GISENYI, RWANDA — Clarisse Imanizabayo, 26 ans, n’avait jamais pensé à quitter l’orphelinat où elle a vécu pendant 23 ans.
Ramassée dans la rue à l’âge de 3 ans en pleine situation chaotique qui a suivi le génocide au Rwanda, Imanizabayo affirme qu’elle a grandi en considérant ses enseignants comme ses parents, et ses camarades orphelins, comme ses frères et sœurs.
Elle adorait vivre dans l’orphelinat. Mais il y a trois ans, elle a fait l’objet de relogement dans la foulée du plan du Rwanda visant à fermer tous les orphelinats du pays. Aussi le plan a-t-il consisté à reloger des orphelins adultes.
Assise à côté d’un brasero en argile plein de charbons allumés dans sa maison d’une seule chambre, elle s’affaire à préparer son dîner à partager avec sa colocataire.
« On se la coulait douce à l’orphelinat. J’avais l’esprit tranquille, vivant loin du rythme effréné du stress provoqué par ce souci de trouver de quoi me mettre sous la dent ou payer le loyer », nous confie-t-elle.
Imanizabayo s’est fait aider pour trouver un logement grâce au programme de désinstitutionalisation du Rwanda, et a pu, à l’aide d’un sponsor, entrer à l’Université rwandaise du tourisme, de la technologie et du commerce.
À l’en croire, elle avait un faible pour l’école. Ce n’est qu’en 2015, année où elle est tombée malade, que son malheur a été tel qu’elle a raté ses examens, arrêtant ainsi ses études et voyant s’envoler ses chances de décrocher un emploi.
Depuis sa sortie de l’orphelinat, explique-t-elle, la Commission nationale pour les enfants (NCC) ne lui donne que 36 dollars par mois – somme insuffisante pour assurer sa survie. La cagnotte suffit même à peine à régler son loyer.
L’initiative par le gouvernement rwandais de fermer tous les orphelinats a eu un impact exceptionnel sur des orphelins qui avaient atteint l’âge de la majorité, soit l’âge de 18 ans pour le cas du Rwanda. Les orphelins plus âgés ont reçu une aide pour refaire leur vie loin des orphelinats. Plusieurs orphelins plus âgés, à l’instar d’Imanizabayo, avouent vivre amèrement l’expérience d’une vie après l’orphelinat. D’autres pourtant se félicitent de l’initiative et restent ravis de leur vie après l’orphelinat.
En 2012, année de lancement du plan de désinstitutionalisation, le Rwanda comptait 34 orphelinats enregistrés servant de lieu d’accueil pour 3 153 enfants. Selon une étude de l’Université Tulane, certaines familles étaient prêtes à accueillir 70 pour cent de ces enfants mais il n’existe pas, à l’heure actuelle, de données disponibles sur le nombre d’enfants qui restent dans ces orphelinats.
Les orphelins adultes représentaient, lors de la mise en œuvre de la politique, 14 pour cent des enfants confiés aux soins des orphelinats, ont indiqué certaines sources au sein de la NCC, sous couvert d’anonymat car elles n’étaient pas autorisées à parler à la presse.
L’Orphelinat Noël de Nyundo, le plus grand orphelinat du pays situé dans la Province de l’Ouest frontalière de la République démocratique du Congo, a vu le jour au lendemain du génocide de 1994 qui, d’après les estimations, a coûté la vie à 800 000 personnes. Quand il était au plus fort de son activité après le génocide en 1994, l’orphelinat était la demeure de 600 enfants. En 2011, ce nombre est tombé à 592.
Yvonne Uwase, 25 ans, a été placée à l’Orphelinat Noël à l’âge de 2 ans, quand elle a été trouvée sur un balcon de l’Hôpital de Gisenyi.
Quand le gouvernement a commencé à fermer cet orphelinat, Uwase figurait parmi les orphelins adultes pour lesquels ce dernier servait de demeure. Comme beaucoup d’autres orphelins, elle a reçu l’aide du gouvernement pour démarrer une nouvelle vie toute seule.
Marie Grace Uwampayizina, vice-maire du district de Rubavu où se trouvait l’orphelinat, affirme que le gouvernement a travaillé en partenariat avec des écoles et des agents immobiliers qui ont aidé au relogement des orphelins adultes. Des avantages en contrepartie ont été alloués en fonction de plusieurs facteurs. Ainsi, la priorité a été accordée à ceux atteints du VIH, du diabète ou devant prendre en charge leurs cadets.
Contrairement à Imanizabayo qui affirme avoir reçu une piètre allocation et une maison d’une seule chambre, Uwase a reçu une maison de trois chambres avec un salon, une salle de bain et une cuisine.
Le vice-maire assure que les autorités de district continueront de collaborer avec la NCC pour proposer une gamme de services de counseling à ceux qui ont atteint l’âge de la majorité et leur apporter un soutien tant moral que financier.
« On leur donne du fric pour payer le loyer, acheter de la bouffe et payer la mutuelle de santé, et encore moins pour payer les frais de scolarité pour ceux qui sont scolarisés. Nous mettons tout en œuvre pour les aider à s’adapter à la nouvelle réalité », explique Uwampayizina, ajoutant que ces services continuent jusqu’à ce que les bénéficiaires n’en aient plus besoin.
Hope and Home for Children, une ONG locale, collabore avec la NCC pour les aider à louer des maisons. Mais certains se plaignent que la cagnotte reçue ne soit qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins et que l’intégration dans la vie communautaire leur a réservé des surprises. En conséquence, certains d’entre eux sont aux prises avec d’innombrables problèmes.
« Les 30 000 francs que l’on nous donne par mois sont une somme trop petite pour nous permettre de faire des achats, notre pouvoir d’achat étant très faible par rapport aux prix du marché. Je mène une vie misérable depuis que je ne vis plus en orphelinat », lâche Imanizabayo.
Selon Perpetue Uwineza, voisine d’Imanizabayo, il est désolant de la voir se débattre sans emploi ni famille pour l’aider.
« Cette fille peut même rester l’estomac vide pour deux jours. En tout cas, la pitié est le sentiment que je ressens pour elle », raconte Uwineza.
Pourtant d’autres pour qui l’aide reçue est considérable, la chance de vivre seuls est pour eux une bénédiction en soi.
Uwase affirme qu’avoir une maison bien à elle est synonyme d’une rare seconde chance pour construire une maison et fonder une famille à elle.
« J’ai été très contente d’avoir mon chez-moi. L’heure est venue à présent pour moi d’enfin fonder une nouvelle famille », explique Uwase qui s’est récemment fiancée et se prépare au mariage.
Selon Uwase, assumer les responsabilités des adultes a été une bonne chose.
« Nous envoyer vivre seuls loin de la vie en orphelinat a été une bonne chose pour moi car nous ignorions tout de notre devoir d’assumer des responsabilités qui concernent et nous-mêmes et notre vie », déclare-t-elle. « À l’orphelinat, on était comme des enfants gâtés. On pouvait manger sans même fournir le moindre effort! Mais aujourd’hui, je ne peux satisfaire mes besoins, si ce n’est qu’à la sueur de mon visage, et je ne peux te dire à quel point j’en suis fière ».
Uwampayizina, vice-maire, affirme qu’ils cherchent sans cesse les voies et moyens d’assurer les conditions équitables à tous les orphelins adultes.
« Le gouvernement est en train de mobiliser le financement auprès de ses différents partenaires pour construire des maisons pour des locataires », annonce-t-elle.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.