KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Il y a 10 ans, Laurent Bolamba enterrait son père au cimetière public de Segama, et il n’y a pas une année qui file sans que sa famille fasse le pèlerinage sur la tombe de son feu père.
Cette année pourtant, ils sont arrivés sur les lieux et seule une maison neuve était visible, la pierre tombale n’étant plus sur les lieux.
« J’étais à la fois sidéré et chagriné », confie Bolamba. « Arrivés sur la tombe de mon père, nous n’en croyions pas nos yeux de la trouver profanée de la sorte ».
Selon Bolamba, il n’a pas été au courant d’une quelconque construction, ni des modifications au cimetière qui existe depuis plus de 50 ans.
Et pour cause, il s’agissait des constructions érigées au mépris de la loi.
« Ils ont érigé des maisons sur des tombes, ce qui n’arrivait jamais auparavant », raconte-t-il.
La profanation des tombes au cimetière public de Kisangani où reposent les âmes des habitants les plus démunis de la ville est devenue chose courante. La corruption est à l’origine des constructions instantanées, ce qui fait qu’il n’est pas rare de constater des constructions du genre qui poussent sur le sol des tombes, et cela n’est pas sans surprendre ceux qui ont coutume de se recueillir sur le cimetière. À Paradis Jardin des Morts, cimetière privé, les terrains sont soumis à une gestion rigoureuse, mais l’inhumation y est dispendieuse. Les démunis de la ville s’insurgent contre la violation de leurs droits et la profanation des corps de leurs proches morts.
Kisangani est coincée entre la forêt de l’Ituri et le fleuve Congo, ce qui fait que les terres y sont un bien rare. Les habitants pointent du doigt les gestionnaires du cimetière public en affirmant que ces derniers se laissent corrompre pour permettre des constructions instantanées ayant donné naissance à Mboka ya Sika (nouvelle cité en lingala, langue courante dans la région, ndlr).
Dans le seul cimetière privé que compte la ville, les coûts d’inhumation vont de 1 500 à 3 000 dollars. Selon la Banque mondiale, un Congolais moyen vit avec 400 dollars par an.
Les coûts pour le cimetière public que l’on trouve dans la ville varient quant à eux entre 20 et 32 dollars.
La profanation des tombes est punissable au regard de la loi, explique Alexis Pena Wonya, avocat de la région.
« Quiconque délivre une autorisation pour bâtir une maison sur des tombes et celui qui en fait usage peuvent se voir confrontés à la rigueur de la loi », lance-t-il en référence à la poursuite devant le tribunal de paix. « Il importe de dénoncer de tels actes répréhensibles ».
Une fois reconnu coupable, le contrevenant peut écoper d’une peine d’un an de prison.
Aux dires de Wonya, un bourgmestre d’une commune voisine s’est fait arrêter et emprisonner en 2016 pour cause de vente illégale de portions de terrains dans des cimetières. Selon lui, on aurait pu espérer faire échec à la pratique avec la condamnation d’un habitant bien en vue dans la région, mais malheureusement ça n’a pas été le cas.
À la question de savoir pourquoi les gens continuent d’ériger des constructions illégales sous couvert de l’obscurité, Hylor Lolima, chef de quartier à Kisangani, affirme avoir les mains liées.
« Je ne peux fourrer mon nez dans le dossier des constructions illégales au cimetière, car il implique des gens hautement placés », lâche-t-il. « Quand j’appelle la police, rien n’est fait ».
Baelo Ngombe, habitant du quartier de Mangobo près du cimetière public, affirme être témoin des constructions qui se font sans cesse la nuit. À l’en croire, il n’y a rien d’aussi inhumain que de déterrer des tombes pour la construction rapide.
« Des os et des crânes humains sont exhumés des tombes au cimetière d’une manière exécrable lors des travaux d’excavation de fondation », dit-il. « À vrai dire, ça a l’air horrible ».
Pourtant aujourd’hui, les habitants ayant érigé des habitations sur le cimetière affirment être munis d’autorisations de bâtir.
Marie Masudi exhibe son autorisation de bâtir pour preuve.
« Si j’habite ici, c’est parce qu’on m’a délivré une autorisation de bâtir, et j’ai même le document sur moi », précise-t-elle furieuse. « Croyez-vous que j’ai volé ce document »?
Pour Victor Angalia, bourgmestre de la commune de Mangobo espère mettre un terme à la profanation des tombes au cimetière public en demandant au bureau d’urbanisme d’édifier une clôture pour délimiter le terrain du cimetière.
« Tout doit d’abord être mis en ordre par le bureau d’urbanisme », dit-il. « L’espace même du cimetière n’est pas bien délimité ».
Ceux qui ne peuvent se permettre d’enterrer leurs morts à Paradis avouent que l’espoir qu’ils portent pour la fin de la corruption qui favorise ce genre de constructions sur le cimetière public reste très mince.
Lorsque Bob Kahindo est allé se recueillir sur la dernière demeure de son père, il s’est retrouvé devant une maison au lieu de la tombe.
« J’ai été affligé de constater que ce n’est qu’après dix ans que la tombe de mon feu père a été rasée », avoue-t-il précisant que la solution au problème n’est pas pour demain.
« Face à cette situation, je dois épargner chaque petit sou que je gagne pour que si ma mère meure un jour, je puisse l’enterrer dans un cimetière privé », confie-t-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.