GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Un soir à une heure tardive en septembre, nombre de gens se précipitent vers un jeune homme abattu par balle. Le retrouvant gisant dans une mare de sang, ils tentent de l’identifier. Reconnaissant la victime, ils hurlent de désespoir.
Le corps sans vie est celui de Salume Kabwelulu, changeur âgé de 33 ans engagé dans des opérations de change du franc congolais contre le dollar américain et qui faisait carrière dans cette ville. Des bandits armés se sont emparés de son fric sans lui laisser la vie sauve alors qu’il rentrait chez lui à pied.
Il est mort dans ces circonstances laissant derrière lui sa femme, Sharifa Kabwelulu, et leurs jumeaux de 2 ans.
« Mon mari était un homme responsable qui prenait soin de sa famille par la sueur de son front », se souvient Sharifa Kabwelulu, 27 ans, en sanglots. « Ceux qui l’ont tué savaient bien qu’il avait de l’argent sur lui et l’ont attendu pour le lui prendre sans laisser de témoin ».
Salume Kabwelulu venait s’ajouter à d’autres victimes dans une ville rongée par la criminalité ces derniers mois.
Pour certains, la culpabilité revient aux efforts déployés par le gouvernement national pour endiguer le coronavirus – au nombre desquels la limitation des déplacements à l’intérieur du pays, l’imposition d’un couvre-feu, la libération des milliers de prisonniers, la restriction des heures d’ouverture et la fermeture des frontières.
Pour les détracteurs du gouvernement, ces mesures ont mis à mal les affaires, aggravé la pauvreté et alimenté la criminalité. Mises en place pour sécuriser les populations, affirment-ils, ces mesures semblent, en effet, avoir conduit à l’effet inverse.
Ces mesures ont plongé de nombreux Congolais dans le chômage, selon le Centre de recherche en économie et finance de Goma, une organisation indépendante composée principalement de professeurs de l’université de Goma. À en croire Vicar Batundi, vice-président de la société civile de Goma, la hausse du chômage a poussé de nombreux jeunes vers la criminalité.
« D’une part, la Covid-19 a été maitrisée, mais d’autre part, les cas d’insécurité ont augmenté », explique Batundi. « Dans le mois de septembre seulement, 10 personnes ont été tuées par des bandits armés, un nombre extrêmement élevé par rapport à l’année passée où l’on comptait deux cas par mois ».
Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu dans l’est de la RD Congo, a enregistré 35 meurtres en 2019, selon la police locale. En septembre, cette année encore, le nombre s’élevait déjà à 45.
L’instabilité a secoué Goma de manière intermittente depuis les années 1960, à la suite des conflits armés, des tensions politiques, des crises régionales de réfugiés et d’autres cataclysmes. Avec la guerre civile qui a éclaté en RD Congo il y a près de 25 ans, d’importants groupes armés se sont ancrés dans cette ville lacustre tentaculaire de plus d’un million d’habitants. Certains de ces groupes y sont toujours présents.
En même temps, Goma s’est érigée en hub d’affaires et d’aide humanitaire, avec des dizaines d’organisations humanitaires et de nombreux logements et hôtels haut de gamme. Mais la criminalité, elle, n’a jamais faibli, nourrie par l’embourgeoisement, le chômage et la pauvreté.
Au début du mois de mars, un autre défi social s’est invité, lorsque la RD Congo a annoncé son premier cas de Covid-19, la maladie causée par le coronavirus.
Entre autres mesures, le gouvernement a fermé les frontières de la RD Congo. Cette fermeture, qui a duré jusqu’à fin août, a eu un impact économique important, explique Michel Djamba, porte-parole de l’Association des commerçants transfrontaliers.
Avant la pandémie, dit-il, les gens se rendaient au Rwanda, ainsi que dans d’autres pays voisins tels que l’Ouganda et le Burundi, pour chercher du travail. Au moins 10 000 personnes franchissaient la frontière chaque jour, annonce-t-il.
« La moitié de ce nombre ont été obligé de chercher d’autres sources de revenus », révèle-t-il, « tandis que les autres se sont retrouvés au chômage ».
Dans le même temps, les magistrats ont relâché 2 000 détenus pour endiguer le virus dans les prisons surpeuplées de la RD Congo. Selon l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch (HRW), la plupart d’entre eux avaient été emprisonnés pour des délits mineurs ou attendaient d’être jugés.
Pourtant, certaines autorités accusent ces détenus libérés d’être à l’origine de l’augmentation de la criminalité en RD Congo.
Un convoi de camions, une aubaine pour une ville de la RD Congo en proie à la violence
Cliquez pour lire d’autres articlesSelon Job Alain Alisa, commandant de la police dans la ville de Goma, les anciens détenus sont aujourd’hui responsables d’au moins 60 % des crimes violents commis à Goma.
« Lorsque vous libérez quelqu’un et qu’il n’y a pas de programme de réinsertion sociale, il y a de fortes chances que l’individu redevienne un criminel », affirme Alisa.
Aujourd’hui, plusieurs habitants de Goma vivent presque dans la panique. Signe qui ne trompe pas, à la nuit tombée les rues sont désertes même avec la levée totale des restrictions liées au coronavirus. La criminalité est un sujet brûlant qui fait les gros titres de la presse et dans les médias sociaux. Au coucher du soleil, aucune activité n’est plus ouverte.
Justin Kabuya, marié et père de trois enfants, tient un magasin général dans le centre-ville de Goma qui vend du riz, de la farine, du savon et d’autres denrées de base. Selon lui, il avait l’habitude de garder son magasin ouvert jusqu’à 18 heures. Aujourd’hui, il ferme vers 16 heures.
Il a ainsi décidé car récemment, un soir, des voleurs ont tiré une balle dans l’épaule de son collègue.
Avant, Kabuya empochait jusqu’à 60 000 francs par jour. Si, aujourd’hui, il arrive à en gagner la moitié, c’est par chance, affirme-t-il.
Récemment, aux environs de 19 heures lorsque Winnie Byabure, mère de six enfants, était chez elle, quatre hommes lourdement armés ont fait irruption. Ils ont enjoint, à elle et à ses enfants, de s’agenouiller, faces contre mur, et de garder le silence.
Ces bandits, arrivant à bord d’une camionnette, ont pris de nombreux objets de valeur : argent liquide, bouteilles de gaz pour cuisine, réfrigérateur, téléviseur et matelas.
« Je pense que mes voisins ont cru que j’étais en train de déménager », raconte Byabure. « Aujourd’hui, je commence à m’équiper petit à petit ».
Dieudonné Komayombi, membre du Parlement de la RD Congo qui représente Goma, affirme que la crise de la criminalité qui fait de cette ville sa proie est antérieure à la Covid-19, ajoutant que la solution est de saisir le nombre incalculable d’armes illégales qui circulent dans la ville.
De même, Patrick Mundeke, un haut responsable de la plateforme politique congolaise baptisée LAMUKA (« Réveillez-vous », en lingala), estime que les problèmes de criminalité à Goma remontent à plus loin que les restrictions liées aux coronavirus.
« Les autorités devraient rechercher la cause profonde du problème lié aux cas d’insécurité afin de trouver une solution efficace et durable », conseille-t-il. « Si rien ne change, même après la Covid-19, les gens continueront à être tués ».
Sharifa Kabwelulu, ayant convolé avec Salume en 2017, se souvient de lui comme d’un homme grand et calme avec un sourire qui l’a fait craquer au début de leurs fréquentations. Il était le président de l’Association des changeurs de monnaie et ramenait souvent à la maison des robes assorties pour leurs jumeaux.
Selon Sharifa, il avait l’habitude d’arriver à la maison à 19 heures pour se mettre à l’abri des voleurs. Mais Salume ne portait pas d’arme, et il prenait toujours le même chemin. Les voleurs connaissaient ses habitudes, révèle-t-elle, et le soir du 28 septembre, ils l’attendaient.
Sa vie a été fauchée juste avant d’arriver chez lui.
Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo. Elle est spécialiste des reportages sur la paix et la sécurité.
Note à propos de la traduction
Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ. Cliquez ici pour en savoir plus sur notre processus de traduction.