KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Un soir à Kisangani, une foule nombreuse se rassemblait devant la maison de Jacques Muya.
La foule accusait Muya d’escroquerie pour avoir vendu une parcelle qui, selon la foule, appartenait à autrui. Étant confus, Muya a répondu à la foule qu’il n’avait aucune idée de la parcelle en question.
« Et cherchant comment me justifier, ils ont commencé à me battre », s’indigne Muya. « Et d’un coup, ils ont brûlé ma maison et tout ce qui s’y trouvait ».
Cette vindicte populaire a laissé Muya et sa famille sans abri.
« Voilà maintenant que je passe la nuit à la belle étoile avec ma famille », s’alarme-t-il.
La justice populaire, par laquelle de nombreuses foules ripostent – de façon souvent violente – aux infractions constatées de visu ou présumées, est à la hausse à Kisangani.
Jacques Yaetema, un activiste de la société civile, affirme que face au défaut par la police de remplir son obligation envers le public, des habitants de Kisangani préfèrent se rendre justice eux-mêmes.
Et la confiance dans la police allant diminuant, des habitants de Kisangani se font battre, brûler ou tuer dans des actes de vindicte populaire.
Le colonel Deogratias Mapoli, du quartier général de la police, déclare que les cas de justice populaire sont si nombreux que la police n’est pas en mesure d’en estimer le nombre officiel.
Cette année, confie-t-il, ces cas ont augmenté, en partie à cause de la carence en effectifs de police.
Selon lui, la province de la Tshopo compte moins de 5 000 policiers pour une population de plus de 2,6 millions d’habitants.
Et Mapoli affirme que malgré les campagnes du gouvernement visant à booster le recrutement, l’augmentation des effectifs de police reste un défi et les candidats dénoncent, eux, les bas salaires et les logements précaires.
Toutefois, Mapoli reproche également aux autorités politico-administratives de ne pas mettre fin à la justice populaire par leur incapacité à informer les populations de la mission de la police et à les sensibiliser à la valeur de la vie humaine. Selon lui, la police ne relâche les suspects qu’après avoir conclu à leur innocence ou leur fausse accusation.
Antoine Mapumano, avocat au barreau de Kisangani, affirme que la justice populaire est contraire à l’article 16 de la Constitution congolaise, qui garantit aux citoyens le droit à la vie, à l’intégrité physique et à la protection contre tout traitement cruel ou inhumain.
« Nul n’a le droit de faire n’importe quoi sur autrui, sauf s’il s’agit d’un cas de légitime défense », martèle Mapumano.
Voyant la foule arriver chez lui, affirme Muya, il a appelé la police qui – toujours selon lui – n’est intervenue que deux heures plus tard. Mais c’était trop tard.
« J’ai tout perdu et j’ai été très battu aussi », se désole-t-il. « Gloire à Dieu que je ne suis pas mort ».
Muya pense que la police a mis trop de temps pour arriver car son quartier est connu pour être le fief des gens qui s’adonnent à des manifestations lorsqu’ils soupçonnent quelqu’un d’avoir enfreint la loi.
« Alors, la police a toujours du doute avant d’y accéder de peur d’être attaquée par la population en colère », déclare-t-il.
Pour Pierre Nyembo, un taximan à Kisangani, la justice populaire est le seul remède contre les inciviques dans la ville.
« Nos autorités sont parfois complices », regrette-t-il. « Quand un malfaiteur est acheminé à la police, il est tout de suite relâché. La justice populaire est à encourager, parce qu’on se venge directement ».
Mais Maurice Njante, un ancien agent de l’État, condamne les gens qui se font justice eux-mêmes.
« Vraiment, je me demande comment un être humain peut avoir un cœur insensible vis-à-vis de son prochain, en lui donnant des coups de bâton, en lui jetant des cailloux, en prenant des machettes et des couteaux pour le frapper », fustige Njante. « Il est inconcevable de voir des gens tuer quelqu’un parce qu’il a volé ».
Muya affirme être attristé par la réaction des habitants de sa communauté lorsqu’ils le soupçonnaient d’escroquerie.
« S’il y avait un problème, ils devraient m’accuser en justice et non venir me battre et me rendre un sans-abri », dit-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.