Democratic Republic of Congo

Quand un atelier de fabrication d’instruments de musique se mue en agent de changement dans une zone reculée en RD Congo

Le cycle de violences qui a fauché des milliers de vie dans le Sud-Lubero peut être brisé par des instruments pas chers et des opportunités de formation. Telle est la conviction de Moïse Muhindo Kisuba, propriétaire d’un atelier.

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In Violent Region, Music Shop Is an Instrument of Change

MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Moïse Muhindo Kisuba fabrique une guitare dans son atelier de Kirumba, dans le Sud-Lubero. Derrière lui, Egide Kasereka Kighoma, son apprenti, est occupé à fabriquer un tambour.

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LUBERO, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Assis à même le sol dans son atelier, Moïse Muhindo Kisuba est occupé à ciseler le manche d’une guitare et un apprenti l’observe à l’œuvre. Aux murs sont accrochés des tambours et des guitares modernes qui y sont exposés.

Kisuba connaît ses instruments. Sans hésitation aucune, il répond aux questions de ses clients. Pour offrir une démonstration de guitare, il peut jouer son morceau de gospel de prédilection et chanter en kinande, sa langue maternelle, en rendant grâce à Dieu pour le don de l’intelligence. Souvent, il hoche sa tête au rythme de la musique.

De petite dimension, l’atelier de Kisuba se trouve dans le sud du territoire de Lubero, l’une des régions les plus reculées de l’est de la RD Congo. Des machines d’un grand atelier y étant inexistantes, chaque instrument s’y fabrique à la main. Depuis sa création en 2018, seuls quelques centaines de clients y ont été desservis. Mais on assiste à son pouvoir transformateur dans cette région.

L’atelier de Kisuba permet, par chacun de ses instruments, non seulement aux jeunes – sous-employés et exposés à des manipulations politiques – d’acquérir des compétences pratiques, mais aussi aux musiciens locaux d’avoir accès à des instruments modernes, pour que leur musique puisse offrir un répit face à la crise. Dans cette partie de la RD Congo, une recrudescence des affrontements entre différentes communautés, les forces armées et les Forces démocratiques alliées a causé plusieurs morts et déplacés.

Moïse Muhindo Kisuba joue en chanson dans son atelier dans le Sud-Lubero.

Ce n’est qu’en 2012 que Kisuba, 49 ans, commença son métier. Et il n’était capable que d’une chose : fabriquer des instruments traditionnels comme les tam-tams, les guitares et les flûtes. Après son voyage d’évangélisation qu’il a effectué en 2018 avec sa chorale gospel dans la ville de Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, cela a changé. Un atelier de fabrication d’instruments modernes, chose qu’il n’avait jamais vue auparavant, a piqué son intérêt.

« Les trois jours que j’ai passés dans cette agence [atelier] ont suffi pour ma formation », assure-t-il.

Avant que l’atelier de Kisuba ne voie le jour, les musiciens dans le Sud-Lubero n’avaient d’autre choix que de se rendre à l’extérieur de la région pour acheter des instruments modernes ou d’importer ces derniers des pays voisins, au nombre desquels la Tanzanie. La plupart de ces instruments étaient coûteux et inaccessibles, explique Kisuba.

Pour continuer à vendre ses instruments à un prix abordable, il s’approvisionne en matériel à Butembo, une ville commerciale dans la province du Nord-Kivu. Dans son atelier, un jeu complet de tambours se vend à environ 480 000 francs congolais. Et pour un jeu importé, on débourse presque le double, ce qui est une somme que la plupart des musiciens locaux ne peuvent pas se permettre de payer, confie Kisuba.

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MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Moïse Muhindo Kisuba a fabriqué des tambours traditionnels avant de se lancer dans la fabrication d’instruments modernes.

Moïse Muhindo Kisuba montre des types de tambours.

« Ils achètent par commande, par cash ou par dette », révèle-t-il. « Je parviens à fabriquer deux tambours et huit à dix guitares par mois ».

Un meilleur accès aux instruments a suscité un enthousiasme pour la musique dans le Sud-Lubero. Selon Ringo Ramazani Muhinho, membre de Jeux du Ciel, orchestre basé à Kirumba, ils ne pouvaient pas s’offrir de guitares. Il a contacté Kisuba, qui a accepté son plan de paiement. Aujourd’hui, Muhinho fait de la rumba. Ce genre, courant en RDC, favorise « la cohésion sociale et la solidarité », selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

Et les instruments de Kisuba ont facilité l’activisme de Muhindo Ngoyamwaka Samuel. Également originaire du village de Kirumba, ce musicien reggae, connu sous le nom de Ngoyam’S, se sert de la musique pour promouvoir la paix. « J’appelle les gens à ne pas collaborer avec l’ennemi », dit-il, « ou encore j’invite, dans mes chansons, les groupes armés à déposer les armes ».

En faisant de la musique, ce qui est désormais plus facile grâce à l’atelier de Kisuba, Ngoyamwaka espère contribuer à améliorer une situation sécuritaire qui a, depuis 2017, fait 7 262 morts dans cette seule région, selon le Baromètre Kivu Security Tracker, qui a été mis en place pour surveille la violence dans l’est de la RD Congo.

« En tant que musicien, je trouve que j’ai une grande responsabilité », déclare Ngoyamwaka.

Aussi Kisuba enseigne-t-il son métier et il forme aujourd’hui son cinquième apprenti. Doter les jeunes de compétences pratiques est un moyen efficace de les aider à surmonter les défis auxquels ils sont confrontés, assure-t-il. « La musique participe aussi à l’encadrement de la jeunesse ».

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MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Moïse Muhindo Kisuba observe Egide Kasereka Kighoma, son apprenti, à l’œuvre en train de fabriquer un tambour dans son atelier à Kirumba.

Les opportunités d’emploi sont devenues une denrée rare, et à son corollaire pour les jeunes : la vulnérabilité à des manipulations par des groupes armés qui les obligent à commettre des actes de violence pour parer au risque d’être privés de leurs droits, lit-on dans un rapport de YouthPower Learning, une plateforme de recherche et d’apprentissage. Des programmes de formation, à l’instar de celui de Kisuba, ont le potentiel de changer les choses.

« Avant d’être venu dans cet atelier, j’étais fabricant d’instruments musicaux traditionnels », explique Egide Kasereka Kighoma, l’un des élèves de Kisuba. « Après ma formation, je vais devoir ouvrir mon propre atelier ».

Les apprentis paient 40 000 francs pour inscription et 100 000 francs pour ce programme de formation de quatre mois.

La valeur culturelle de cet atelier n’est pas passée inaperçue, selon Lambert Kasereka Mungumwa, chef du service de la culture et des arts à Kirumba. Grâce à son département, l’atelier de Kisuba a bénéficié d’une réduction de taxes de 40 %, ce qui est un avantage qui n’est pas offert aux autres petites entreprises.

Kisuba chérit le désir d’ouvrir un jour une véritable salle d’exposition, mais la plupart de ses clients paient en tranches. Ce père de sept enfants gagne tout juste de quoi subvenir aux besoins de sa famille et acheter le matériel. Selon lui, la réduction de taxes est faite, mais il espère que le gouvernement fera encore plus en reconnaissance de l’apport de son atelier à la communauté.

Il est chrétien, et le gospel – devenu populaire dans cette région –, reste sa musique de prédilection. Grâce à la musique, fait-il savoir, une communauté peut changer.

Merveille Kavira Lungehe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.

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