KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Jean Marie Tulume s’est présenté pour son premier jour de cours seulement pour découvrir qu’une chose faisait défaut : le professeur.
Des milliers d’étudiants universitaires sont en butte à des retards dans leurs études, en raison d’un boom de l’enseignement supérieur qui, dans ce chef-lieu provincial, a progressé bien plus rapidement que le nombre d’enseignants qualifiés.
« Nous faisons des va-et-vient, croyant que le professeur serait là, mais en vain », précise Tulume, qui a attendu plus de trois semaines pour commencer ses cours.
Le trop grand nombre d’écoles, conjugué aux enseignants qui sont insuffisants, s’invite au grand dam de l’enseignement supérieur dans cette troisième ville du pays et a pour corollaire non seulement le personnel en sous-effectif, mais aussi une baisse du niveau d’enseignement et l’avenir en retard pour ces diplômés en herbe.
La récente fermeture des écoles par des autorités sur fond de craintes du nouveau coronavirus pourrait causer des retards dans les études encore davantage. À ce jour, la RD Congo a confirmé 148 cas de virus et 16 décès, selon l’Université Johns Hopkins et le Medicine Coronavirus Resource Center.
Aussi Tulume a-t-il connu des retards dans ses études l’année dernière. « Je suis obligé de supporter », glisse-t-il. « Je n’ai pas le choix ».
À Kisangani, des établissements d’enseignement supérieur poussent comme des champignons. Il y a dix ans, les étudiants pouvaient fréquenter la seule université de la ville. Aujourd’hui, ils peuvent choisir entre huit, dont six sont privés. Tout le système ne mise que sur environ 300 professeurs, confie Benoit Dhed’a Djailo, recteur de l’Université de Kisangani, principale université publique, et représentant de la ville auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et universitaire.
Certaines universités sont incapables de payer les frais de déplacement des professeurs visiteurs, ce qui les obligent à attendre que les professeurs titulaires aient le temps d’enseigner. Ainsi, on assiste au manque d’enseignants pour certains cours pendant la majeure partie de l’année. Et les étudiants se retrouvent aux prises avec des frais d’études trimestriels même en l’absence de leur professeur.
Les frais varient d’une année à l’autre, mais un étudiant dans une université publique débourse généralement environ 300 dollars par an contre 500 dollars pour celui qui a fait le choix d’une école privée. Selon un rapport de 2018 de l’Institut National de la Statistique, le revenu moyen en RDC est en-dessous de 3 dollars par jour, une situation difficile pour de nombreux étudiants souhaitant poursuivre leurs études.
La RD Congo subit aujourd’hui le contrecoup d’une baisse des cours des matières premières, selon le Fonds monétaire international, et de l’une des pires épidémies d’Ebola dans le monde et des conflits violents entre groupes armés ayant poussé environ 5 millions de personnes à se déplacer dans le nord-est du pays. Cela aggrave la lenteur avec laquelle le pays se remet d’une guerre civile des années 1990.
L’année dernière a marqué la toute première transition pacifique du pouvoir présidentiel de l’histoire du pays.
« La situation politique et économique trouble toujours le système éducatif dans ce pays », explique Kasimir Ngoubi, analyste politique et professeur à l’Université de Kisangani. Ce n’est d’aucune utilité, lance-t-il, s’il peut falloir jusqu’à 10 ans pour acquérir le titre de professeur agrégé. Le système est pris au piège d’un cycle sans fin : le manque de professeurs signifie que les étudiants ne reçoivent pas la formation dont ils ont besoin pour combler le vide dans l’enseignement. Ngoubi en appelle au gouvernement de mettre en place des mesures incitatives encourageant les élèves talentueux à penser à se faire un chemin dans le monde universitaire.
Aux dires des autorités, elles ne peuvent pas se permettre d’offrir de telles bourses d’études.
« Il n’y a pas un budget considérable pour une formation de bourses pour favoriser la formation de relève », explique Dhed’a Djailo, représentant du ministère de l’éducation. Il est impossible pour le ministère de couvrir les frais de fonctionnement pour répondre à la demande, recruter des étudiants prometteurs ou offrir une aide financière pour la formation continue, glisse-t-il. « Le gouvernement octroyait une formation de bourses pour favoriser la relève. Vu les conditions socio-économiques que traverse le pays, il n’y a plus l’octroi de bourses. Ceux qui veulent embrasser la carrière scientifique sont obligés de se prendre en charge eux-mêmes ».
Les professeurs actuels, quoique taxés d’avoir des horaires exigeants et d’être à l’origine de la frustration des étudiants, s’avèrent être les plus gros bénéficiaires. « L’augmentation du nombre d’universités est la bienvenue », déclare Henri Paul Basthu, professeur depuis 10 ans. « Ceci m’aide à devenir plus professionnel et à gagner très bien ma vie ».
Pourtant, cela n’a pas servi les intérêts des étudiants, dont bon nombre se retrouvent dans des situations vulnérables. Ils s’inquiètent de l’impact que cela aura, non seulement sur leurs horaires de cours, mais aussi sur leur avenir.
« J’ai repris ma première licence puisque je n’avais pas cédé à l’assistant qui me demandait d’avoir une relation sexuelle avec lui », se désole Vivianne Mudunga, étudiante en droit à l’Université de Kisangani. Selon elle, elle n’a pas pu entrer en contact avec le professeur pour faire valoir ses points valables, ce qui l’a donc freinée.
D’autres étudiants relatent des cas de professeurs assistants qui supervisent des classes en l’absence des professeurs et qui exigent de l’argent en contrepartie d’un accès aux syllabus. Fabien Kitenge, étudiant en santé publique à la même université, a été freiné pour cause de non-paiement du pot-de-vin à un professeur assistant.
Outre ces retards immédiats, les étudiants et l’administration s’inquiètent de la dégradation à long terme de la rigueur académique dans un pays qui peine à donner un coup de pouce à son économie.
« J’ai défendu mon travail de fin de cycle dans un grand stress, car le directeur de mon travail m’a pris des mois pour la réalisation de ce travail », explique Doris Bamba, étudiante en sciences politiques qui avait une promesse d’emploi dans sa ville natale à condition de terminer ses études.
Le professeur ne s’est pas présenté pour attribuer des points à son travail avant l’expiration de l’offre. Bamba a perdu son emploi.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.