MIRIKI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Des goyaviers, des plants de manioc, des haricots et des bananiers longent cette route, petite mais bien entretenue, menant vers Miriki, un village principal dans cette zone rurale. Pour se rendre dans ce village, il faut passer par Kaghumo, une petite communauté.
Ce que l’on voit à Kaghumo en dit long sur le pétrin qui ronge la région: environ 150 des quelque 200 maisons sont vidées de leurs occupants. Se rendre à Miriki, village où se trouvent des marchés autrefois fréquentés par les habitants n’étant plus gratuit, certains ont déserté la communauté.
Depuis des années, Miriki se plie au contrôle d’un groupe armé qui prélève une taxe d’entrée. Quiconque ne porte pas sur lui un jeton – une preuve de paiement de 1 000 francs congolais versés chaque mois – se voit refuser l’entrée dans le village. (Global Press Journal lui aussi a versé cette taxe pour pénétrer dans ce village pour y mener des interviews.)
Et devinez quoi? Il n’y a pas que cette taxe. Aussi les agriculteurs sont-ils obligés de céder une partie de leurs récoltes ou de payer 300 francs congolais à ce groupe armé connu sous le nom de Maï Maï Mazembe en partant à la conquête de leurs champs.
Dans une région où le fric se fait rare et les revenus sont insuffisants, voire inexistants, les taxes sont un térébrant rappel de l’instabilité qui gangrène les zones rurales en RDC.
Or, quoique moult familles n’aient déserté le village que pour échapper au contrôle du groupe armé, certains habitants restés affirment que la taxe est pour eux un moyen nécessaire pour jouir d’une paix constante, mais parfois fragile.
« Si nous nous plions à ces ordres, c’est juste parce ce que nous voulons préserver nos familles de la faim », explique Rachel Kanyere, 38 ans, mère de six enfants.
Lorsque Kanyere est arrivé à Miriki en 2013, les FDLR-FOCA, l’un des groupes armés hutus les plus redoutés des Forces démocratiques de libération du Rwanda, étaient actifs dans cette région et le village était sous leur contrôle. Ce groupe a vu le jour en RDC après le génocide de 1994 au Rwanda qui a emporté des centaines de milliers de vies humaines.
Certains chefs de ce groupe sont accusés d’avoir fomenté le génocide.
Avec l’arrivée des FDLR-FOCA, révèle Kanyere, de violents combats ont éclaté, suivis par une escalade incontrôlée de la violence au grand dam des populations locales qui, selon elles, plus de 120 villageois ont été tués et 20 femmes et filles violées. (Publié en 2017, un rapport d’Amnesty International a fait état de 14 personnes tuées par les FDLR-FOCA en une seule journée au cours de cette même période.)
« Nous avons été forcés de quitter nos maisons les mains vides, laissant derrière nous nos champs et nos biens », déplore Kanyere.
Entre 2015 et 2016, une nouvelle alliance s’est forgée entre les groupes armés des tribus Nande, Hunde et Kobo. Les Maï-Maï Mazembe, un groupe jusqu’alors inconnu, a vu le jour en tant que mouvement plus large déterminé à bouter hors de la région les FDLR et à mettre les populations locales à l’abri de la violence endurée par les populations quand la région était sous la coupe des FDLR. Le rêve de ce mouvement ne fut un coup de maître que vers la fin de 2016 avec la prise de Miriki par les Maï-Maï Mazembe.
« Maï-Maï » est un terme général faisant référence aux groupes armés locaux en RDC.
Selon Ferdinand Katembo, président de la société civile à Miriki, les Maï-Maï Mazembe contribuent à la sécurité des populations locales en contrepartie d’une série de taxes.
Malgré la perception des taxes par ce groupe qui, parfois, use de la violence pour en exiger le paiement, Kanyere préfère voir son village tenu par des Maï-Maï Mazembe plutôt que par un autre groupe.
« Retourner chez nous n’était pour nous qu’une seule idée en tête », lâche-t-elle.
Se plier aux ordres est tout ce qu’il fallait pour rester en sécurité.
« Nous supportons ces taxes de peur d’être tués », explique Paluku Shabani, propriétaire d’une boucherie.
Pour celui qui ne paie pas, confie-t-il, quitter la cité est le seul moyen de se mettre à l’abri de l’ire des combattants Maï-Maï. Et en quittant la cité, ajoute-t-il, on devient la proie des affres de la faim, car on se retrouve loin des champs, source de notre pitance.
Le non-respect des ordres peut avoir de graves conséquences.
Aux dires de Charles Kivuya, chauffeur de taxi, lui et son passager ont failli se faire écharper à un barrage routier presqu’à la fin de leur voyage vers Miriki. Des combattants Maï-Maï Mazembe ayant arrêté la voiture, Kivuya et son passager se sont acquittés de la taxe. Ces combattants ont alors demandé au passager de produire sa carte d’électeur. Seulement, le passager n’avait pas la carte sur lui.
« En furie contre nous, un géant garçon avec une longue lance nous a sommés de faire demi-tour et de nous éclipser avant qu’il n’ouvre les yeux », raconte Kivuya. « La peur au ventre, nous avons fait demi-tour et nous sommes éclipsés à vive allure ».
Selon Katembo, président de la société civile, les habitants n’ont d’autre choix que de se plier au joug des Maï-Maï Mazembe.
« On se croirait dans une jungle, et cela continuera tant que notre pays ne sera pas organisé », déclare-t-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.