CABARET, HAITI — Gary Pierre, 11 ans, élève en milieu rural de La Hatte, n’avait d’autre choix que de se rendre chez son ami pour solliciter l’aide aux travaux scolaires. Aujourd’hui, il n’a qu’à se rendre à une église de sa communauté rurale tous les samedis pour bénéficier de l’aide en lecture et en mathématiques auprès des étudiants universitaires.
«Mes parents ne sachant ni lire ni écrire, je n’ai d’autre choix que de me débrouiller seul dans mes leçons», explique-t-il. «Grâce à ce programme, j’arrive à combler mes lacunes d’apprentissage.»
Ce programme de tutorat qu’est l’Organisation des Jeunes pour le Développement de la Hatte, a été initié en 2014 par Jean Robert Louis, 31 ans, habitant de Hatte et père de deux enfants. Hatte est une petite communauté située juste au nord de la ville de Cabaret, à plus de 30 kilomètres de la capitale haïtienne, Port-au-Prince.
En tant que prestataire de soins de santé en contact avec beaucoup de membres de sa communauté, Louis était témoin du problème auquel des familles étaient confrontées à cause de l’analphabétisme. Il a décidé de créer un groupe pour venir en aide aux enfants nés des parents analphabètes.
«L’éducation est la base de toute société. Si nous voulons faire changer notre communauté, nous devons commencer par les enfants qui sont l’espoir et l’avenir de notre société de demain», déclare Louis.
Le ministère haïtien de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle fait de l’alphabétisation sa priorité numéro un et a, en 2015, souscrit à l’Objectifs de Développement Durable (ODD) de UNESCO qui vise à «assurer une éducation inclusive et équitable de qualité et promouvoir des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pour tous».
Selon les données publiées en 2003 par le gouvernement haïtien, 59 pour cent des personnes âgées de 15 ans et plus savent lire et écrire – 63 pour cent des hommes âgés de 15 ans et plus savent lire et écrire contre 54,9 pour cent des femmes du même groupe d’âge.
À en croire l’UNESCO, l’objectif est de veiller à ce que tous les jeunes et une proportion considérable d’adultes, hommes et femmes, sachent lire, écrire et compter d’ici 2030.
Le système éducatif haïtien connaît des difficultés depuis des années. Selon l’UNESCO, le séisme de magnitude 7 ayant frappé Haïti en 2010 a détruit ou gravement endommagé au moins la moitié des 15 000 écoles primaires et 1 500 écoles secondaires que comptait le pays.
Mais même avant le séisme, près de 500 000 enfants en âge de fréquenter l’école n’étaient pas scolarisés et 25% des zones rurales n’avaient pas d’écoles, selon un rapport de 2011 du Conseil économique et social des Nations unies, en partenariat avec l’Istituto Internazionale Maria Ausiliatrice, une organisation mondiale de défense des droits de l’enfant.
En outre, les deux tiers des écoles secondaires et des écoles professionnelles du pays sont concentrés dans les grandes villes, en particulier dans la capitale. Ainsi, un nombre important d’enfants haïtiens dans les zones rurales sont privés d’accès à l’enseignement, révèle le rapport.
Selon la Banque mondiale, 90 pour cent des enfants haïtiens âgés de 6 à 12 ans sont aujourd’hui scolarisés. Cependant, les zones rurales reculées d’Haïti sont toujours confrontées à l’insuffisance d’écoles publiques et au manque d’enseignants qualifiés.
C’est ainsi que des groupes comme l’Organisation des Jeunes pour le Développement de la Hatte ont vu le jour. Aujourd’hui, sept volontaires se déplacent de l’Université de Port-au-Prince, une université de la capitale, tous les samedis pour aider 40 enfants.
Ces volontaires apportent des biscuits et du jus aux élèves pour démarrer la journée «parce que nous savons bien qu’avec ventre affamé, on ne peut rien apprendre», lâche Louis.
Desulma Pierre, volontaire du groupe, affirme que l’analphabétisme est visible dans La Hatte. Quand il a commencé le tutorat, il a constaté que bien des élèves de troisième année étaient même incapables d’épeler leurs propres noms.
«Ce n’est vraiment pas chose facile», dit-il. «Il s’agissait d’une situation très compliquée. Mais nous pouvons aujourd’hui affirmer que la situation s’améliore avec la réalisation des séances de lecture qui sont organisées. Quand j’évalue, je constate une différence par rapport aux années précédentes».
Milodin Innocent, père de quatre enfants, a noté que le progrès de son fils qui étudie en quatrième année n’avait pas été satisfaisant avant le début des séances de samedi parce qu’il n’avait personne qui pouvait l’aider à faire ses devoirs.
Il est reconnaissant pour l’aide des étudiants universitaires. «Cela aide nos enfants à l’assimilation des cours dispensés par leurs enseignants, par l’intermédiaire de ces volontaires qui prennent notre relève en tant que parents incapables d’aider nos enfants au travaux scolaires», détaille-t-il.
Darline Joseph, étudiante universitaire âgée de 24 ans, travaille comme volontaire auprès de l’organisation depuis trois ans. Elle affirme travailler comme volontaire non seulement pour aider des enfants, mais également pour contribuer au développement d’Haïti.
«Nous avons constaté très clairement que l’analphabétisme demeure un handicap majeur au développement socioéconomique du pays», déclare Joseph.
Louis, aussi, considère que le programme donne un coup de pouce à un meilleur avenir du pays.
«La chance de bâtir le genre de pays développé que nous aspirons à devenir passe avant tout par l’enseignement qui est le plus puissant accélérateur de changement,» dit-il.
Louis ne cache pas sa tristesse de voir plusieurs générations d’Haïtiens, en particulier dans les zones rurales, sombrer dans l’analphabétisme.
«Cela suscite en moi une sorte de colère qui déclenche ma détermination à entreprendre d’autres démarches visant l’alphabétisation des adultes», précise-t-il.
Mais pour l’instant, les enfants doivent être au cœur de notre attention pour éviter que l’analphabétisme ne devienne un problème intergénérationnel à l’avenir, affirme Louis.
«Le changement d’une communauté commence par les enfants, car demain ils vont prendre la relève des parents», estime-t-il. «Grâce à ce programme, nous formons de futurs parents capables de lire et d’écrire».
NDLR: Gary Pierre et Desulma Pierre n’ont aucun lien de parenté.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.