vendre, ce vendeur de chaussures sur le marché central de Kisangani échoua de faire accepter son fric par le changeur.

Selon lui, on lui expliquait que plus de 165 000 francs congolais étaient déclarés « impropres à la circulation ». « Partout où je passais, l’argent était rejeté pour dire que les uns étaient brûlés et les autres en mauvais état ».

Son argent sale réveille la mémoire d’un vol survenu en août dernier, lorsque des habitants de ce centre commercial du nord ont pris d’assaut un site d’incinération de billets de banque pour s’emparer du fric. Ils ont commencé à s’en servir dans des commerces dans toute la ville.

Aujourd’hui, ces billets de banque déchirés sont remis en circulation dans toute la ville. Néanmoins, certaines gens comme Sefu ne peuvent s’en servir. Cet incident n’a fait que mettre à nu la tâche plus large qui attend le pays de détruire de manière efficace les billets de banque crasseux et usés et de veiller à ce que les habitants ne se retrouvent pas en possession de sommes d’argent d’aucune utilité.

Partout où je passais, l’argent était rejeté pour dire que les uns étaient brûlés et les autres en mauvais état.

La Banque centrale du Congo a fait installer des broyeurs de billets de banque, et ce, depuis 2001. Or, selon un cadre supérieur de cette banque ayant requis l’anonymat – car n’étant pas habilité à faire un quelconque commentaire sans l’autorisation de la banque, les broyeurs ne sont disponibles qu’à Kinshasa, capitale de la RD Congo. Il n’existe aucun broyeur ici à Kisangani, à environ 1 220 kilomètres, glisse ce cadre.

La succursale de la Banque centrale du Congo dans la province de la Tshopo – où se trouve Kisangani – ne s’est jamais dotée d’une installation d’incinération appropriée pour la destruction de billets de banque impropres à la circulation, confie ce cadre. Ils étaient plutôt incinérés à la main à ciel ouvert, ce qui s’est érigé en aubaine pour les voleurs.

Les cadres supérieurs de cette succursale se sont refusés à tout commentaire et les autorités de la Banque centrale du Congo n’étaient pas joignables pour commentaire.

La remise en circulation de ces billets a été à l’origine d’un climat de suspicion. Aujourd’hui, les marchands passent au crible le fric de peur de se retrouver avec des billets usagés. Cela complique la tâche à quiconque désire faire des transactions en liquide.

« Même les agents de l’État qui [nous] font payer des taxes refusent l’argent qu’on leur donne pour payer nos taxes », s’insurge Justin Kalokola, commerçant à Kisangani. « Alors que ce sont eux qui devraient nous aider à écouler cet argent ».

Le Ministre de l’Économie et des Finances n’a pas souhaité répondre à nos questions sur l’absence de broyeurs de billets et le vol survenu l’année dernière.

D’autres, par contre, préviennent que l’incapacité à se débarrasser des billets usagés peut avoir des effets sur le long terme.

Pourtant, selon Patrick Matata, analyste économique, le manque d’incinérateurs dans des banques a des conséquences graves pour l’économie. « Ici à Kisangani, la situation dégénère. C’est une affaire que la banque doit prendre au sérieux pour la stabilité économique ».

À en croire Sefu, l’argent hors d’usage qu’il a dans sa poche à des conséquences évidentes. Il ne peut plus acheter de chaussures et n’a aucune autre source de revenus.

« Je ne sais pas comment ma famille et moi survivrons », s’inquiète-t-il.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.