KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Le bétail de Musa Yousufa s’engraisse sur les vertes prairies perdues dans une luxuriante végétation de cette partie fertile du nord de la RDC.
Affriandé par ces vertes prairies, Yousufa est venu s’installer dans cette région. À l’en croire, sa patrie est le Sud-Soudan, mais il reste ici depuis 2004. Y être, dira un éleveur, c’est être au cœur d’un paradis.
« Il y a tout dans cette région : de la savane aux forêts luxuriantes », affirme-t-il.
Yousufa fait partie de ce groupe d’éleveurs Mbororo et de leurs familles – près de 70 personnes au total – qui se sont installés à Kisangani. Ils étaient jadis ce peuple nomade qui se déplaçait avec ses troupeaux dans la région et retournait dans ses villages au rythme des saisons et, chemin faisant, vendant de la viande. Durant ces dix dernières années, pourtant, ces nomades n’ont jamais regagné le bercail.
Ils offrent aujourd’hui de la viande à des prix inférieurs à ceux des bouchers originaires de Kisangani, ce qui soulève l’ire de la population locale et pousse les gens à dire que ces vendeurs de viande agissent au mépris des règlements sanitaires locaux et à l’abri des inspections de routine de leur bétail par des vétérinaires.
À Kisangani, on doit débourser 13 000 francs congolais pour se faire délivrer une licence de boucher et verser chaque mois une taxe dont le montant dépend du nombre de vaches abattues, lit-on dans les règlements locaux consultés par Global Press Journal. Aussi les bouchers sont-ils tenus de faire contrôler la viande par un vétérinaire pour vérifier qu’elle soit bien saine, mais ces éleveurs passent souvent outre cette règle, révèle Jean Rino Botambo, inspecteur du service vétérinaire de Kisangani.
Mais le pire reproche que l’on fait à la présence de ces éleveurs, c’est qu’ils ne sont pas du terroir.
« Depuis l’arrivée de ces peuples dans notre région, je me suis toujours sentie en insécurité parce nous ne savons pas d’où ils viennent », se lamente Albertine Bwande Losako, mère de quatre enfants.
En RDC, pays où maintes communautés sont géographiquement isolées, le scepticisme à l’égard de la présence des étrangers est devenue monnaie courante. Lorsque des gens d’autres endroits arrivent et se taillent une partie des terres, ce scepticisme peut fort bien déboucher sur la frustration, voire même la colère et la violence.
Aux dires des chercheurs ayant étudié les mouvements de ces éleveurs Mbororo, ces derniers trouvent leurs origines en Afrique de l’Ouest. Des changements écologiques, y compris la sécheresse, les ont poussés de plus en plus vers le sud. Des groupes d’éleveurs Mbororo qui se trouvaient en République centrafricaine, au Soudan et au Tchad ont migré vers le sud en RDC à partir des années 1990 et se sont répandus dans le nord de la RDC au début des années 2000. Arrivés là-bas, ils ont été victimes des violences aux mains des criminels et des groupes armés. En 2011, Médecins Sans Frontières a publié un rapport indiquant que ces groupes mbororo font face à des actes hostiles « un peu partout où ils vont dans le nord de la RDC ». Selon un rapport de Human Rights Watch publié en 2012, des forces gouvernementales ont attaqué des communautés mbororo en RDC, violé des femmes et des filles, battu des hommes et volé du bétail.
À Kisangani, ces actes hostiles sont souvent le résultat de la suspicion généralisée vis-à-vis des peuples Mbororo.
« Nous aimerions qu’ils soient de passage ici, parce que nous ne voulons pas qu’ils s’y installent pour toujours, car notre terre appartient au peuple congolais et non aux étrangers », annonce Antoine Musibasiba, responsable communautaire.
Nous risquons de voir ces éleveurs s’accaparer toutes nos terres, s’inquiète Musibasiba, « parce qu’ils mettent au monde trop d’enfants et se multiplient chaque jour », explique-t-il.
Outre cela, ajoute-t-il, ces éleveurs abattent leurs animaux au mépris de la loi et vendent de la viande à un prix inférieur à celui des vendeurs locaux.
Un kilo de viande qui, généralement, peut coûter 10 000 francs sur un marché local se vend facilement deux fois moins cher que celui pratiqué sur des stands des éleveurs Mbororo. Un journaliste de Global Press Journal a vérifié ces prix en personne.
Ces éleveurs peuvent vendre de la viande à un prix bien inférieur, car ils ne paient pas d’impôts, explique Nicole Ntumba, vendeuse de viande au marché central de Kisangani.
Ces éleveurs sont soupçonnés d’ignorer les règlements dans leur ensemble.
Jean Aubin Akamba, ministre du gouvernement provincial, déclare que ces éleveurs agissent sans aucun égard pour les lois congolaises et vendent de la viande après la tombée de la nuit pour éviter des poursuites.
D’autres populations locales, par contre, affirment ne pas avoir une dent particulière contre les peuples Mbororo.
« Moi, je ne vois aucun problème à vivre avec les autres, car nous sommes tous des êtres humains et leur statut d’étranger ne doit en aucun cas les différencier de nous », déclare Jean Claude Lifenya, père de six enfants.
Et leur présence offre un boni, ajoute-t-il.
« Avant leur arrivée, j’éprouvais un peu de difficulté à nourrir ma famille avec un petit morceau de viande, mais aujourd’hui, je peux facilement me permettre de mettre assez de viande sur la table », révèle-t-il.
« Le résultat est que même les plus démunis comme nous se permettent les délices de la viande aujourd’hui », ajoute-t-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.