GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Lors d’une épidémie mortelle d’Ebola dans ce chef-lieu provincial à la frontière orientale du pays, Frida Sabata pouvait tourner son petit restaurant. Et vint le tour du nouveau coronavirus de porter un coup.
Quelques jours plus tard, elle a dû arrêter sa seule source de subsistance pour elle et ses sept enfants. Et pour cause, cette pandémie a conduit les autorités à fermer les commerces, une mesure qui s’est répercutée sur une communauté qui ne s’est toujours pas remise d’un autre virus dévastateur.
Les responsables de la RD Congo insistent sur le fait qu’ils ont tiré des leçons d’Ebola qui aideront à contrer le nouveau coronavirus. Mais ils se heurtent au début d’une crise mondiale qui se traduit par l’amenuisement des ressources et le choix par les donateurs de se tourner vers la flambée de cas dans leurs propres pays. Le confinement par le gouvernement – plus renforcé que lors de la crise d’Ebola – a également provoqué un tollé parmi ces gens vivant au jour le jour à la sueur de leur front.
« Si Ebola nous a épargnés, aujourd’hui avec la quarantaine, c’est la famine qui va nous tuer avant », s’inquiète Sabata.
Covid-19, la maladie provoquée par le nouveau coronavirus, a frappé la RDC à l’heure où le gouvernement s’apprêtait à annoncer l’éradication d’Ebola. Un nouveau cas d’Ebola confirmé par l’Organisation mondiale de la santé le 10 avril ne fait que freiner cette étape importante et aggraver davantage la situation.
Pour faire barrière à la propagation du Covid-19, les autorités ont décidé la fermeture des écoles et des services non essentiels et imposé la taille limite des rassemblements publics. La RD Congo a déclaré 223 cas confirmés et 20 décès, selon l’université Johns Hopkins et Medicine Coronavirus Resource Center.
Ce pays qui compte environ 86 millions d’habitants a appris les dures leçons des épidémies en 2018 lorsqu’il était confronté à l’une des pires épidémies d’Ebola jamais enregistrées dans le monde. Environ 3 500 personnes étaient touchées et plus de 2 000 vies fauchées. Le virus a largement affecté cette région de la RD Congo, qui se trouve loin de la capitale plus grande et plus nantie de Kinshasa.
« L’expérience a montré que l’arme la plus utile est la mobilisation de la population », déclare Carly Nzanzu Kasivita, gouverneur du Nord-Kivu, la province où se trouve Goma, lors d’une récente conférence de presse. « Nous avons réussi à arrêter le virus Ebola avec la participation de la communauté. Je pense qu’il est possible d’arrêter le coronavirus de la même manière ».
Les responsables affirment prendre des précautions nécessaires, dont nombre d’entre eux étaient mises en place lors de la crise précédente. Depuis des années, le gouvernement privilégie l’hygiène de base et des prises de température.
Les autorités disposent déjà d’un système de laboratoire pour tester le coronavirus, explique Eugene Kabambi, chargé de communication en situation d’urgence pour la branche africaine de l’Organisation mondiale de la santé, et envisagent d’en installer un prochainement à Goma.
Pourtant, le pays est aujourd’hui en butte à des défis d’un tout autre genre. Mis à l’épreuve par la crise mondiale du Covid-19, les donateurs internationaux ont moins à offrir. La Banque mondiale a promis 47 millions de dollars à la RD Congo pour aider aux stratégies de confinement du coronavirus, à l’équipement et à la formation. Pourtant, cette somme reste de loin inférieure aux 300 millions de dollars qu’elle a accordés au pays pour lutter contre Ebola.
« Nous allons devoir compter sur nos propres forces pour lutter contre la maladie », déclare aux journalistes en mars Jean Jacques Muyembe, un microbiologiste congolais qui étudie le virus Ebola depuis des décennies.
La lutte contre le virus Ebola a déjà épuisé les ressources. Des équipements essentiels tels que des médicaments, des gants et des lits font défaut dans des hôpitaux, confie Muyembe. « Nos capacités de prise en charge et de réanimation dans nos hôpitaux sont insuffisantes. Et je m’inquiète encore plus pour le personnel médical qui n’est pas suffisamment équipé ».
La tâche s’annonce ardue aussi, car les autorités doivent convaincre une population qui a vécu l’expérience du virus Ebola de s’inquiéter d’une maladie évocatrice de grippe. Dans cette ville frontalière, certains citadins n’ont pas peur de ce virus qui, selon eux, est une maladie étrangère, car elle est partie de la Chine et s’est jusqu’à présent propagée plus largement en Europe qu’en Afrique.
Tant qu’ils ne présentent pas de symptômes, qui peuvent commencer par de la fièvre et entraîner des saignements externes, les sujets humains atteints d’Ebola ne sont pas contagieux. Autrement dit, les responsables de la santé peuvent rapidement identifier les personnes atteintes de la maladie et les isoler. Ce qui n’est pas le cas du Covid-19. On peut être porteur du virus pendant des semaines avant de remarquer des symptômes, si jamais ces derniers se manifestent.
Joséphine Zainabu, 48 ans, cherche du gingembre au marché pour protéger sa famille contre le virus qui, selon elle, ne tue que les blancs et les chinois.
« Ce que je vais faire, c’est prendre ces gingembres, les mélanger avec du citron et du miel et les mettre dans de l’eau chaude comme nous le faisons habituellement pour le traitement de la grippe », lâche-t-elle. « Et c’est tout, plus de corona ! »
Alors que certains habitants de Goma craignent que les gens ne prennent pas la pandémie au sérieux, beaucoup ne croient pas se payer le luxe de l’attendre.
Adam Kaliri, motard, est plus préoccupé par le souci de savoir comment compter sur près de la moitié de ses revenus pour survivre que par le risque d’attraper le coronavirus. Il gagnait 16 000 francs congolais par jour, et gagne aujourd’hui 9 000.
« Je me demande si le gouvernement a tenu compte du fait que nous survivons chaque jour », s’alarme-t-il. « Nous mangeons seulement quand on a travaillé ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.