Faute d’électricité, Kisangani plonge souvent dans le noir. Et pourtant, l’un des plus importants barrages hydroélectriques de la République démocratique du Congo se trouve dans cette ville qui subit des coupures de courant qui, aux dires des habitants de cette troisième ville du pays, durent généralement plusieurs heures.
Et si telle est la situation, déclare Félicien Aguzu, directeur financier au siège provincial de la Société nationale d’électricité (SNEL) à Kisangani, c’est parce que la centrale hydroélectrique sur laquelle compte la ville est en train de subir une détérioration rapide.
Aujourd’hui, cette centrale génère 6 mégawatts, soit six fois moins que la quantité d’énergie électrique dont toute la ville a besoin pour dire adieu aux coupures, déclare Aguzu.
Avec un taux d’électrification de 9% seulement, affirme l’USAID, ce pays d’Afrique centrale figure parmi les pays ayant le taux d’électrification le plus bas au monde. Le gouvernement prévoit d’augmenter ce taux à plus de 60% dans les six prochaines années. Toutefois, une tâche plus immédiate incombe aux autorités de Kisangani : assurer la sécurité des habitants la nuit venue.
Le nombre de crimes violents est en hausse et leurs auteurs s’en tirent à si bon compte, déclare un officier de police, qui s’est confié à Global Press Journal sous couvert d’anonymat, de peur de perdre son poste. À la nuit tombée, des bandits armés font irruption dans des maisons et s’en prennent aux gens dans les rues.
Des journalistes de Global Press Journal ici ont voulu comprendre comment les autorités et les habitants de la ville marient cette situation et la débrouille dans une série en trois volets. Certaines familles choisissant de mettre sur pied un système d’alarme à la fois rapide et pas cher, d’autres habitants de cette ville sont en quête d’une issue.
KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Alors qu’il est déjà 9h10 du soir dans le quartier de Mangobo, une cacophonie émerge des sifflets. Et le quartier résonne de coups de sifflet et de cris de secours.
Ici, lorsqu’un bandit fait irruption dans une maison, les personnes attaquées s’en remettent à des coups de sifflet pour alerter leurs voisins qui, à leur tour, font retentir des marmites, des couvercles, des barres de métal et tout autre bidule capable de faire du barouf.
Le bruit semant la frousse, les bandits prennent la poudre d’escampette et s’écartent du quartier.
Aujourd’hui, il apparaît nécessaire d’avoir ce système d’alarme low-tech. Filimbi – « sifflet » en swahili – est le nom local donné à ce système ». On assiste, aux dires des habitants, à la hausse de la criminalité. Malgré l’absence de données fiables pour le confirmer, ils savent de par leur expérience que tel est le cas. La nuit venue, des bandits armés profitent de l’obscurité qui règne pour faire main basse sur des maisons et même ôter la vie de leurs occupants. Et à en croire certains habitants, des appels au secours lancés à la police locale restent sans réponse ou l’intervention se fait longuement attendre.
Dans ce quartier et dans d’autres, des garçons qui y vivent patrouillent aux alentours de leurs domiciles. Toutefois, les habitants font souvent usage de leurs sifflets, gardant leurs marmites et casseroles à portée de main. Selon certains, les ustensiles de cuisine sont des armes qu’ils gardent à côté de leurs lits toutes les nuits.
« Chaque fois que nous poussons des cris, donnons des coups de sifflet ou frappons des barres de métal, les bandits prennent la fuite », explique Mireille Anissa Bwana, 48 ans, mère de cinq enfants et habitante du quartier de Mangobo.
Aujourd’hui, la police essaie de faire son travail, confie un responsable de la police qui a requis l’anonymat. À preuve, affirme-t-il, des criminels ayant attaqué et pillé un magasin, tuant deux personnes en même temps, sont aujourd’hui sous les verrous.
Du côté des gens ordinaires à Kisangani, autre son de cloche.
Maurice Masikini tient un bar. Un jour, confie-t-il, des bandits ont déferlé sur lui et il n’a eu la vie sauve que grâce aux coups de sifflet donnés par ses voisins.
Aujourd’hui, révèle-t-il, il ne peut prolonger les heures d’ouverture de son bar au-delà de 21h00, car il ne veut plus être la cible de ces hors la loi.
Avec 11 ans d’expérience, David Losotono, conducteur de moto-taxi, affirme gagner moins aujourd’hui qu’il y a quelques jours, car la ville est si dangereuse. Ces jours-ci, dit-il, il craint de transporter des passagers qu’il ne connaît pas.
« Des malfaiteurs profitent de certains coins obscurs de la ville pour exécuter leur sale besogne », se désole Losotono. « Et pourtant, nous faisons plus d’argent la nuit ».
Ces jours-ci, dit-il, il gagne généralement entre 8 000 et 10 000 francs congolais par jour au lieu des 25 000 francs, somme qui, autrefois, fut un revenu normal.
« Où sont passées toutes nos autorités ? » se demande Losotono. « Ils ne font rien alors que la population devient victime chaque jour ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.