GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Nyama ya pori, voilà de quoi ravir les papilles!
Devenue, aux yeux des habitants, une denrée rare et chère sur des marchés dans la province du Nord-Kivu en RDC, Nyama ya pori ou la viande de brousse, est d’ordinaire disponible sur commande spéciale.
Joséphine Katindi, 43 ans, affirme préparer cette viande rare pour faire une surprise à son mari et à ses six enfants.
« Il n’y a pas une seule bouchée de viande de brousse qui ne se démarque par son goût naturel inégalable », confirme-t-elle.
La viande de brousse qui se vend sur des marchés à Goma provient essentiellement du singe et du porc-épic, déclare Michel Shako, commerçant de viande de brousse depuis 20 ans.
Des commerçants de Goma se procurent de la viande de brousse dans les zones rurales, puis la revendent dans la ville à un prix très élevé, confie-t-il. Selon l’espèce d’animal, le kilo de viande se négocie autour de 15 à 20 dollars.
« Ce business est pour moi un moyen sûr de faire beaucoup d’argent. Les gens passent leurs commandes, et je leur livre de la viande de singe et de porc-épic », déclare Shako, en attente d’un atterrissage d’un vol à l’aéroport de Goma en provenance de Kisangani. L’avion, poursuit-il, transporte moult colis de viande de brousse.
Mais la demande locale de viande de brousse côtoie la demande d’autres types de trafic d’espèces sauvages.
« Les trafiquants d’espèces sauvages passent à la chasse des animaux de la forêt pour de multiples raisons », déclare Prince Heritier Kabasele, consultant en conservation. « Il y en a qui les abattent uniquement pour la bouffe ou la vente de leur viande partout dans le pays ».
Cela relève d’une catégorie qu’il appelle le trafic national.
« Mais cela revêt également un aspect du trafic international », précise-t-il. « Cela résulte du fait que les trafiquants conspirent avec des rebelles dans la forêt et vendent des espèces rares et leurs parties du corps sur le marché international ».
Souvent, il s’agit de ces mêmes trafiquants d’espèces sauvages qui martyrisent des porcs-épics pour les vendre comme viande de brousse en RDC et chassent des espèces de grande taille et rares tels les gorilles et les léopards, révèle-t-il.
Le prix d’un bébé gorille au marché noir peut aller jusqu’à 5 000 dollars. Et d’autres sources indiquent toutefois qu’il peut s’élever à 40 000 dollars, dit Kabasele. La peau d’un léopard peut, quant à elle, se vendre à 1000 dollars. À travers le pays, d’autres espèces sauvages sont chassés par ceux qui veulent tirer profit du commerce de leur peau. Il s’agit entre autres des okapis, espèce rare propre à la faune de la RDC et cousine de la girafe.
« Il s’agit d’un business en vogue pour les différents groupes de rebelles qui font la loi dans des forêts de la RDC », explique Kabasele.
Le 14 juillet, un groupe de journalistes et de gardes de parc sont tombés dans une embuscade dans la Réserve de faune à okapis dans la forêt de l’Ituri, à l’est de la RDC. Le bilan a fait état de quatre gardes et d’un porteur congolais tués. Selon une note de presse du Projet de conservation d’okapis, un doigt accusateur est pointé vers les rebelles connus pour être actifs dans les activités de braconnage et d’exploitation minière illégales dans la région.
Il n’existe pas de données sur le nombre d’espèces de petite taille tuées et vendues pour la viande de brousse en RDC, explique Alphonse Mugheri, chef de bureau à la division provinciale de l’environnement du Nord-Kivu.
« Notre division ne dispose pas d’informations suffisantes sur la situation de la chasse. Nous ne ménageons aucun effort pour bien maitriser le secteur, mais sans succès », renchérit-il. « L’insécurité bat son plein dans nos forêts. Les groupes armés continuent d’y opérer en toute quiétude, compromettant ainsi l’avenir de l’environnement et du tourisme ».
À en croire Juristrale, une organisation non-gouvernementale basée en RDC, la RDC regorge de réserves naturelles servant de demeure pour plus de 70 espèces sauvages intégralement protégées tels les éléphants, les gorilles, les guépards, les okapis et les crocodiles, et pour 230 autres espèces partiellement protégées. Plusieurs des réserves naturelles de la RDC, y compris la Réserve de faune à okapis, sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Selon l’article 78 de la loi congolaise sur la conservation de la nature, est punie d’une servitude pénale de un an à 10 ans et d’une amende de 5 millions à 20 millions de francs congolais ou de l’une de ces peines seulement, toute personne qui tue, blesse, capture ou détient un spécimen d’une espèce de faune sauvage.
Des braconniers et des commerçants malhonnêtes, affirme Greenpeace, exploitent l’insuffisance du contrôle assuré par le gouvernement de la RDC pour faire le trafic des espèces menacées d’extinction sur le marché international.
Selon l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), les populations d’espèces animales sont en déclin au moment où les espèces menacées d’extinction sont de plus en plus menacées à cause du braconnage et de la forte demande de viande sauvage sur des marchés locaux en RDC. Par exemple, le Parc national de la Garamba situé au nord-est de la RDC a perdu environ 65 pourcent de ses espèces animales protégées au cours des trois dernières décennies.
Sur des marchés de Goma, les habitants affirment être friands de la viande de brousse, mais ils sont toutefois de plus en plus conscients du lien entre la façon dont le gibier est abattu et sa viande est vendue sur les marchés nationaux et la façon dont les espèces menacées d’extinction sont chassées et vendues sur le marché international.
Christophe Mutima, responsable de la communication auprès de la conservation communautaire des primates de Champunu, affirme que le trafic international d’espèces animales et la fringale de la viande de brousse manifestée par les habitants menacent davantage la faune.
« Si rien n’est fait, nos espèces rares, celles que vous ne pouvez trouver qu’en RDC, vont disparaître », lâche-t-il.
Joël Miroza Minde, analyste environnemental basé à Goma, partage cette inquiétude.
La perte d’espèces de la faune sauvage dans la région est d’ores et déjà visible, martèle-t-il.
« Auparavant, notre région grouillait d’espèces animales et attirait de nombreux touristes pour qui ces espèces étaient un régal pour les yeux et les papilles », dit-il. « Par exemple, Rwindi était le meilleur endroit où les gens rêvaient d’aller observer la faune et prendre de splendides photos d’animaux. Aujourd’hui, l’endroit retient encore son caractère charmant, mais c’est difficile d’y trouver des animaux ».
Amener les gens à comprendre les dangers de la consommation de la viande de brousse pour l’environnement et la santé n’est pas tâche facile, dit Minde.
« Certaines espèces animales ayant un bagage génétique identique à celui des humains, la viande de brousse peut être à l’origine des maladies infectieuses à transmission zoonotique », avertit Minde.
Pourtant, pour certains habitants, la viande de brousse est une tradition ancestrale dont les gens font souvent cas.
Théophile Nyandwi a grandi près de la Forêt nationale de Virunga et garde d’excellents souvenirs du délice tiré de la viande de brousse. Il vit à Goma depuis 1993, mais affirme manger de la viande de brousse le plus souvent qu’il le peut. Il s’inscrit en faux contre les mises en garde sanitaires et de conservation liées à son met préféré.
« La consommation de la viande de brousse ne pose pas de risques importants pour la santé », assure-t-il. « Nos ancêtres étaient friands de la viande de brousse et ils en avaient fait leur pitance, ce qui leur permettait de vivre longtemps. Aujourd’hui, l’espérance de vie a régressé car la viande de brousse ne figure plus au menu ».
Shako, commerçant de la viande de brousse adhère à ce point de vue, ajoutant que la viande de brousse a des propriétés médicinales.
« Il y a des gens qui passent la commande des viscères de porc-épic pour consommation en tant que remède contre le diabète », dit-il.
Mais loin de lui l’envie de se leurrer, Minde sait combien la route est encore longue pour arriver à changer les mentalités, avoue-t-il, et c’est pour cela que la fin des campagnes de sensibilisation sur le lien entre la chasse à la viande de brousse et le braconnage n’est pas pour demain.
« Il serait opportun de sensibiliser les populations à l’importance de la protection de la faune. Ainsi, il incombe au gouvernement de faire plus pour protéger les citoyens congolais et les espèces animales », recommande-t-il.
Mugheri, agent de la division provinciale de l’environnement, affirme que l’instabilité politique continuera à être l’un des éléments du problème.
« La restauration de l’autorité de l’État sur toute l’étendue de la RDC devrait contribuer à éradiquer sensiblement la consommation de la viande de brousse et à favoriser la protection des espèces animales menacées d’extinction », dit-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.