Haiti

La musique compas nouvelle génération: quand le temps fait bouger la musique traditionnelle haïtienne

Le compas, style musical d’Haïti, est monté en puissance dans les années 50, mais l’émergence des styles de musique plus modernes a altéré un morceau de sa popularité. Aujourd’hui, pourtant, les musiciens du monde compas s’emploient à ouvrir le style aux influences modernes sans perdre son identité traditionnelle.

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New Directions for Compas: Traditional Haitian Music Changes With the Times

Anne Myriam Bolivar, GPJ Haïti

Fed Dessein, chanteur du groupe de compas Kool Jazz, fait une répétition avec son groupe.

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — Juste après avoir empoché son diplôme en gestion administrative en 2003, Fed Dessein, 36 ans, a décidé de se lancer dans une profession qui a conquis le cœur des jeunes haïtiens, se convertissant en chanteur-compositeur de la musique compas, genre traditionnel typiquement haïtien.

Il a pris son temps pour se consacrer à la composition de chansons, s’attirant ainsi les foudres des membres de sa famille qui n’arrivaient pas à comprendre comment il voulait embrasser une carrière n’ayant rien à voir avec ses études universitaires. Ne voulant pas entomber sa passion pour le compas, Dessein n’a pas lâché prise, confie-t-il.

Dessein fait aujourd’hui office de lead vocal de Kool Jazz, un groupe compas de 10 membres qui, grâce à ses spectacles, a su toujours ravir la foule partout à Port-au-Prince, capitale d’Haïti.

Toutefois, de nos jours, le genre évolue, déclare-t-il. Des jeunes musiciens sacrifient le style du terroir au profit des styles et techniques de musique venus d’ailleurs dans le monde, explique-t-il. Selon Dessein, il ne peut jamais rêver de laisser tomber le style qui a été son gagne-pain pendant des années.

« Mon objectif demeure de veiller à ce que le compas résiste à l’épreuve du temps et reste vivace », fait-il savoir.

Trouvant ses origines à Haïti, ce genre musical est prisé partout dans les Caraïbes. Et aux dires de certains, la popularité de ce genre a un prix.

Né dans les années 1950, le style compas est le fruit des musiciens haïtiens comme Nemours Jean-Baptiste qui chantaient en Kreyòl, langue locale. S’armant des instruments variés, des tambours et des instruments traditionnels, ces artistes ont innové un rythme sonore souvent accompagné de danses. Ce style de danse, également connu sous le nom de compas, s’apparente au merengue, style de danse d’origine dominicaine, et laisse le corps se mouvoir par rapport à la cadence de la musique.

Or de nos jours, le compas perd de son attrait auprès du public local face aux nouvelles formes et techniques de danse, de production et de sons introduites par les musiciens, affirment les experts et fans locaux. D’après l’enquête réalisée en 2017 par Ayiti Mizik, une association haïtienne des professionnels de la musique, les styles urbains de musique notamment le rap, le reggae et le rock sont plus prisés à Haïti que le compas.

« Jwe jwet la » est l’une de nombreuses chansons compas traditionnelles écrites et interprétées par Fed Dessein et son groupe, Kool Jazz. (Photo par Anne Myriam Bolivar, GPJ Haïti)

L’intérêt pour la musique changeant avec le temps, les anciens artistes du monde compas ferment boutique, révèle Max Evens Cémelus, animateur d’une émission sur une station de radio locale.

« Dans le temps, la musique oldies était le style le plus prisé de notre pays. Et aujourd’hui, il est en train de perdre de son attrait auprès de presque tout le monde à Haïti », déplore-t-il.

Toutefois, d’après Ernst Henry, fan de longue date du groupe de Dessein, on se souviendra toujours des artistes anciens pour leur contribution à ce genre. Toujours selon lui, chacune des chansons et prestations de ces artistes donnent vie à la culture haïtienne.

« Il n’est rien de plus beau que de nous désaltérer à la source vive de notre musique traditionnelle », ajoute-t-il.
Les anciens se doivent de participer activement à la préservation du compas en assumant le rôle d’enseignant et de mentor pour de jeunes artistes, explique Dessein. « Nous ne sommes pas contre d’autres styles, mais il nous faut défendre ce que nous devons défendre », assure-t-il.

De l’avis des autres, le changement sonore est une avancée positive. Shélo Joseph, étudiant de 22 ans, affirme que les instruments non traditionnels, la danse moderne et même les paroles aident les jeunes artistes du monde compas à se distinguer. Selon Joël Widmaeir, de nouveaux apports permettent également aux artistes d’atteindre le public international, faisant ainsi allusion aux musiciens haïtiens comme T-Vice, Wyclef Jean, et le groupe Sweet Micky de l’ancien président d’Haïti, qui y sont arrivés avec succès.

« On ne peut que se réjouir du fait que la musique haïtienne est en fait variée d’autant plus que le temps évolue, et le public avec lui, ce qui veut dire que la musique doit changer aussi », déclare Widmaeir, animateur d’une émission de radio.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.