Democratic Republic of Congo

Des affrontements bloquent un itinéraire primordial au commerce de l’ananas, mettant en difficulté une commune de la RDC

La réémergence d’un groupe armé a entraîné la suspension du trafic sur une importante route nationale, au grand dam des agriculteurs de Kanyabayonga qui vendent leurs fruits le long de ce trajet.

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A DRC Town Struggles as Fighting Closes Key Route for Pineapple Trade

Merveille Kavira Luneghe, GPJ RDC

Des ananas en pleine croissance dans la région de Kitowa, à l’ouest de Kanyabayonga, territoire de Lubero, province du Nord-Kivu, RDC.

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KANYABAYONGA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Le parfum rafraîchissant des eucalyptus embaume l’air à l’entrée de Kanyabayonga, une commune rurale abritant 61 109 âmes et chevauchant deux territoires limitrophes de la province du Nord-Kivu : le sud de Lubero et le nord de Rutshuru. Étendue dans une sympathique vallée que caresse la brise, la commune est située sur les deux côtés de Route Nationale 2 (RN2). L’air pur masque les périodes difficiles qu’a connues la communauté au cours des mois ayant suivi la fermeture d’une partie de cet axe national en octobre.

D’imposants eucalyptus dominent le paysage, tant sur les hauts plateaux qui entourent Kanyabayonga que dans la vallée qui l’abrite. Cependant, la fierté de commune aura toujours été ses plantations d’ananas. Durant des années, de nombreux champs d’ananas dans la région ont généré des volumes de production supérieurs à ceux d’autres cultures à petite échelle comme le manioc et le haricot. Mais tout cela n’est plus qu’un lointain souvenir.

Fermeture de la RN2

Après leur défaite en 2012 face aux forces congolaises et internationales, le groupe armé M23 a refait surface en novembre 2021. À ce jour, le groupe a saisi des bandes de territoire dans la province du Nord-Kivu, provoquant le déplacement des civils. Depuis octobre, dans le territoire de Rutshuru, l’on assiste à la suspension de la circulation sur la RN2 qui relie le territoire de Lubero dans la province du Nord-Kivu à son centre administratif, Goma. Les conséquences pour la commune de Kanyabayonga sont tout simplement désastreuses.

La production agricole a connu une baisse significative, les populations étant réduites, du fait de l’insécurité, à cultiver exclusivement les terres proches de leurs domiciles. Cette situation a plombé la production de cultures locales comme l’ananas, le manioc et la patate douce, selon un rapport de juin 2022 émis par Actions et Interventions pour le développement et la gestion sociale, un partenaire du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Un rapport publié cette année par le ministère de la Santé de la RDC fait également état de la flambée des prix de denrées alimentaires à Goma, la capitale du Nord-Kivu, depuis la fermeture de la RN2 consécutive à la présence des combattants du M23 à Rutshuru.

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Merveille Kavira Luneghe, GPJ RDC

Isaac Muhindo Lubende porte sur le dos une charge d’ananas à travers un champ à Kitowa, à l’ouest de Kanyabayonga.

Culture de l’ananas à Kanyabayonga

Dans le territoire de Lubero Sud, de nombreuses familles de la commune de Kanyabayonga qui comptent principalement sur la culture de l’ananas comme source majeure de revenus, sont laissées dans le désespoir. Les usagers de la route reliant Kanyabayonga à Goma, lesquels constituaient leur principale clientèle, sont aujourd’hui si rares. Un silence lourd a pris la place des plaisanteries qui jadis fusaient parmi les marchands d’ananas vendant leurs produits le long de la route au nord et au sud de Kanyabayonga. Pour beaucoup, joindre les deux bouts est devenu une véritable gageure, le revenu familial autant que l’économie de la commune ayant pris un coup dur.

Isaac Muhindo Lubende, âgé de 28 ans, fait partie des personnes qui se débattent. Lubende a perdu son père alors qu’il était encore tout petit et son extrême indigence l’a empêché d’aller à l’école. À l’âge de 10 ans, il a entrepris de transporter des ananas du champ vers les centres commerciaux de Goma, où il les troquait contre des vêtements neufs. À l’âge de 15 ans, il acquit son propre champ et après sa première récolte 18 mois plus tard, il commença à vendre les ananas, une opportunité qui a transformé sa vie.

« J’ai commencé à toucher facilement de l’argent. Je satisfaisais aisément mes besoins. J’ai même réussi à acheter deux autres nouveaux champs d’ananas. J’expédiais des colis à Goma pour les y faire vendre. Je gagnais pas moins de 100 000 francs congolais [environ 42 dollars] juste pour un petit fardeau », confie-t-il.

Il avait l’habitude chaque semaine d’expédier une cargaison de 100 000 francs congolais (42 $), une petite fortune dans un pays où environ 62 % de la population (soit près de 60 millions de personnes) vivent avec moins de 3 dollars par jour, ce qui en fait l’une des cinq nations les plus pauvres au monde.

« À cause du blocage de la route, un colis d’ananas qui coûtait 15 000 francs congolais (6,3 $) se vend difficilement aujourd’hui à 3 000 francs congolais (1,3 $). Les rares clients que nous trouvons ces jours sont les habitants locaux et les déplacés de guerre qui sont ici. La réouverture de la route est la seule solution à notre misère », dit-il alors qu’il revient de son champ portant sur le dos une grande hotte chargée d’ananas.

Production d’ananas en RDC

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production d’ananas en RDC s’élevait à 191 000 tonnes en 2021, faisant du pays l’un des 10 meilleurs producteurs de ce fruit sur le continent. Évaluée à 77 millions de dollars, la production de ce fruit tropical couvre une surface importante de terres du pays avec 8 000 hectares. Il est devancé par la banane, la mangue, le mangoustan, la goyave, la papaye et les avocats. Une grande partie de ces fruits est consommée localement, car en dépit de ses volumes élevés de production, la RDC ne figure pas au rang des meilleurs exportateurs africains d’ananas.

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Merveille Kavira Luneghe, GPJ RDC

Paluku Kalagho, un cultivateur d’ananas, entretient son champ à Kitowa, à l’ouest de Kanyabayonga. « Si cette situation persiste, ma vie risquera d’être un échec », confie-t-il à propos de la fermeture de la route.

Les conditions climatiques et pédologiques de la province du Nord-Kivu en font un milieu adéquat pour la culture de diverses variétés de fruits, y compris l’ananas, particulièrement dans les territoires de Rutshuru (avocat, mangue), de Lubero (grenadille, ananas, fraise, framboise, avocat), de Beni (mangue, ananas, grenadille, avocat), de Masisi (avocat, ananas) et de Nyiragongo (fraise, grenadille).

Avec la fermeture de cette route qui assure la liaison entre le nord et le sud de la province, les activités commerciales sont au point mort. Par le passé, des marchandes se précipitaient vers des automobiles, camions et motocyclettes pour vendre leurs produits. L’économie de la commune était florissante, avec un important flux d’argent en circulation sur cette route qui constituait un véritable moyen de survie pour les communautés environnantes.

De nombreux ménages pouvaient vivre exclusivement de la culture de l’ananas. Les stocks invendus d’ananas étaient expédiés vers le territoire de Rutshuru et la ville de Goma, où ils étaient écoulés à un prix plus élevé.

Asha Kanyere, une vendeuse d’ananas déclare : « Cette route est notre vie. Qu’ils se battent, mais qu’ils la laissent ouverte. Nous ne sommes pas une partie prenante dans leur conflit ».

La culture de l’ananas, une source de revenus pour des maisonnées entières

Paluku Kalagho, âgé de 60 ans et père de huit enfants, cumule plus de 20 ans d’expérience dans la culture de l’ananas ; au bon vieux temps, il jouissait d’une belle réussite. Il pouvait aisément assurer la scolarité de ses enfants parmi lesquels certains sont mariés et prennent soin de leurs propres familles. Mais à présent, avec de pleines charges d’ananas en état de putréfaction dans ses champs, Kalagho attend avec impatience la réouverture de la RN2. « Si cette situation persiste, ma vie risquera d’être un échec », regrette-t-il.

Neema Kahindo Miriamu est âgée de 23 ans et, comme d’autres agriculteurs, elle a pris la résolution de récolter ses fruits et de les distribuer plutôt que de les laisser pourrir.

« Cette route est notre vie. Qu’ils se battent, mais qu’ils la laissent ouverte. Nous ne sommes pas une partie prenante dans leur conflit. » vendeuse d’ananas

« Il n’y a plus de clientèle. Quand j’ai constaté que les ananas pourriraient au champ, j’y ai amené des membres de famille qui se les sont récoltés gratuitement. Mais, je n’ai rien gagné sauf leurs remerciements », explique-t-elle.

Réouverture de la RN2 : les risques

La réouverture de la RN2 n’est toutefois pas une mince affaire. Le 1er mars, le gouvernement de la province du Nord-Kivu a décidé de rétablir la circulation sur cet axe routier. Cette disposition n’a duré que moins d’une journée, car le gouvernement provincial n’a pas tardé à signaler l’assassinat d’un conducteur de camion par de présumés combattants du M23 qui dans la foulée auraient pillé toute sa cargaison. L’instant d’après, la route était à nouveau fermée « jusqu’à nouvel ordre ».

Il y a non seulement une crainte de mettre en péril la vie des civils, dans la mesure où le M23 les a déjà pris pour cible par le passé, mais également un apeurement de voir ce groupe s’enrichir de manière illicite en imposant aux véhicules une taxe.

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Merveille Kavira Luneghe, GPJ RDC

Neema Kahindo Miriamu, dans son champ d’ananas à Kyanzikiro, à l’ouest de Kanyabayonga, a partagé sa récolte afin d’éviter que les fruits pourrissent.

Mais tous ces risques ne suffisent pas à faire taire des personnes qui ont vu la fermeture de la RN2 bouleverser leurs vies.

« Il n’y a plus de circulation d’argent à Kanyabayonga. La faim frappe les gens. Certains abandonnent même les études. Des personnes qui travaillaient avant des champs dans le parc des Virunga et qui ne peuvent plus y accéder maintenant avaient déjà trouvé refuge dans la culture et le commerce de l’ananas. Ils sont déjà aux abois. Je n’ai rien à faire. Seule la reprise des trafics routiers reste salutaire », explique Chrysostome Kasereka Fatiri, le bourgmestre de Kanyabayonga.

Au regard des conséquences néfastes de cette fermeture, la population et même des organisations ont lancé des appels en faveur d’une réouverture. Malgré tout cela, le gouvernement national à ce jour n’a pas dit le moindre mot sur la question.

Marie Ngoy, une marchande d’ananas âgée de 48 ans, affirme qu’elle n’a plus les moyens de débourser la somme hebdomadaire de 5 000 francs congolais (2,10 $) qu’elle avait l’habitude de verser dans une tontine, ces programmes d’épargne dans lesquels les membres se distribuent à tour de rôle la cagnotte, à une fréquence hebdomadaire ou mensuelle. Elle aussi souhaite vivement assister à la relance du trafic routier.

Pour Faustin Kasereka Isevalisha, chef du service de l’économie à Kanyabayonga, la réouverture de la route reste l’unique solution.

« L’économie d’un grand nombre de ménages est basée ici sur l’ananas. Cette absence du marché a créé une chute économique brusque qui affecte des familles dont certains sombrent déjà dans une sorte de paupérisme. L’ouverture de la route rétablira rapidement la situation », conclut Isevalisha.

Merveille Kavira Luneghe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Kouethel Tekam Néhémie Rufus, GPJ.

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