KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Dans la province de la Tshopo en RDC, le charbon de bois est roi. L’électricité pour la cuisson est un luxe hors de portée de la majorité des ménages qui finissent par s’en remettre au charbon de bois pour nourrir leurs familles.
Aux dires des écologistes, pourtant, la demande en charbon de bois demeure une source de déforestation dans la région alors que le combustible, lui, met en péril la santé des femmes et des enfants. Dans le même temps, cette ressource autrefois bon marché est si chère que plusieurs personnes ne peuvent plus supporter son coût.
Selon Hélène Masika Bina, 38 ans – femme de ménage et mère de cinq enfants – jusqu’à récemment, ses dépenses en énergie de cuisson prenaient des proportions inimaginables.
« Toutes les deux semaines, je devais acheter un sac de braises qui coûte 20 000 francs, et ça me coûtait trop d’argent », déplore-t-elle.
Cet été par contre, Masika et 63 autres femmes de Kisangani, chef-lieu de la Tshopo, ont appris à fabriquer des briquettes de biomasse à combustion propre, appelées dans la langue locale « makalayabumba », à base de déchets ménagers. Aujourd’hui, elle fabrique et utilise ces briquettes à la maison et les vend à d’autres femmes de ménage dans la ville.
« Avec cette initiative de production de briquettes, je vais maintenant réduire mes dépenses », assure Masika.
En août, lors d’un atelier organisé par l’Agence belge de développement (Enabel), ces femmes ont appris à fabriquer de petites briquettes rondes à partir de la poudre de charbon de bois, de l’argile et des eaux usées des brasseries. Bref, tous les ingrédients trouvables à la maison.
Pour fabriquer ces briquettes, on mélange ces ingrédients, puis les roule en petites boules. On les laisse ensuite sécher au soleil.
Masika vend des lots de 15 briquettes à un prix de 100 francs congolais chacun. Une briquette peut brûler pendant 45 minutes, révèle-t-elle.
L’initiative offre aussi un atout bénéfique à la santé, raconte le Dr Rodrigue Abedi qui travaille aux Cliniques universitaires de Kisangani. Selon lui, les femmes de ménage et leurs enfants peuvent être la proie des infections pulmonaires à cause de l’inhalation de fumée de charbon de bois.
« Toute personne qui est exposées aux fumées est plus susceptible d’être attrapées par la maladie pulmonaire », prévient-il.
Eugénie Baruti, 41 ans, veuve et mère de cinq enfants, vend du riz au marché central de Kisangani. À l’en croire, s’approvisionner en charbon de bois n’a jamais été une sinécure pour elle, car un sac coûte 1 000 francs.
« Avec l’utilisation des briquettes que les femmes fabriquent, je crois que je ne peux plus sortir 1 000 francs chaque jour pour le charbon de bois », renseigne-t-elle.
Lors de l’atelier, les participants ont appris, en outre, comment la demande en charbon de bois est source de déforestation.
« Cette initiative n’est pas seulement pour diminuer les dépenses, mais aussi pour bannir le problème de la déforestation qui est devenu un sérieux problème pour l’environnement », explique Masika.
Plus de 200 000 sacs de charbon de bois se vendent chaque jour sur les marchés de Kisangani, explique Prosper Matondo, technicien en environnement chez Enabel. Selon lui, la vente du charbon de bois s’avère un ingrédient de la déforestation rapide dans la région.
Quoique la déforestation en République démocratique du Congo ait toujours été à un niveau faible, on a enregistré un taux élevé de déforestation au cours de la dernière décennie. Chaque année, 1 million d’hectares de couvert forestier disparaissent, s’alarme l’Initiative pour les forêts de l’Afrique centrale.
Pascal Oketa Kasili, un père de huit enfants de 53 ans, produit du charbon de bois dans la ville depuis 1991. « Je ne pense pas que cette initiative de briquettes puisse nuire à mon travail », glisse-t-il.
Quant à Oketa, la déforestation n’est pas imputable à la seule production de charbon de bois. « D’autres gros arbres sont coupés et vendus pour d’autres services », témoigne-t-il. Pourtant, lit-on dans les recherches de l’Initiative pour les forêts de l’Afrique centrale, 96% du bois récolté en RDC sont utilisés comme combustible.
Antoine Ekoko, ingénieur en environnement, explique que l’abattage de grands arbres peut provoquer la diminution des précipitations et menacer l’approvisionnement en eau potable. Selon un rapport de 2018 de l’Agence des États-Unis pour le développement international, les phénomènes d’assèchement dans des pays aussi éloignés que le Mali et l’Éthiopie sont imputables à la perte d’arbres dans le bassin du Congo.
Ekoko affirme la nécessité d’un calendrier ferme pour l’abattage des arbres pour faire obstacle à la poursuite de la déforestation.
« Il faut harmoniser », conseille-t-il, « et non couper les arbres en désordre comme le font les fabricants ».
Françoise Mbuyi, GPJ, a traduit quelques interviews du lingala au français. Ndahayo Sylvestre, GPJ, a adapté l’article à partir de sa version originale en français.