Mexico

Pour leur survie, les communautés indigènes doivent s’adapter — Et vite

Après des siècles d’agriculture, une décennie de sécheresse a obligé les populations Rarámuri à adopter de nouvelles habitudes.

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To Survive, Indigenous Community Must Adapt — Fast

LILETTE A. CONTRERAS, GPJ MEXIQUE

Le changement climatique dans la Sierra Tarahumara a obligé des agriculteurs indigènes comme Agripina Viniegra à rechercher de nouvelles sources de revenus et d’eau.

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CREEL, MEXIQUE : Un paradis verdoyant où se développent à profusion de grands arbres de pins, des troupeaux de bovins, des cerfs sauvages, et des champs où foisonnent de pleins épis de maïs en cours de maturation, du haricot, et des melons. Voilà ce que rappelle à Agripina Viniegra, une femme indigène Rarámuri, son enfance dans la région de Sierra Tarahumara au nord du Mexique.

Mais depuis l’outrageuse sécheresse de 2011, les pluies n’étaient pas suffisamment revenues pour fournir assez d’eau aux cultures, au bétail et à la maisonnée de cette jeune de 24 ans. En 2020, la crise en cours a obligé la Commission nationale de l’eau à déclarer une catastrophe naturelle pour l’état de Chihuahua, notamment la Sierra Tarahumara.

« Nos points d’eau se sont asséchés », murmure Viniegra.

Au départ, les familles Rarámuri s’adaptaient en marchant plusieurs fois la semaine vers le lac Arareco, soit un trajet aller-retour de quatre heures, poussant des charrettes à bras pour aller remplir d’eau des barils en plastique et des bouteilles de boissons gazeuses de deux litres. Dix ans plus tard, elles ont adopté des stratégies économiques et environnementales plus durables, particulièrement le tourisme, le système de troc, des réservoirs d’eau ainsi que des projets de reboisement, afin de faire face à la menace croissante liée au changement climatique.

S’ils sont couronnés de succès, ces efforts peuvent servir de modèle aux autres communautés indigènes du Mexique qui, selon le recensement de 2020, représentent un cinquième de la population. Ces communautés sont extrêmement vulnérables aux conséquences du changement climatique en raison de leur dépendance à l’agriculture vivrière et de leur forte concentration dans des régions sujettes à la sécheresse, déclare Georgina Gaona, coordinatrice des groupes ethniques et populations indigènes à l’Institut national électoral.

« Les saisons des pluies sont irrégulières, les temps ont changé », regrette-t-elle. « La moindre variation du climat (une pluviométrie basse ou des pluies tardives) a une incidence directe sur leur récolte. »

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LILETTE A. CONTRERAS, GPJ MEXIQUE

À l’entrepôt du centre de troc, Aurora Chávez Batista charge dans un sac la nourriture qu’elle a gagnée en échange de ses objets artisanaux.

Les communautés indigènes comme les Rarámuri ne bénéficient ni de l’influence politique ni du financement nécessaire pour d’importants projets d’irrigation, à l’instar des barrages qui pourraient éventuellement améliorer le rendement des cultures, renchérit Gaona. Le forage d’un puits coûte à peu près deux millions de pesos mexicains (environ 100 000 $) et exige une procédure d’approbation qui peut durer de cinq à dix ans.

La malnutrition chronique et les risques accrus de maladies dans la Sierra Tarahumara sont la conséquence de fortes baisses de production alimentaire, s’inquiète Víctor Quintana, ex-ministre du Développement social de Chihuahua. Face au problème, Luis Octavio Hijar, directeur opérationnel de la commission d’État pour les populations indigènes, révèle que le gouvernement a engagé la formation de plus de 5 600 agriculteurs locaux dans l’optique de les qualifier à l’utilisation des techniques adaptées à la sécheresse ainsi qu’à la production d’autres types de légumes et graminées.

« Notre vœu le plus cher est qu’ils conservent leurs habitudes et préservent leur droit de consommer ce qu’ils aiment, afin de pouvoir s’alimenter à leur convenance », confie-t-il. « Nous mettons à leur disposition des semences de laitue, de bettes, d’épinards, et autres plantes vertes pour leur permettre d’avoir plus de nourriture. »

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LILETTE A. CONTRERAS, GPJ MEXIQUE

Les dimanches, Agripina Viniegra aide un(e) commerçant(e) à collecter la nourriture à donner aux artisans indigènes qui viendront au centre de troc.

Cependant, Aurora Chávez Batista, une femme Rarámuri de 55 ans avoue avoir renoncé à l’agriculture il y a plusieurs années. Alors que son fils de 23 ans essaie toujours de cultiver du maïs et du haricot, ses sœurs et elle tissent des paniers et des bracelets et fixent des peaux de chèvre aux cadres de tambours en bois.

Ils effectuent un trajet mensuel de 40 minutes en taxi pour aller vendre leurs marchandises à Creel, une ville truffée de magasins d’artisanat qui attirent des visiteurs des États-Unis, du Canada, de l’Europe et même d’autres régions du Mexique.

Lorsque l’an dernier les touristes se sont faits rares en raison de la pandémie de coronavirus, les artisans se sont tournés vers le système de troc. Une fois par mois ou davantage, ils échangeaient leurs arts pour de la nourriture dans un poste de traite géré par le Centre pour la conservation et le développement autochtones alternatifs, une organisation à but non lucratif qui se déploie dans la Sierra Tarahumara depuis plus de 20 ans.

« Le troc nous procure un énorme soulagement et j’en suis extrêmement reconnaissante », se réjouit Chávez Batista. « Dans les magasins, ils ne donnent presque rien, mais ici nous avons de la nourriture. »

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LILETTE A. CONTRERAS, GPJ MEXIQUE

Quand il pleut, les nouvelles cuves d’Estela Batista peuvent recueillir de l’eau pour approvisionner pendant trois mois sa famille.

Viniegra est formelle : « Le troc, c’est ce qui nous convient », affirme-t-elle. « Sans ce moyen d’échange, nous n’aurions aucune solution pour trouver à manger. »

Au cours de la décennie écoulée, Viniegra a vu croître d’environ 80 à 200 le nombre de Rarámuri vendant des objets artisanaux. Elle a également, sur la même période, appris à rendre ses marchandises encore plus colorées et spéciales, passant de simples bijoux filetés aux couvertures et vêtements brodés de manière sophistiquée.

L’engouement pour le bois de pin et les feuilles de sotol utilisés comme matière première dans l’artisanat traditionnel a toutefois favorisé une plus grande déforestation, aggravant par là même les rudes effets de la saison sèche.

LILETTE A. CONTRERAS, GPJ MEXIQUE

De jeunes pins soigneusement entretenus dans un centre de troc en attendant qu’ils croissent suffisamment pour être repiqués par des communautés de volontaires.

Avec l’appui du Centre pour le développement autochtone, Estela Batista, âgée de 22 ans, a pu fixer trois grands réservoirs métalliques sur son toit en pisé, chacun pouvant contenir l’approvisionnement en eau pour un mois, bien qu’il faille au moins quatre jours de pluie pour les remplir à ras bord.

En échange, elle a intégré le projet de reforestation de l’organisation, où elle enseigne aux autochtones comment collecter, traiter et planter des graines de pins ou de sotol.

« Plusieurs raisons motivent nos efforts en faveur du reboisement : la raréfaction des arbres à pin, l’action des feux de brousse, l’absence des pluies et la déforestation massive », explique-t-elle.

Une telle débauche d’énergie exige optimisme et patience (seuls sept plants ayant survécu des 300 cultivés puis transplantés l’an dernier), mais pour les Rarámuri, il ne s’agit que d’une adaptation supplémentaire nécessaire pour protéger l’avenir de leur communauté.

« Si nous voulons continuer à profiter du troc, nous devons planter encore et encore », reconnaît Viniegra. « Autrement, nous n’aurons probablement plus d’objets artisanaux à échanger pour de la nourriture. »

Lilette A. Contreras es reportera de Global Press Journal, y se encuentra en Cuauhtémoc, México.


NOTA SOBRE LA TRADUCCIÓN

Aída Carrazco, GPJ, adaptó este artículo de su versión en inglés.

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