GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Alphonsine Mwasi pensait que COVID-19 était une « fausse nouvelle ». Sa famille a violé les ordres de couvre-feu du gouvernement, en gardant leur bar-restaurant, le Yasolo, rempli et ouvert tard dans le quartier Katindo de Goma, tel qu’ils le faisaient depuis 15 ans.
Mais un vendredi soir du mois de juillet, son mari a soudainement eu des difficultés à respirer. À l’hôpital, il a été testé positif au COVID-19 et a été mis sous assistance respiratoire. Deux semaines plus tard, le quinquagénaire avait disparu, laissant sa veuve, sept enfants et une facture de 1 500 dollars devant couvrir ses frais d’hospitalisation et d’enterrement.
« Il est parti, me laissant seule. Si j’avais su on aurait été vacciné, peut être que ça lui aurait sauver la vie », a-t-elle déclaré en pleurant.
Dans la course à la vaccination contre la pandémie, l’Afrique est à la traîne, la RDC occupant la queue de peloton. Moins de 0,05% des 92,4 millions d’habitants du pays étaient complètement vaccinés au 24 octobre, contre 5,5% de la population africaine et 37% sur le plan mondial. Alors que les Congolais se bousculent pour se faire vacciner, leur frustration est aggravée par l’amère constatation qu’ils ont laissé filer leur chance de se faire vacciner il y a plusieurs mois.
Lorsque la RDC a enregistré son premier cas de COVID-19 en mars 2020, la désinformation et les rumeurs se sont propagées, plus vite que le virus lui-même. À Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, dans l’est du pays, des foules non masquées ont continué à se socialiser, persuadées que le coronavirus ne menaçait que l’Asie et l’Europe — et semblait bien moins mortel que l’épidémie d’Ebola à laquelle elles avaient survécu en 2018.
Les craintes des Congolais à l’égard du virus et leur confiance en les vaccins étaient faibles lorsque plus de 1,7 million de doses AstraZeneca sont arrivées en mars 2021 par le biais de l’initiative COVAX, un partenariat entre la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies, l’Alliance mondiale pour les vaccins et les immunisations(Gavi), l’UNICEF et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les autorités sanitaires du pays ont reporté le lancement d’une campagne de vaccination dans l’attente d’études complémentaires sur les effets secondaires signalés dans d’autres pays.
Lorsque les doses ont été administrées le 19 avril, la méfiance du public s’était encore accrue, alimentée par des rumeurs d’effets secondaires de stérilité et de complications potentiellement mortelles. Craignant que les vaccins ne soient gaspillés avant leur date de péremption en juin, le gouvernement a renvoyé 1,3 million de doses, qui ont ensuite été réaffectées à l’Angola, au Ghana, à la République centrafricaine, à Madagascar et au Togo.
Puis vint la variante Delta, qui a ravagé la RDC cet été, avec Goma comme épicentre de l’épidémie. La moyenne des nouveaux cas par semaine est passée de 92 le 1er juin à 369 le 20 juin, selon les données gouvernementales publiées par le Réseau de systèmes d’alerte précoce contre la famine de l’Agence américaine pour le développement international.
Alors que les hospitalisations et les décès se multipliaient autour d’eux, de nombreux sceptiques ont soudainement changé d’avis — mais ils n’ont pas eu de chance.
«Je suis maintenant conscient de la dangerosité de la COVID-19 après que deux de mes amis sont récemment décédés de la maladie », a déclaré Julien Fataki, un chauffeur de taxi qui pensait auparavant que les effets secondaires supposés du vaccin constituaient une menace plus importante.
Après des mois d’anxiété, à chaque fois qu’il prenait un nouveau passager, sachant que ses deux jeunes sœurs dépendaient de ses revenus, il a obtenu sa première dose en septembre.
La RDC n’est pas la seule à avoir des problèmes de confiance. D’autres pays africains, dont le Malawi, le Soudan du Sud et l’Afrique du Sud, ont également rejeté des centaines de milliers de doses de vaccin au début de l’année en raison de préoccupations concernant les dates de péremption et l’efficacité contre les variantes locales.
Mais dans une enquête menée dans 15 pays par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies entre août et décembre 2020, les sondés congolais avaient exprimé le plus faible niveau de confiance en le vaccin. Les adhésions varient également selon les régions ; seuls 53% des adultes de la province du Nord-Kivu ont déclaré qu’ils se feraient vacciner, contre 85% de leurs pairs du Kasaï occidental, une autre province.
« Avec la demande des habitants de la RDC qui a finalement augmenté à la fin du mois de juin 2021, le pays a épuisé son stock réduit et a dû interrompre les vaccinations le 11 juillet », a déclaré le Dr Stéphane Hans Bateyi, coordonnateur du Programme élargi de Vaccination de l’OMS dans la province du Nord-Kivu.
Lors d’une conférence de presse tenue le 15 juillet à Goma, Jean-Jacques Muyembe, Directeur Général de l’Institut National de Recherche Biomédicale, a exhorté les habitants du Nord-Kivu à prendre davantage de précautions pour éviter de tomber malade, pendant que le pays se démène pour obtenir davantage de dons : « Nous allons renforcer le dépistage et la gestion et nous demandons vraiment à la population de respecter les gestes barrières. Et si les vaccins sont disponibles, [il ne faut] pas hésiter. Allez rapidement vous faire vacciner. C’est ce qui sauve, c’est ce qui protège ».
Tentative révolutionnaire de réconciliation dans une région en proie aux conflits
CLIQUEZ POUR LIRELa campagne de vaccination a repris à la mi-août avec un don de plus de 51 000 doses d’AstraZeneca en provenance du Royaume-Uni, suivi en septembre par 250 000 doses de Moderna et 250 380 doses de Pfizer en provenance des États-Unis. « Grâce aux 4 millions de doses supplémentaires prévues par Pfizer et aux 26 millions de doses à usage unique de Johnson & Johnson, le pays a pour objectif de vacciner 25 % de sa population d’ici la fin de l’année », a déclaré Jean-Jacques Mbungani, Ministre de la santé publique, de l’hygiène et de la prévention. La priorité sera accordée aux personnels de santé, aux personnes âgées de plus de 55 ans et aux personnes souffrant de comorbidités, telle qu’une maladie rénale chronique, une hypertension artérielle ou un diabète.
Les vaccins sont également très demandés par les rescapés de la COVID-19 en RDC, qui sont passés de la peur du vaccin à la peur de la menace de réinfection.
Après avoir souffert d’essoufflement et avoir été testée positive fin juin, Farida Nabintu a passé deux semaines sous assistance respiratoire. La jeune femme de 48 ans a survécu à cette épreuve, mais l’expérience lui a laissé des problèmes de santé permanents et une facture d’hôpital de 250 dollars, soit plus du double de son revenu mensuel en tant que commerçante.
« Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai été très malade et que je continue de souffrir des effets durables de la COVID-19 », a-t-elle déclaré, en ajoutant qu’elle a maintenant été vaccinée.
Quant à Mme Mwasi, qui a perdu son mari et partenaire d’affaires, elle attend toujours son tour et exhorte ses amis et sa famille à tirer les leçons de la tragédie vécue par sa famille.
« J’ai vu à quelle vitesse cette maladie peut tuer, c’est pourquoi j’ai cessé d’écouter toutes les balivernes sur les vaccins », a-t-elle déclaré, tout en jurant : « Je serai la première dans la file pour recevoir le vaccin ».
Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo. Elle est spécialiste des reportages sur la paix et la sécurité.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Kiampi Kongopi, GPJ.