KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Chaque jour, Ben Kitenge Kambi se tient, sous un soleil de plomb, devant le tribunal de travail local.
À l’entendre, il attend une réponse à sa soif de justice.
Il y a quelques mois, Kitenge, 63 ans, engageait un contentieux contre la Régie des voies aériennes, son employeur depuis 1978.
« J’ai beaucoup travaillé pour cette entreprise, mais elle ne paie plus mon salaire », déplore-t-il.
Tout a commencé à basculer en 2006, dit Kitenge à propos de ses plusieurs dizaines d’années de carrière au sein de la société. Sur sa paye mensuelle d’environ 94 dollars, il a commencé à toucher des morceaux. Touchant sa paye parfois à moitié, il a fini par rentrer bredouille chaque mois.
Les indemnités de départ à la retraite étant prévues par la loi congolaise, Kitenge affirme être en droit de les réclamer en raison de ses nombreuses années au service de l’entreprise. Mais depuis près de 10 ans, il ne touche rien. À l’en croire, il n’avait d’autre choix que de porter l’affaire devant le tribunal.
Seulement, la justice se fait attendre. Kitenge a saisi le tribunal en 2017. Mais aujourd’hui, le tribunal n’a pu ni entendre ni examiner l’affaire.
Dépourvus de moyens de prendre un avocat, il se voit obligé d’attendre.
« À vrai dire, je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire », avoue Kitenge. « Ce tribunal ne laisse pressentir aucune lueur d’espoir de justice ».
Le nombre d’affaires portées devant le tribunal de travail est en hausse. Aurelien Kajangu Ndusha, président du tribunal de travail de Kisangani, a déclaré que ce tribunal a vu le jour en mars 2016 lorsque le tribunal de grande instance local était submergé d’affaires liées au travail, venant s’ajouter à d’autres affaires pénales et civiles en souffrance.
Aux dires de Ndusha, tout n’est pas rose dans le fonctionnement de ce tribunal. Selon lui, la carence de juges est à la base des retards. D’autres, en revanche, pointent du doigt la corruption.
Ndusha affirme que le tribunal a été saisi de plus de 600 affaires depuis sa création et que 237 seulement ont été réglées. Selon lui, 106 autres ont été entendues, mais leurs jugements restent toujours en suspens. Et 257 affaires attendent d’être entendues ou examinées.
Ndusha affirme avoir proposé des emplois à 12 juges en janvier 2018, mais que seuls cinq d’entre eux ont accepté l’offre. Les sept autres ont décliné l’offre en raison de bas salaires.
Le salaire mensuel des juges s’élève à 1 000 000 de francs congolais, soit un salaire fort supérieur au salaire moyen annuel dans le pays. Ndusha assure que le ministère de la Justice à Kinshasa, capitale de la RDC, est conscient de la carence. Ayant demandé que le tribunal soit doté de davantage de juges, il attend toujours la suite de la part du ministère.
Albert Nembo, 57 ans, travaille depuis trois ans dans une entreprise à Kisangani, la troisième plus grande ville de la RDC. Selon lui, son salaire a cessé d’arriver après 6 mois, mais il a continué de travailler du fait des promesses. Perdant tout espoir aujourd’hui, il a saisi le tribunal.
« Cela fait plus de trois ans déjà que je travaille dans cette entreprise privée. Au début, on me payait bien et ce n’est qu’après six mois de travail que l’on a arrêté de verser mon salaire. Depuis lors, je n’ai plus rien touché. Voilà pourquoi j’ai saisi le tribunal de travail », déclare Nembo.
Il a refusé de donner le nom de l’entreprise par crainte de se compromettre.
Quoiqu’il attende l’examen de sa réclamation par le tribunal, il affirme avoir perdu tout espoir. Le tribunal a déjà acquis la réputation de ne donner raison qu’aux patrons au grand dam des travailleurs.
« Face au choix de mon patron de me priver de mon salaire, j’ai saisi le tribunal, mais l’affaire reste toujours pendante. On me fait toujours des promesses non tenues. Mais à terme, j’ai vite compris que les choses se font ainsi parce que je n’ai pas d’argent », s’insurge Nembo en allusion à la corruption.
S’agissant des 237 affaires que le tribunal de travail a résolues, Ndusha a refusé de fournir des données séparées pour les employeurs et pour les employés.
« Ce que je peux dire, c’est que tous les jugements que nous avons rendus sont équitables », renseigne-t-il. « Mes collègues et moi sommes des professionnels et déterminés à nous mettre au service de la communauté ».
Annita Makombo Losa, 58 ans, est employée par un restaurant de fortune à Kisangani. Elle a saisi le tribunal de travail à la suite d’un conflit sans fin qui l’oppose à son patron quant aux conditions de travail et aux violations des lois du travail.
« En tant que veuve, je fais de mon mieux pour subvenir aux besoins de mes enfants. Pourtant, mon salaire ne suffit pas pour assurer notre survie. Mon patron me fait travailler comme un forçat, ne me laisse pas une minute de repos et me fait faire des heures supplémentaires non payées », se lamente-t-elle.
Makombo a saisi le tribunal, mais son dossier subit toujours le même sort que ces centaines d’affaires qui attendent d’être entendues.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.