Democratic Republic of Congo

Tentative révolutionnaire de réconciliation dans une région en proie aux conflits

Les habitants des provinces orientales de la République démocratique du Congo, en proie à des conflits, adoptent une nouvelle tactique : la résolution des conflits.

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A Troubled Region Attempts Revolutionary Reconciliation

Merveille Kavira Luneghe, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Mathe Muhindo Kakwira, habillée en bleu, s’entretient avec des collègues médiateurs dans la province du Nord-Kivu, où la communauté expérimente la réconciliation des conflits.

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LUOFU, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO – Les conflits sont prohibés. Tout le monde doit rester à sa place. Dans une salle aux murs de sable, deux parties tentent une expérience inédite dans cette zone orientale et parfois dangereuse du pays : la résolution des conflits.

En ce jour particulier, c’est le tour de Kamate Mutaka. Un chef terrien local, âgé de 53 ans et père de neuf enfants, qui se frappe la poitrine en signe de frustration. Il ne comprend pas pourquoi cela fait problème qu’il ait construit une piscine sur un terrain inutilisé qu’il avait précédemment vendu à un nouveau résident, Kasereka Kalivuligho.

« Est-ce que ceci pouvait vraiment constituer un sujet de dispute entre nous ? », a-t-il déclaré. « C’est moi qui l’avais accueilli quand il s’était réfugié ici », a-t-il renchéri.

Puis est venu le tour de Kalivuligho, qui s’exprime sur un ton mesuré s’agissant de la fuite de son village à cause de la violence des groupes armés. Mutaka lui a vendu une partie de son terrain, a-t-il dit, par la suite a récupéré une partie en construisant un bâtiment. Il est confus, indigné et blessé.

Cela peut sembler être une simple discussion sur un problème ordinaire, pourtant c’est une tentative révolutionnaire de réconciliation dans l’une des régions les plus violentes du monde. Des médiateurs, formés par le Conseil Régional des Organisations Non Gouvernementales de Développement, basé en RDC, travaillent de concert avec les communautés de la région afin d’identifier les moyens d’apaiser les tensions avant qu’elles ne tournent au vinaigre.

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Merveille Kavira Luneghe, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

De nombreux habitants de Luofu, un village de l'est de la République démocratique du Congo, adhèrent à une initiative visant à prévenir la violence par la médiation.

En mai, le président Félix Tshisekedi a déclaré la loi martiale dans deux provinces de l’est de la RDC, dont le Nord-Kivu, où est situé Luofu. Plus de 130 groupes armés dans le Nord et le Sud-Kivu s’affrontent pour un ensemble complexe de questions, dont les terres et les ressources naturelles, selon le Baromètre sécuritaire du Kivu, un projet conjoint piloté par Human Rights Watch, une organisation non gouvernementale internationale, et l’Université de New York.

Les conflits auxquels les médiateurs sont confrontés dans cette région montagneuse et rurale portent souvent sur la question de savoir si la vente de terres viole les principes ancestraux ou représente une opportunité économique. Ils se concentrent surtout sur les questions motivées par des valeurs ou des coutumes contrastées.

Le conseil, qui a commencé à travailler au Nord-Kivu en 1990, est financé par un groupe d’églises protestantes suisses connu sous le nom de HEKS/EPER. Malgré les circonstances uniques de la région, « Nous assistons aux conflits comme nous pouvons les constater ailleurs », a déclaré Mathe Muhindo Kakwira, chef de la succursale du conseil dans le territoire de Lubero au Nord-Kivu.

Kakwira a affirmé que les gens se sont déplacés en 2011 pour échapper aux combats entre les groupes armés accusés de viols, de massacres et d’enlèvements. « Les chefs terriens locaux ont vendu aux nouveaux arrivants des terres en violation des croyances coutumières », a-t-il déclaré.

Cela a provoqué la colère de nombreux habitants de la région.

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En 2015, les habitants ont commencé à forcer les nouveaux arrivants à partir. Des médiateurs ont réuni les dirigeants des deux groupes en 2017 pour mettre fin aux dissensions, un essai pour voir si on pouvait donner une chance à la promotion de la paix. Le programme a officiellement débuté en 2020.

Chaque partie arrive à un moment prédéterminé et raconte à tour de rôle l’histoire selon qu’elle l’a vécu. Un médiateur prodigue alors des conseils, et les parties font un geste de réconciliation, souvent en partageant un verre, et signent un document dans lequel elles s’engagent à mettre fin au conflit. Une autorité locale, à l’instar du chef de village, le signe également.

Pour Mutaka, c’est un succès.

« Et l’affaire est finie sans rien payer comme amande », a-t-il affirmé.

Kalivuligho était entièrement d’accord. « Ce n’est qu’après la médiation […] que nos relations sont revenues au beau fixe », a déclaré ce père de quatre enfants, âgé de 48 ans.

Cela ne se passe pas toujours aussi bien. Et certains habitants sont sceptiques à l’égard d’un processus qui devrait permettre de résoudre proprement des désaccords qui couvent depuis longtemps.

« Son inconvénient est qu’il ne donne rien au gagnant », a déclaré Anida Kavira Kinyamwanza, 62 ans, qui vit dans la région. « C’est contraire à la coutume locale », a-t-elle ajouté.

Mais l’organisation a remarqué un certain succès dans le travail avec les communautés sur les préoccupations de brassage discret. Ces questions, selon M. Kakwira, susciteraient plutôt de la méfiance et l’hostilité, et nuiraient au développement de la région.

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Merveille Kavira Luneghe, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Emmanuel Kambale Mulindo est à la tête d'un « club de paix » formé pour calmer les tensions dans la région avant qu'elles ne se transforment en conflit.

« Les médiateurs ont épluché 21 cas jusqu’en mai et ont résolu 19 d’entre eux », a-t-il déclaré.

Ce succès est dû en partie aux clubs dits de paix. Une quarantaine d’habitants font office de comité de vigilance, formés pour observer les points de tension dans les communautés. Ils offrent aux villageois la possibilité de participer à la médiation. Leur rôle ressemble à celui d’un support soutenant l’un des bananiers inclinés de la région. Si les gens remarquent l’inclinaison de l’arbre avant qu’il ne tombe, ils peuvent le soutenir.

Le secret, selon Emmanuel Kambale Mulindo, président d’une des équipes du club de paix, est d’impliquer la communauté et « d’écouter les paroles et les plaintes des habitants ».

Les responsables ont remarqué un changement. « Je reçois moins de cas de conflits au bureau de quartier, car la plupart des problèmes sont déjà solutionnés par les clubs de paix », a expliqué Muhima Murandya Kauleule, chef du quartier Kasiki à Luofu.

Aisé Kanendu, le député provincial du territoire de Lubero, soutient également cet effort. Il a déclaré que le gouvernement reconnaît et apprécie le travail de l’organisation.

Au moins, lors d’un récent après-midi, la séance s’est terminée par des sourires. Mutaka a décidé de ne plus rien construire sur le terrain de Kalivuligho. Il s’est excusé et a demandé le pardon.

Ils se sont serrés la main et ont pris un verre.

Merveille Kavira Luneghe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo. Merveille est spécialiste des reportages sur les migrations et les droits de la personne.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Kiampi Kongopi, GPJ.