Democratic Republic of Congo

Les infirmiers à un tournant décisif dans leur lutte pour des salaires réguliers

Verser le salaire des infirmiers à temps est un devoir auquel le gouvernement a failli pendant des années. Pour les infirmiers de la province de la Tshopo, ils en ont ras-le-bol des promesses creuses et affirment une chose : leur grève ne peut s’arrêter à moins qu’on leur verse leur fric.

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A Tipping Point for Nurses in Battle for Regular Pay

Françoise Mbuyi Mutombo, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Jackie Lumu cuisine à la maison. Elle et d’autres infirmiers dans la province de la Tshopo sont en grève depuis juin.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Voilà plus de deux décennies que Jackie Lumu est infirmière dans un hôpital public, mais elle a fini par en avoir marre. « Vraiment pendant ces 21 ans dans ce métier hospitalier, j’ai enduré parce que je n’ai jamais été payée régulièrement comme il se doit », s’insurge-t-elle.

Aux dires de cette femme âgée de 52 ans et mère de quatre enfants et à en croire les infirmiers à travers la RD Congo, le versement des salaires à temps reste un devoir que le gouvernement central n’honore pas depuis des années. Cette situation a depuis peu fait monter la colère et la frustration parmi les infirmiers de la province de la Tshopo, dans le nord-est de la RD Congo. En juin, plus de 1 700 infirmiers enregistrés au sein des hôpitaux publics dans cette province se sont mis en grève pour protester contre le non-paiement de 11 mois d’arriérés de salaires ou de primes.

Pour joindre les deux bouts, Lumu a commencé à traiter des patients à domicile.

« Comment vais-je sur[vivre] sans argent ? » s’inquiète-t-elle. « Ce traitement à domicile n’est pas du tout différent de l’hôpital. Je le fais de la même manière. Si le gouvernement nous paie bien, nous allons arrêter cette pratique ».

Les hôpitaux de Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo, restent ouverts, mais la grève en cours des infirmiers a fortement limité la quantité de soins qu’ils peuvent offrir – une situation qui perturbe non seulement les soins de routine mais aussi les efforts de lutte contre le Covid-19. Maurice Abibu, gouverneur de la province, dit espérer qu’il sera possible de trouver une solution sous peu car, précise-t-il, le manque de soins médicaux constitue un danger pour la population.

Selon Margueritte Esimba, sa fille est hospitalisée mais n’a pas encore reçu les soins dont elle a besoin. « Je suis victime de cette grève », s’alarme Esimba. « Elle et sa fille sont abandonnées sans même donner un simple traitement pour sa fille ».

S’exprimant au nom du gouvernement national, Luc Alungu, ministre provincial de la Santé de la Tshopo, affirme que les autorités sont en train de faire tout leur possible pour remédier à la situation, mais qu’une solution définitive dépendra du budget fixé par le gouvernement national.

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Le non-paiement régulier est un problème national qui dure depuis plusieurs années. En effet, le personnel de santé dans différentes parties du pays se met fréquemment en grève pour protester contre le versement irrégulier de leur salaire et d’autres problèmes d’emploi. En juillet 2020, les médecins et les infirmiers engagés dans le combat contre le coronavirus à Kinshasa, capitale du pays, se sont mis en grève pour non-paiement de leur salaire de trois mois. Et en août dernier, le syndicat national des médecins a suspendu sa grève de trois semaines après l’acceptation par le gouvernement de verser des primes de 200 000 à 640 000 francs congolais et de procéder à la promotion de certains médecins. Cette grève avait pratiquement paralysé les hôpitaux, les médecins s’étant engagés à ne traiter que les cas les plus urgents.

« Le problème de la grève des infirmiers en RDC et plus particulièrement dans la ville de Kisangani n’est pas un nouveau sujet », révèle Pascale Kimbilongo, un autre infirmier en grève dans la ville. « Cela se passe presque chaque année ».

Selon Alungu, cela s’explique en partie par le fait que davantage d’infirmiers sont diplômés des écoles médicales du pays chaque année et grossissent les rangs des infirmiers déjà engagés, alourdissant ainsi encore les obligations financières du pays. Cela signifie que le nombre d’infirmiers non payés ne cesse de s’accroître chaque année.

« Malheureusement, chaque année, il y a de nouveaux infirmiers qui viennent s’ajouter aux autres qui ne sont pas encore payés », s’alarme Alungu.

Cet avis est partagé par Kimbilongo. « Comment est-il possible d’ajouter de nouveaux employés au moment où les anciens ne sont pas bien rémunérés ? » dit-il. « Cela se passe seulement dans notre pays ».

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Jean Alworonga, doyen de la faculté de médecine de l’Université de Kisangani, affirme que malgré les conflits salariaux en cours, le métier d’infirmier reste populaire, car les diplômés peuvent trouver aisément du travail. D’après lui, le gouvernement devrait aider les étudiants à comprendre d’autres opportunités professionnelles qui s’offrent à eux s’il veut réduire le nombre d’infirmiers qui entrent dans ce domaine.

Gerome Bonui Boliaka, chef des infirmiers de la province de la Tshopo, affirme que le gouvernement a choisi une approche fragmentaire pour résoudre le problème de salaires. À chaque fois que les infirmiers se mettent en grève, fait-il savoir, le gouvernement promet de les payer, ce qui les incite à reprendre le travail. Une fois ces grèves terminées, le gouvernement ne tient pourtant passes promesses, dit-il. Cette fois, les infirmiers de Kisangani persistent et signent pour la poursuite de leur grève jusqu’au versement concret de leur fric.

Pour s’attaquer véritablement au problème, affirme Bonui, il appartient au gouvernement de se donner pour objectif de payer les infirmiers qui, déjà engagés, travaillent depuis des années et de coordonner avec les écoles médicales pour réglementer le nombre d’infirmiers qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Selon Alungu, ministre provincial de la santé, le gouvernement s’attèle aujourd’hui à mettre fin à la grève. Le gouvernement ne pourra examiner la situation dans les écoles médicales qu’après la fin de la grève, poursuit-il.

De l’avis des infirmiers, cependant, la situation actuelle est critique.

« Le gouvernement doit payer les infirmiers pour que cette grève prenne fin » dit-Bonui. « tant que les infirmiers ne sont pas payé cette grève ne va pas finir ».

Françoise Mbuyi Mutombo est journaliste à Global Press Journal en poste à Kisangani, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.

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