CROIX-DES-BOUQUETS, HAÏTI — Lorsque le souffle de la brise s’invite dans cette zone agricole tôt le matin, on a l’impression d’être envahi par une bouffée de fraîcheur.
Ici, à 12 kilomètres au nord de la capitale haïtienne, un groupe d’étudiants en agronomie apprend à mettre en pratique la théorie apprise à l’université.
Selon Wisel René, agronome et coordinateur de ce programme baptisé Mon Jardin Bio, la formation des agronomes accuse de graves lacunes.
« On a remarqué que la majorité des diplômés en agriculture n’ont pas le bagage en matière de pratique agricole et ne peuvent pas exploiter leurs connaissances académiques », se désole-t-il.
Outre la formation, ces étudiants peuvent mettre en pratique leurs connaissances dans un espace géré par Mon Jardin Bio. René nourrit l’espoir qu’à terme, il créera un mouvement qui permettra à Haïti de produire davantage de nourriture.
Haïti dépend des importations pour plus de 80% de de son approvisionnement en riz. Des efforts de relance de la production de riz soutenus par le gouvernement sont en cours, mais le prix du riz produit localement reste deux fois plus élevé que celui du riz importé. (Lisez ici pour en savoir plus sur les prix du riz en Haïti.)
Il importe que, affirme René, les Haïtiens soient davantage conscients des conditions de production de leur nourriture. Selon lui, l’idéal serait de produire du riz local et bio.
« Non seulement nous formons des étudiants, mais nous avons aussi des espaces pour l’exploitation. Avec ce programme, on aide le pays et les gens à disposer des produits alimentaires de qualité tout en réduisant le pourcentage des produits importés », lâche-t-il.
Étudiant en agronomie âgé de 27 ans, André Titi affirme qu’il ne savait pas du tout comment faire le traitement des sols avant de participer au programme Mon Jardin Bio. Son école, l’Université Polyvalente d’Haïti, n’inculque pas les connaissances pratiques, confie-t-il.
Selon Titi, il apprécie l’approche bio de ce programme.
Ce programme aide les « paysans à protéger leurs cultures à l’aide de pesticides naturels. Et quand les chenilles s’attaquent aux plantes, on les combat de manière naturelle », fait-il savoir.
Bertrand Talot, ingénieur agronome et spécialiste en éducation relative à l’environnement, révèle qu’une bonne partie de cette île est montagneuse. Ce type de sol, étant à haut risque d’érosion, exige des techniques agricoles appropriées, conseille-t-il.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’agriculture bio peut aider à prévenir l’érosion. Le travail de la terre est limité au minimum alors que les méthodes, entre autres, la rotation des cultures et le recours aux plantes couvre-sol, sont monnaie courante.
Des étudiants se rendent à Mon Jardin Bio pour apprendre ces méthodes.
Talot, qui est également secrétaire général de la Promotion pour le Développement (PROMODEV), déclare que « cette formation est susceptible d’augmenter la production bio ».
L’insécurité alimentaire reste un grave problème en Haïti. Selon l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), on estime que 50% de la population haïtienne est sous-alimentée. La production alimentaire a connu un recul au cours des 30 dernières années à cause, entre autres, de la dégradation de l’environnement, des catastrophes naturelles et du manque de systèmes d’irrigation appropriés.
Dans les années 1970 et 1980, la plupart des petits paysans se servaient des engrais naturels, notamment du fumier et du paillis, lit-on dans un rapport publié à la Bibliothèque du Congrès américain. De grandes exploitations commerciales utilisaient de « grandes quantités » d’engrais chimiques au cours de cette période, mais même si tel était le cas, ces quantités étaient encore bien inférieures à celles d’autres pays de l’hémisphère occidental.
Aujourd’hui encore, la majorité des exploitants agricoles individuels ne se servent pas d’engrais chimiques, explique Yvens Philizaire, enseignant chercheur à la faculté d’agronomie et de médecine vétérinaire de l’Université d’État d’Haïti.
Toutefois, cela ne signifie nullement que l’agriculture bio se pratique à grande échelle ou qu’elle suffit pour compter sur les exploitations agricoles haïtiennes pour nourrir convenablement la population, déclare Philizaire.
« Avec l’agriculture bio, des rendements plus élevés ne sont pas garantis et il faut faire également l’application des engrais verts », ajoute-t-il.
Selon la Banque mondiale, environ 40% de la population haïtienne est employée dans l’agriculture.
René, coordinateur de Mon Jardin Bio, espère que les étudiants formés par ce programme se disperseront dans tout le pays pour promouvoir les méthodes d’agriculture bio.
Titi, étudiant en agronomie, affirme que c’est ce qu’il entend faire.
« Je ne vais pas rester dans la capitale », assure-t-il. « Il faut aller dans les coins reculés pour travailler et contribuer à l’augmentation de la production bio en Haïti ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.