KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — « Je suis venue ici pour dénoncer mon mari », glisse Fazila Katungu lorsqu’elle arrive au bureau local de la Dynamique des Femmes Juristes (DFJ), une organisation de défense des droits de la personne spécialisée dans la protection des femmes en RDC.
Aux dires de Katungu, elle et son mari ont travaillé dur pour récolter 10 sacs de café dans leur petite plantation à Vutegha, à 19 kilomètres à l’est de Kirumba dans le territoire de Lubero en RDC. Pour les sacs, le couple a empoché plus de 500 dollars.
« Mon mari a dépensé tout cet argent en alcool et est parti encager une putain », dit Katungu. « Ce n’est qu’après deux semaines qu’il est revenu, ne m’apportant qu’un kitenge, trois poissons salés et une bouteille d’huile de palme d’une valeur de moins de 15 dollars ».
Quand elle a demandé où était passé l’argent, le mari l’a tabassée jusqu’au sang.
Malheureusement, quand j’ai signalé ce cas à un policier, il m’a dit que c’est l’homme qui est le gérant de la maison », déplore-t-elle. « Je m’imagine que mon mari avait partagé une boisson avec ce policier ».
Insultes, violence domestique, viol, agressions et exécutions sommaires, voilà ce qui est devenu le lot quotidien des femmes ici. Ayant ouvert ses portes en 2006, la DFJ n’a été présente dans cette région que depuis décembre 2016. Ses membres sont des femmes juristes déterminées à sensibiliser les gens au sujet de la violence domestique et à offrir aux femmes locales une assistance juridique en cas de maltraitance.
Claudine Tsongo, 38 ans, coordinatrice de la DFJ, affirme avoir choisi d’embrasser la profession d’avocat pour assurer l’accès des femmes à la justice.
« Je ne regrette pas d’être devenue avocate », assure-t-elle. « Vu les procès que nous satisfaisons et le bonheur que cela apporte aux femmes victimes de l’injustice, je réalise que c’est ce que je devais réellement faire ».
Selon Tsongo, la DFJ œuvre à la sensibilisation au sujet de la violence domestique dans une culture qui a longtemps accepté cette pratique comme règle normale.
« Nous avons commencé à orienter nos actions à la sensibilisation et à inciter la communauté à interroger certaines normes sociales et à concourir à leur transformation », déclare-t-elle. « Nous avons également ouvert la possibilité aux femmes d’aller en justice pour qu’elles sachent que ce ne sont pas des faveurs que la société doit leur donner mais que c’est leur droit ».
Tsongo travaille aux côtés de sept avocates pour défendre les droits des femmes vulnérables qui n’ont pas les moyens de payer les frais de justice.
L’organisation s’emploie à faire reculer le nombre de cas de violence à l’égard des femmes dans tout l’est de la RDC, région en proie à la violence depuis des décennies. D’après les premières estimations, leurs campagnes de sensibilisation sur la protection des femmes ont touché plus de 103 000 personnes, révèle Tsongo.
Le rapport statistique publié en 2017 indique que l’organisation a sensibilisé des femmes, des hommes et des jeunes à la promotion et à la protection des droits des femmes dans cette région dans son ensemble.
La DFJ doit toutefois s’engager plus résolument à Kirumba et dans les villages environnants, conseille Samuela Kyakimwa Walyaghe, employée de la DFJ basé dans le sud de Lubero depuis décembre 2016. À en croire Walyaghe, elle reçoit chaque mois jusqu’à huit cas de viol et de violence domestique dans ce bureau local.
Aldegonde Kanyere a récemment demandé de l’aide après des années de maltraitance, de viols et d’avortements forcés de la part de son mari.
Kanyere, 40 ans, est mariée depuis longtemps. Selon ses dires, ce n’est qu’en 2000 que ses ennuis ont commencé lorsque, après avoir eu deux enfants, son mari l’a obligée de prendre des contraceptifs, disant qu’il ne voulait plus d’enfants.
Mais la méthode de contrôle des naissances qu’elle a reçue dans un dispensaire local, une injection de Depo-Provera, a provoqué des dégâts sur son corps.
J’ai eu des saignements prolongés au point que j’ai été transférée à l’hôpital de Kyondo, à environ 30 kilomètres », dit-elle.
« Fort heureusement, j’y ai trouvé guérison », dit-elle. « Mais j’ai dû arrêter mon contrôle des naissances pour sauver mon corps.
Puis, quand Kanyere est tombée enceinte quelques années plus tard, les choses ont mal tourné.
« Chaque fois que j’essayais de lui parler, il me tabassait n’importe où », dit-elle. « Il piétinait mon ventre maintes fois même en cas de grossesse ».
Dans les années qui ont suivi, les choses n’ont fait qu’empirer.
« En chambre, pas de dialogue, il m’oblige à faire l’amour sans que je le veuille », annonce-t-elle. « Plusieurs fois, je suis menacée d’avortements forcés en cas de novelles grossesses ».
Avant de se rendre à la DFJ, elle dit que les voisins ont tenté, à plus de 15 reprises, sans succès, d’étouffer cette violence et d’aider le couple à se réconcilier.
« Dans ces affaires, notre apport consiste en services médicaux, juridiques et psychologiques », explique Walyaghe du bureau de la DFJ dans le sud de Lubero. « Nous nous mettons à l’écoute des victimes, nous leur prodiguons des conseils, nous leur donnons le bon de référence pour les soins médicaux, nous les accompagnons juridiquement en les informant sur les lois et mettons un avocat à leur disposition gratuitement si elles sont obligées d’aller devant les tribunaux. ».
Elle ajoute qu’elles prennent également en charge les frais de transport pour s’assurer que la femme puisse se rendre au tribunal pendant son procès.
Au cours des 12 derniers mois, 24 cas ont été résolus, auquel cas des auteurs de violence contre des femmes ont fait l’objet d’arrestation ou d’incarcération, révèle Walyaghe.
Le résultat de ces récentes arrestations est en train de changer la culture de la violence domestique ici, affirme Moise Mburanumwe, un agent de l’État de 29 ans.
« Nous savons tous que toucher à une femme est un gros risque aujourd’hui », dit-il. « Même quand quelqu’un offense sa femme, il court le risque d’être traduit en justice ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.