Rwanda

Don de vaches par le gouvernement rwandais : des résultats mitigés pour des familles pauvres bénéficiaires

Au Rwanda, pays où l’agriculture reste le moteur de l’économie, la vache est un symbole de richesse. Mis en place depuis qu’une décennie, un programme du gouvernement vise à venir en aide aux pauvres dans les zones rurales, faisant don d’une vache à chaque famille rurale sélectionnée. Pourtant, l’animal n’est pas un simple cadeau – en prendre soin n’étant pas une mince tâche, c’est aussi une besogne onéreuse.

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Rwandan State Gives Free Cows to Poor Families, With Mixed Results

Janviere Uwimana, GPJ Rwanda

Jean Claude Nshimiyimana nourrit sa vache à l’extérieur de sa maison dans le secteur de Terimbere, dans le district de Rutsiro à l’ouest du Rwanda. Cette année, il a reçu cette vache dans le cadre du programme Girinka mis en place par le gouvernement.

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TERIMBERE, RWANDA – Innocent Bwicubugize surveille de près une chèvre attachée à un arbre devant sa maison. D’après lui, la chèvre ne lui appartient pas, mais il caresse l’espoir d’en avoir une sous peu. D’ici un mois, la chèvre qu’il élève pour sa sœur mettra bas, et elle lui a promis qu’il pourra en faire son propre bien.

Force gens dans le secteur de Terimbere dans le district de Rutsiro, à l’ouest du Rwanda, misent sur l’élevage du bétail pour nourrir leurs familles. Pour certains, le bétail est leur animal domestique de choix, précise ce père de sept enfants.

En 2013, Bwicubugize a tenté d’élever une vache dont il avait bénéficié grâce au programme Girinka lancé par le gouvernement. Des familles pauvres partout au pays bénéficient chacune d’une vache dans l’espoir de devenir autonomes, dit-il à propos de ce programme.

« Lorsque l’on m’a donné une vache, je croyais qu’elle allait m’aider à survivre et que je n’allais rien manquer », révèle-t-il. Pourtant, son rêve a vite fait de tourner court.

« Tout geste que je faisais pour prendre soin de la vache exigeait de l’argent », déplore-t-il. « Ramasser le foin, acheter des médicaments et payer les services vétérinaires n’étaient pas tâche facile, surtout que je ne pouvais même pas me permettre de nourrir ma famille ».

Ne pouvant pas élever la vache, il l’a mise en vente.

Girinka est un terme qui signifie « une vache par famille pauvre » en kinyarwanda. Il y a plus d’une décennie, le gouvernement lançait le programme Girinka pour amener un sourire sur le visage des habitants des zones rurales du pays. Certes, le programme a connu des succès, notamment en améliorant la sécurité alimentaire des bénéficiaires et la fertilité des sols grâce au fumier de vache, affirment les autorités. Aussi, les vaches s’érigent-elles en source de revenus pour certains. Or, de l’avis d’autres bénéficiaires, l’élevage d’une vache – animal qui symbolise l’opulence dans la culture rwandaise – est un fardeau financier pénible à supporter même avec l’ assistance des autorités.

Au Rwanda, pays où l’agriculture est le moteur de l’économie, le cheptel bovin compte environ 1,3 million de têtes, affirme l’Institut national des statistiques du Rwanda. Depuis juin 2006, année de lancement du programme Girinka, jusqu’en novembre 2016, un total 259 087 vaches ont, à en croire les chiffres émanant du gouvernement, été distribuées aux familles partout au pays. Dans la foulée, 8 764 vaches ont été données aux habitants du district de Rutsiro entre juin 2006 et juin 2016.

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Janviere Uwimana, GPJ Rwanda

Jean Claude Nshimiyimana, agriculteur, affirme que malgré les coûts élevés de l’élevage du gros bétail comme la vache, il a pu prendre soin de sa vache.

Selon Moise Abayisenga, habitant de Rukukumbo et membre du comité Girinka dans le village, un comité composé des autorités locales et des habitants détermine l’admissibilité des familles au programme en fonction de leur situation socioéconomique. Des familles n’ayant pas de sources de revenus stables ou n’ayant jamais possédé une vache sont généralement sélectionnées pour être des bénéficiaires, précise-t-il. Selon l’endroit où se fait l’achat, le coût d’une vache au Rwanda peut osciller entre 324 et 568 dollars, un prix que certains n’ont pas les moyens de payer.

De l’avis de certains bénéficiaires du programme, l’élevage d’une vache est hors de prix, mais les vaches ont changé positivement leur quotidien.

À l’instar de Bwicubugize, Aimerance Mukagatare, veuve et mère de sept enfants, a reçu une vache en 2013. Selon ses dires, l’âge de la génisse au premier vêlage est d’un an. Prendre soin d’elle pendant sa gestation n’est pas une sinécure et prend du temps, renchérit-t-elle.

« Je me suis retrouvée obligée de subvenir seule aux besoins de ma famille. Pourtant, je devais passer tout mon temps à chercher de quoi nourrir la vache et je n’avais pas le temps de faire d’autres choses », explique-t-elle.

Cinq ans plus tard, Mukagatare continue d’élever sa vache. Elle débourse entre 10 000 et 15 000 francs rwandais par mois pour la nourrir. Au début, Mukagatare a également embauché quelqu’un pour l’aider à prendre soin de la vache pour 20 000 francs par mois. Aujourd’hui, elle ne peut plus se permettre de payer ce montant. Malgré les coûts, elle affirme que l’élevage d’une vache valait le coup.

À en croire Thasien Nteziryayo, un autre bénéficiaire, le début n’a pas été facile pour lui aussi.

Depuis juin 2006 jusqu’en novembre 2016, un total 259 087 vaches ont, à en croire les chiffres émanant du gouvernement, été distribuées aux familles partout au pays.

« Oui, le début a été le plus dur moment, car moi aussi j’ai dépensé beaucoup d’argent et d’énergie », révèle-t-il. Mais Nteziryayo, ayant bénéficié d’une vache en 2012, déclare qu’il s’est finalement retrouvé en situation de break-even. « Maintenant que je vends du lait, je n’ai plus la difficulté à acheter du foin pour nourrir ma vache ». Sa vache produit jusqu’à 20 litres par jour.

Des autorités, quant à elles, n’ignorent pas que l’élevage d’une vache peut parfois s’avérer coûteux. Ainsi, on apporte une certaine assistance aux bénéficiaires du programme, déclare Habiyambere, chargé des ressources animales dans le secteur de Rugerero, également dans l’ouest du pays.

« Nous restons près d’eux dans les trois premiers mois, les formons et mettons des médicaments vétérinaires à leur disposition en cas de besoin », explique-t-il.

Abayisenga, membre du comité Girinka, à Rukukumbo, ajoute que dans certains cas, ce genre d’assistance consiste en l’élevage d’autres animaux que la vache.

« Lorsqu’un bénéficiaire n’est pas capable de s’occuper de la vache comme il faut dans les six premiers mois, le comité la récupère et lui donne une chèvre, un porc ou un mouton », affirme-t-il

La plupart des difficultés financières de Bwicubugize sont apparus après le cap des six mois lorsqu’il ne bénéficiait plus de médicaments de la part du comité local et n’était plus éligible pour le petit bétail, explique Bwicubugize. Raison pour laquelle il s’est débarrassé de la vache par la vente.

« Huit mois après, je me suis retrouvé plus endetté et plus pauvre qu’avant », et ce, qu’il ne bénéficie de cette vache.

Selon Elie Habiyambere, les comités Girinka exigent deux choses de la part de nouveaux bénéficiaires de vaches.
Primo, celui qui bénéficie d’une vache doit remettre le premier veau à naître au comité Girinka local, confie-t-il. Secundo, il ne doit en aucun cas se débarrasser de sa vache.

Et violer ces conditions n’est pas sans conséquences. Selon Habiyambere, quiconque vend une vache dont il bénéficie s’expose à une amende équivalente au prix de la vache. À en croire Bwicubugize, il a été contraint de payer l’amende seulement deux jours après la vente de la vache dont le produit lui a servi à acquérir une parcelle de terrain. Sa femme a dû lui donner un coup de main pour payer.

« Ma femme a été obligée de vendre le champ qu’elle avait hérité de ses parents », explique-t-il. « Elle a utilisé le produit de la vente et le peu d’argent qu’il me restait [après avoir acheté la parcelle] pour payer la vache ».

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.