MUNIGI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Esther Mwema pensait que son fils de 4 ans souffrait de la varicelle. Il a eu la chance de bénéficier d’un examen médical dans ce camp de déplacés où de nombreuses familles vivent sous des tentes et où même de l’eau potable est un luxe.
Le diagnostic pourtant s’est avéré totalement différent : la variole simienne (mpox), un virus qui cause des ravages à l’est de la RDC, en Ouganda et au-delà. Il s’agit de la deuxième souche de mpox qui frappe de plein fouet la RDC. La première s’est intensifiée en 2022 et se transmettait principalement par voie sexuelle. La nouvelle variété par contre se répand rapidement à travers les contacts étroits dans la vie quotidienne, infectant cette fois-ci non seulement les adultes, mais aussi de plus en plus d’enfants.
Les données émanant de différentes sources gouvernementales et sanitaires divergent parfois certes, mais une chose est tout de même évidente : les enfants surtout en font les frais. Selon les données du Fonds des Nations unies pour l’enfance, 84 % des victimes de la mpox en RDC depuis janvier sont des enfants. Ce chiffre est basé sur un total d’environ 15 600 cas d’infection.
Tam Berger de Medair, un groupe d’aide humanitaire qui offre une assistance médicale aux pays dans des contextes de crise, souligne que 70 % des plus de 300 personnes supposées infectées de la mpox à Munigi sont des enfants de moins de 10 ans.
De la RDC, le virus s’est propagé à travers la frontière vers l’Ouganda, où les autorités affirment que l’épidémie est maîtrisée, tandis que le personnel sanitaire local juge la situation catastrophique.
« Vous voyez une personne dont le corps entier est couvert de cloques purulentes », dit Jovia Biira, sage-femme dont le gouvernement ougandais a sollicité les services au sein de l’équipe chargée de la surveillance de la mpox à la frontière avec la RDC. « Certains ont une température très élevée, de l’ordre de 38 C (100,4°F) et plus. »
Toutefois, Emmanuel Ainebyoona, porte-parole du ministère de la Santé en Ouganda a demandé à Global Press Journal d’ignorer les informations fournies par les personnes rencontrées à la frontière. Il n’y a eu, dit-il, que quatre cas confirmés de mpox.
Pour une population d’environ 105 millions d’habitants, la RDC compte plus de 7 millions de personnes déplacées qui, pour la plupart, vivent dans des camps comme celui de Munigi ; c’est le cas de Mwema qui y habite, au milieu de milliers d’autres résidents. Ces bivouacs ont été créés pour abriter des personnes qui ont fui les violences consécutives aux affrontements entre les groupes armés et les forces militaires officielles de la RDC, hostilités ayant pour effet des tueries ainsi que la destruction des biens dans un climat d’impunité quasi totale. La distanciation sociale est une véritable gageure dans les camps. Les eaux d’égouts coulent à travers des rigoles le long des routes et des sentiers. Avec la rareté de l’eau, même le simple lavage des mains constitue un réel défi. C’est l’environnement idoine pour l’émergence, mais aussi la prolifération de la mpox ainsi que d’autres virus dangereux.
Alors que 35 pays à travers le monde ont signalé des cas de mpox au cours du mois passé, la RDC a été la nation la plus durement frappée, avec environ 90 % de tous les cas rapportés en Afrique cette année, selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). Aux alentours de la ville de Goma, certains centres de santé sont submergés, les admissions de patients grimpant de manière exponentielle pour titiller les plus de 4 000 % de leur capacité normale, à en croire Save the Children, une organisation non gouvernementale ayant une expertise internationale.
De Rutshuru, une ville située à environ 70 kilomètres (43 miles) au nord-est, Mwema et sa famille ont déménagé à Munigi il y a un an. De violents affrontements entre le célèbre groupe armé M23 et l’armée congolaise, connue sous ses initiales françaises, les FARDC, les ont contraints à quitter leur ville natale.
Dans le camp, la famille a trouvé une paix relative, mais aussi un danger d’une autre sorte : un virus extrêmement dangereux et potentiellement mortel auquel on ne peut faire obstacle qu’en évitant les personnes contaminées.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Un flux constant de virus, d’infections et d’affections ont émergé ici ou alors s’y sont propagés une fois apparus. Sur ce tableau, figure la fièvre Ebola qui s’est déclarée plus d’une dizaine de fois au cours des dernières décennies. Citons parmi les raisons de ces épidémies la déforestation ainsi que les effets pathogènes induits consécutifs à la cohabitation entre humains et bêtes sauvages, mais aussi les graves affrontements armés qui obligent les populations à se masser dans des camps surpeuplés. L’on pourrait également évoquer comme raison l’insuffisance chronique de doses de vaccins ou les retards de livraison de celles-ci. La pression est immense sur le système de santé déjà malmené par d’autres urgences sanitaires ainsi que la forte pénurie de personnel et de dotation médicale. Somme toute, dans la lutte contre les épidémies virales, les populations en RDC se trouvent confrontées à des obstacles pour ainsi dire insurmontables.
Il existe deux souches principales ou clades de mpox. Le clade 1, endémique en Afrique centrale et orientale, se propage à travers les contacts étroits du quotidien et provoque plus de maladies graves. Durant les précédentes épidémies, environ 10 % des personnes infectées en ont succombé. Quant au clade 2, endémique en Afrique occidentale, il peut également se transmettre à travers les contacts humains très étroits ou avec des animaux, le contact sexuel toutefois demeurant généralement le principal moyen de transmission. Il est également moins virulent, car 99,9 % de personnes y ont survécu.
L’épidémie actuelle du clade 1 le plus dangereux fait suite à une épidémie mondiale du clade 2 en 2022.
Alors que la variole simienne fait partie de la même famille virale que la varicelle, elle est loin d’être aussi mortelle. Il présente toutefois de différents défis.
C’est en partie en raison du fait que le virus n’infectait que des humains qu’il fut possible d’éradiquer la varicelle en 1980. Les animaux n’intervenaient pas du tout dans la chaine de propagation, explique Jessica Malaty Rivera, épidémiologiste et conseillère principale en communication scientifique à la Fondation de Beaumont, une organisation de santé publique basée aux États-Unis. La variole simienne, en revanche, possède chez les animaux un large éventail d’espèce-réservoirs.
« Si la variole simienne devient aussi tragique que la varicelle, ce que je ne souhaite nullement voir arriver, il serait impossible de l’éradiquer dans la mesure où elle touche également les animaux », dit-elle.
Le long de la frontière entre la RDC et l’Ouganda, la migration du clade 2 vers le clade 1 est incontestable, affirme le personnel sanitaire. Hellen Kabugho, infirmière à la pharmacie CARE PLUS de Bwera, une ville frontalière Ougandaise, déclare avoir vu des personnes présentant depuis plusieurs mois des symptômes de la variole simienne, mais la situation évolue. Bien que deux cas seulement aient été confirmés à l’hôpital de Bwera, de plus en plus de personnes seraient potentiellement porteuses du virus.
Les deux souches peuvent facilement se propager, affirme Kabugho. « Au marché, nous utilisons les mêmes toilettes ; la contamination est par conséquent si facile. »
Les activités transfrontalières compliquent le suivi des personnes présentant des symptômes.
« Les contacts physiques sont courants, car il y a à la frontière une foule de personnes qui vont et viennent » dit-elle. « La promiscuité est très grande. »
À Kampala, capitale de l’Ouganda, les responsables de la santé ont minimisé l’épidémie et déclaré à Global Press Journal que la situation est bien maîtrisée. Une grande campagne de sensibilisation du public est en cours dans le but de former les populations sur la manière de se prémunir contre la variole simienne, précise Ainebyoona, porte-parole du ministre de la Santé.
Les craintes initiales qu’entretenaient les populations des villes frontalières vis-à-vis du virus se sont dissipées.
« Les gens ici continuent de se mêler les uns aux autres, » reconnait Mariam Mbabu, infirmière au centre médical Haki en Ouganda, à proximité de la frontière, ajoutant que les populations ignorent avec quelle aisance le clade 1 se transmet.
Rosaria Masika, une congolaise qui a passé trois mois en Ouganda explique qu’en juillet elle s’est rendue à l’hôpital à Bwera pour des soins prénatals. Elle a confié à un agent de santé qu’elle avait des lésions sur le corps. Après l’avoir examinée, le personnel l’a renvoyée à la maison pour l’isoler.
De l’avis du Docteur Amon Bwambale, responsable de la santé du district de Kasese le long de la frontière avec la RDC, il n’existe pas encore de vaccins en Ouganda contre la variole simienne. Dès qu’ils seront disponibles, poursuit-il, les femmes enceintes, les enfants et les personnes présentant une déficience immunitaire seront prioritaires.
En RDC, un programme de vaccination pourrait être une douce illusion. L’Organisation mondiale de la santé considère depuis le 14 août l’épidémie de la variole simienne comme « urgence de santé publique », une démarche visant à mobiliser des ressources pour freiner sa propagation. Le gouvernement de la RDC a approuvé l’administration des vaccins contre la variole simienne, mais les stocks tardent à arriver.
La difficulté à fournir des vaccins à ceux qui en ont besoin n’est pas un phénomène nouveau dans le pays. La RDC a reçu des millions de doses de vaccin contre la COVID-19, mais selon CARE, une agence d’aide humanitaire, l’incapacité à les acheminer vers les localités voulues l’a poussée à en renvoyer 1,3 million en avril 2021. Seuls 60 % des sites de vaccination contre la COVID-19 en RDC étaient fonctionnels, a précisé CARE.
L’expérience du pays avec la COVID-19 ne présage rien de bon pour l’épidémie de la variole simienne, et les professionnels de la santé mondiale observent avec anxiété cette propagation.
« Nous redoutions une telle célérité dans la propagation de la variole simienne », avoue Malaty Rivera, « mais ce n’est pas si dramatique. »
Dans l’intervalle, Mwema et sa famille n’ont nulle part où aller. Aucun signe ne laisse entrevoir la fin d’affrontements vieux de plusieurs décennies. Les groupes armés et les FARDC ont la réputation de ne tenir aucun compte des populations dans les zones où ils se battent. Pour Mwema, les choix sécuritaires ne sont pas seulement rares, mais quasiment inexistants. Pour l’instant, et probablement pour de nombreuses années encore, elle restera dans le camp.
Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo.
Apophia Agiresaasi est journaliste à Global Press Journal en poste à Kampala, en Ouganda.
Nakisanze Segawa est journaliste à Global Press Journal en poste à Kampala, en Ouganda.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Kouethel Tekam Néhémie Rufus, GPJ.