KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Nichée sur un versant à environ 400 mètres d’une route, une officine de médecine traditionnelle tenue par Shadrak Paluku Lawindo s’offre aux yeux du visiteur après une petite marche.
À l’intérieur, on voit Lawindo assis sur un banc au milieu de bouquets de feuilles de bananier en train de s’occuper d’un enfant malade. À sa gauche, on découvre deux bidons, l’un rempli de miel et l’autre d’un mélange liquide. Il examine si l’enfant présente les signes d’empoisonnement.
Toux persistante, perte de poids, douleurs dans la poitrine qui s’étendent jusqu’aux épaules : pas de doute, tous ces signes font penser à un coup tordu, confie-t-il.
« Je traite les malades empoisonnés ne sachant pas les éléments constitutifs du poison », avoue-t-il.
Si ce poison est connu sous le nom de karuho, ses ingrédients demeurent un mystère. Si, pourtant, l’on en croit certaines rumeurs dans cette cité de la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, sur la liste des ingrédients figurent la poudre de ciment et la peau de reptiles broyée. Des personnes mal intentionnées saupoudrent la poudre dans la nourriture et la boisson, puis l’offrent aux victimes dont elles espèrent faire leur proie.
D’ordinaire, affirment certains habitants, le poison est vendu par des personnes qui mêlent l’herboristerie aux pratiques spirituelles et offrent aussi des remèdes contre le poison. (Selon Lawindo, il ne fabrique pas de karuho et ne fait que guérir les victimes.)
Ce phénomène ne date pas d’hier. Aux dires des habitants, leur communauté est la proie des cas d’empoisonnement et des rumeurs d’empoisonnement depuis des générations. Aujourd’hui toutefois, disent-ils, les gens sont de plus en plus nombreux à tomber malades. Prouver un lien entre le poison et la maladie d’une personne n’est pas une mince affaire. Mais une chose est sûre, on assiste au nombre élevé de cas d’empoisonnement que l’on n’a jamais connu auparavant.
Pourquoi ? Telle est la question que tout le monde se pose.
Paluku Mudoa, habitant de Kirumba, retient une hypothèse. Cela arrive à cause des nouveaux arrivants dans la cité, révèle-t-il.
« Avant l’arrivée des déplacés, dans les années 1990, les cas d’empoisonnement étaient rares, voire inexistants », affirme-t-il.
Les habitants de Kirumba se souviennent que ce fut dans la deuxième moitié des années 1990 que des habitants d’autres endroits, y compris ceux arrivant d’aussi loin que le Rwanda, ont commencé à envahir la région. Les années qui ont suivi ce premier afflux ont été marquées par des tensions, mais Kirumba a fini par se muer en cité nouvelle, avec de nouveaux arrivants.
Puis, en 2017, une autre vague de nouveaux arrivants fuyant leurs maisons a surgi, cette fois en provenance de la région voisine de Rutshuru et de tout le territoire de Lubero. Ils étaient contraints au déplacement à cause des groupes armés Maï-Maï, connus pour user de la violence pour prendre le contrôle des territoires ou s’affronter avec les forces gouvernementales. Selon Pablo Paluku Haliposo, président du bureau des déplacés à Kirumba, près de 5 000 déplacés sont arrivés à Kirumba au cours des deux dernières années.
Selon les données fournies à Global Press Journal par Shangilia Kavali, responsable de la cité, cette vague d’arrivées a porté la population de la cité à environ 80 000 habitants. Et on enregistre de nouveaux arrivants chaque jour.
À en croire Kavira Ndoole, elle a fui le village de Mine-Somikivu, dans le territoire de Rutshuru, en quête d’une sécurité relative à Kirumba en 2015. Elle est venue avec ses sept enfants. Nos conditions de vie sont extrêmement difficiles, fait-elle savoir.
« Personne ne s’inquiète de nous », affirme-t-elle. « Nos voisins jettent les restes des aliments dans les poubelles alors que nous en avons besoin. Ils peuvent chacun avoir trois habits alors que nous marchons presque nus ».
Certaines familles déplacées sont hébergées chez des habitants de longue date de Kirumba, mais l’aide reste insuffisante aux dépens de ceux qui en ont besoin. Pour accueillir ces nouveaux arrivants, certaines familles leur ouvrent les portes de leurs maisons (lisez ici pour en savoir davantage) qui ne tardent pas de devenir encombrées. La vie intime n’est plus ce qu’elle était. Ces nouveaux habitants ont du mal à joindre les deux bouts. Les habitants de longue date quant à eux éprouvent, contrairement aux années passées, un sentiment de manque d’espace et de tranquillité.
Et l’empoisonnement, affirme Mudoa, est devenu monnaie courante.
Lawindo, herboriste et guérisseur traditionnel, affirme être bien outillé pour traiter les victimes d’empoisonnent. C’est un boulot qu’il fait depuis 2000, dit-il. Au début, il pouvait associer l’aloe vera aux plantes médicinales locales et à d’autres ingrédients ordinaires.
Ce traitement offrait une mince chance de guérison, avoue-t-il.
« En effet, les uns pouvaient guérir, mais la plupart mourraient », explique-t-il.
Il a, en 2015, participé à un séminaire à l’intention des guérisseurs traditionnels de la région grâce auquel il a appris à utiliser le miel, seul ou en association avec d’autres ingrédients, pour le traitement des personnes empoisonnées. Depuis lors, Lawindo a élevé des abeilles. Le miel récolté sert d’ingrédient de base pour le traitement des cas d’empoisonnement.
La cherté du traitement s’invite, exigeant que l’on débourse environ entre 33 000 et 50 000 francs congolais. Il s’agit d’une somme énorme dans cette région où force gens gagnent 1 dollar par jour. Un demi-litre de miel ordinaire coûte environ 5 dollars en magasin.
Certains, déclare Lawindo, se refusent à payer cette somme, mais pour beaucoup, c’est la seule option pour survivre à un empoisonnement.
Le miel sert d’ingrédient commun pour des remèdes naturels dans le monde entier. Certains considèrent que cela guérit efficacement les intoxications alimentaires et des chercheurs ont découvert qu’il était parfois utilisé dans le traitement des morsures de serpents venimeux.
Selon Lawindo, le miel traite efficacement les personnes empoisonnées au karuho.
Le problème pour Lawindo et même les cliniques médicales qui tentent de traiter les maladies liées au karuho est qu’il n’existe aucune liste normalisée d’ingrédients pour ce type de poison.
Selon Désiré Kasereka Matambo, laborantin à Firstly Health, au nombre des symptômes du karuho figurent les symptômes suivants : jaunisse, manque d’appétit, douleurs abdominales, vertiges, pression artérielle anormale, coloration anormale de la peau ou hypertrophie du foie. Ces symptômes sont très différents de ceux énumérés par Lawindo, mais Matambo et Lawindo s’accordent à dire que karuho est un terme général qui désigne un vaste éventail de types de poison.
Matambo affirme que son laboratoire enregistre environ deux cas d’empoisonnement par mois. Ces cas sont transférés aux guérisseurs traditionnels parce que, déclare-t-il, ces derniers ont plus de chances de guérir les patients que la clinique.
L’efficacité du traitement de Lawindo ne fait, aux yeux des habitants de Kirumba, aucun doute.
Ghislain Musubaho Ramazani, technicien à une station de radio locale, déclare que son oncle avait été empoisonné et avait tenté différents traitements dans des cliniques de santé locales.
Tous ces traitements se sont révélés futiles jusqu’à ce qu’il prenne le mélange de miel de Lawindo, dit Ramazani.
Son oncle, confie-t-il, a pu guérir.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.