LAC KAMANDI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — À l’aube, un pêcheur congolais pousse sa pirogue sur le lac Édouard, situé à la frontière entre la RDC et l’Ouganda.
Sous un vent léger. Les vagues battent contre le rivage boueux derrière lui, où des centaines de pêcheurs inspectent leurs filets vides. Devant lui, l’eau s’étend vers l’est, à perte de vue, en direction de l’Ouganda.
Deux possibilités s’offrent à lui.
Doit-il payer une « taxe » de 40 000 francs congolais (environ 20 dollars) au groupe armé, connu sous le nom de Maï-Maï, qui contrôle le lac à l’intérieur des frontières de son propre pays – et ne pêcher que quelques petits tilapias ? Ou bien doit-il faire passer son canoë du côté ougandais, où les stocks de poissons réglementés par le gouvernement sont abondants — et risquer d’être arrêté par une patrouille militaire ?
« C’est honteux », a déclaré Kasereka Makombo, qui a choisi la première option pour l’instant, après 30 ans de pêche sur le lac Édouard. « Ce matin, mes filets n’ont attrapé que deux poissons », a-t-il ajouté.
Figurant parmi les sept grands lacs africains, le lac Édouard, également connu sous le nom de lac Rutanzige, se trouve à 71 % en RDC et à 29 % en Ouganda. Depuis 2016, les Maï-Maï ont encouragé une pêche sans limite du côté de la RDC – même sur les frayères — ce qui a entraîné un déclin drastique des populations de poissons. Après des années de tentatives infructueuses de l’armée Congolaise à expulser définitivement le groupe et faire appliquer les réglementations nationales, les autorités ougandaises ont maintenant intensifié leurs efforts pour protéger leurs eaux territoriales.
« Une campagne a été lancée en mars pour réprimer toute personne pêchant sans autorisation », a déclaré Flavia Byekwaso, porte-parole de l’armée ougandaise. « Entre la mi-août et la mi-septembre, 64 Congolais et 100 Ougandais ont été arrêtés », a-t-il ajouté.
Mais Adam Sandeta Mayele, membre du Comité des pêcheurs de la pêcherie de Kamandi Lac, un groupe autonome de villageois de la RDC, affirme que le désespoir a tendance à l’emporter sur le danger – même si le risque augmente pour les pêcheurs congolais.
« Une fois attrapés, ils sont arrêtés par la marine ougandaise, torturés et leur matériel de pêche prohibé est saisi », a-t-il déclaré. « Certains reviennent après avoir payé 300 dollars d’amende ou avec des blessures physiques », a-t-il ajouté, mais aucun n’est prêt à déposer des plaintes publiques qui pourraient mettre en danger sa vie et ses moyens de subsistance — et par ricochet envenimer les conflits dans la région.
Tout en démentant le fait que les autorités ougandaises aient maltraité des pêcheurs, M. Byekwaso a affirmé que les deux pays suivent de près la situation et ont commencé à travailler conjointement sur un plan de protection de l’environnement.
Tentative révolutionnaire de réconciliation dans une région en proie aux conflits
CLIQUEZ POUR LIRE L'ARTICLE« Nous avons mis en place un comité conjoint chargé du suivi et de la surveillance des activités de pêche illégale », a-t-il expliqué.
Cependant, tant que les Maï-Maï contrôlent le lac et en tirent profit, les fonctionnaires locaux autorisés à faire respecter la réglementation en matière de pêche affirment qu’ils ont les mains liées.
Le service de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Élevage de la RDC (AGRIPEL) sous-station de Kamandi estime que 80 % d’activité de pêche sur le lac Édouard viole la réglementation. « Seuls 100 canoës sont officiellement enregistrés, mais plus de 700 lancent régulièrement des filets », a affirmé Christian Mumbere Wayireta, un agent du service.
« Le service reçoit des menaces de mort lorsque les fonctionnaires tentent de détruire les filets illégaux », a déclaré Wayireta. « Je crains pour ma sécurité », a-t-il renchéri.
Si le gouvernement de la RDC reprenait le contrôle du lac, a-t-il ajouté, deux mois suffiraient pour que le tilapia, le poisson-chat et d’autres espèces se remettent des dommages subis au cours des cinq dernières années.
« La plupart des pêcheurs déclarent qu’ils obéiraient à une interdiction temporaire pour restaurer les populations de poissons, surtout si d’autres moyens de subsistance pouvaient être développés dans leurs villages, mais le gouvernement doit être en mesure de garantir que la réglementation s’applique à tous », a déclaré Mayele.
Le besoin en logement est à l'origine d'une crise alimentaire dans la région
CLIQUEZ POUR LIRE L'ARTICLED’autres pensent que si les pêcheurs gardaient leurs canoës à quai dans un premier temps, les Maï-Maï seraient suffisamment affaiblis financièrement pour desserrer leur étau.
« On dirait que les pêcheurs sont de mèche avec ces rebelles », s’est plaint Kambale Boniface, président de la Société civile de Kamandi Lac, un comité du village.
« Les deux étapes doivent se dérouler simultanément », a estimé Ophono Mumbere Kamundwavalya, Chef de service de l’Environnement et Développement durable sur la côte Ouest du lac Édouard et travaille en partenariat avec AGRIPEL pour tenter de réglementer la pêche.
« J’appelle les pêcheurs à arrêter de faire la pêche illicite pour que nous ayons encore des poissons et que le gouvernement nous dote des moyens suffisants tels des pirogues pour renforcer nos patrouilles», a-t-il déclaré.
Quelle que soit la solution, a affirmé Makombo le pêcheur, elle nécessitera le soutien ferme du gouvernement — de préférence de son vivant — afin que l’homme de 65 ans que je suis puisse à nouveau remonter un filet rempli de centaines de poissons.
« Que l’État impose son autorité sur le lac Édouard », a-t-il déclaré. « Nous voulons que la pêche soit réglementée pour que les pêcheurs congolais ne soient plus arrêtés sur la partie ougandaise », a-t-il renchéri.
Apophia Agiresaasi, GPJ Uganda, a contribué à ce reportage.
Merveille Kavira Luneghe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Kiampi Kongopi, GPJ.