KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Étant sur les rives du fleuve Congo, Guy Inagosi plonge son filet dans l’eau et se met à attendre. À quelques mètres seulement de là où il se tient, l’eau vient heurter des rochers, puis rejette l’écume et crée des bulles au pied des chutes Boyoma (dites aussi chutes Wagenia).
Remontant enfin son filet, Inagosi ne découvre aucune proie. Tel était le cas ce matin-là lorsqu’il avait déployé son filet pour la première fois.
« Depuis le matin, j’ai tout essayé mais en vain malgré les différentes techniques que je connais !», s’alarme ce père de huit enfants et pêcheur depuis plus de 20 ans. Membre de la communauté enya qui pratique la pêche artisanale et qui a donné son nom aux chutes Wagenia, ce pêcheur se souvient des temps où il pouvait capturer 10 poissons par jour. S’il arrive à en capturer un aujourd’hui, il s’estime chanceux.
Approvisionnant la ville de Kisangani – dans le nord-est de la RDC – en poisson frais, les pêcheurs artisanaux de cette communauté, affirment, à l’instar d’Inagosi, que la pêche sur le fleuve Congo rapporte de faibles rendements.
Non seulement cette situation fait peser un danger sur leur source de revenus, mais elle prive la population locale de poisson frais, importante source de protéine dans le pays.
Selon les experts et les représentants du gouvernement, les pratiques traditionnelles de ces pêcheurs sont à pointer du doigt et sont, selon eux, à l’origine de la détérioration du milieu aquatique. Pourtant, ces pêcheurs affirment n’avoir d’autre choix que de compter sur ces techniques qui leur sont connues.
La RD Congo regorge de ressources halieutiques, et ce, grâce au riche écosystème d’eau douce du fleuve Congo. Ce fleuve et le plus grand fleuve d’Afrique en termes de volume de décharge et demeure classé au deuxième rang planétaire en termes de volume après l’Amazone. Aussi héberge-t-il quelque 400 espèces de poissons, lit-on dans un rapport du ministère national de l’Environnement et du Développement durable.
Quoique l’abondance des ressources halieutiques du pays soit estimée à 700 000 tonnes par an, son potentiel de contribuer de manière significative au produit intérieur brut du pays reste insuffisamment exploité.
La raison en est, notamment, le manque non seulement d’investissements en capital, mais aussi de politiques appropriées, selon un rapport de 2014 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Pourtant, selon Kakule Kizito, inspecteur de la pêche dans la Tshopo, province ayant Kisangani pour chef-lieu, il existe des politiques de pêche. Le défi, confie-t-il, est de les mettre en œuvre, car on ne peut se permettre d’embaucher des agents de surveillance.
« Comment allons-nous réussir à mettre de l’ordre pendant que nous n’avons pas les frais de rétrocession pour une bonne marche ?» s’interroge-t-il.
Les pêcheurs de Kisangani et des régions voisines pratiquent une pêche artisanale qui, selon Kizito, est inadéquate et dégrade le milieu aquatique.
Certains s’adonnent à la pêche à la moustiquaire, pratique qui ne laisse pas la vie sauve aux poissons récemment éclos, perturbant ainsi le développement et la reproduction naturels des poissons, révèle Kizito.
Sur un lac à double appartenance, les pêcheurs sont pris entre deux feux
CLIQUEZ POUR LIRE L'ARTICLEDéputé provincial élu de Kisangani, Bienvenu Bolongue reconnaît que les pratiques de pêche non durables comme la surpêche sont à l’origine de la pénurie, ajoutant que les pêcheurs ne respectent souvent pas le calendrier de pêche.
La loi interdit la pêche dans les zones protégées pendant les saisons de frai et d’éclosion, mais il est rare que cette interdiction soit respectée par les communautés qui comptent sur leurs connaissances traditionnelles, selon le rapport du ministère de l’Environnement et du Développement durable.
Inagosi ne nie pas que les pêcheurs ont leur part de responsabilité dans cette pénurie en raison de leurs techniques de pêche inadéquates et non durables. Mais pour lui, il ne compte que sur les techniques de pêche qu’il connaît.
Les techniques traditionnelles, ajoute-t-il, ont toujours fonctionné malgré leurs défauts. Il affirme toutefois que trop de gens pratiquent la pêche sur le fleuve Congo, et qu’il appartient au gouvernement non seulement de réglementer ce secteur, mais aussi de créer des emplois.
En proie au chômage, les gens ne peuvent que se précipiter vers le fleuve pour chercher de quoi manger, dit-il.
Crispin Isomela, un autre pêcheur de la communauté enya, estime que le gouvernement devrait former les pêcheurs artisanaux aux techniques appropriées. Sans cela, la plupart des pêcheurs n’ont d’autre alternative que de compter sur les connaissances existantes.
« Nous ne pouvons faire que ce qui nous est connu », ajoute-t-il.
Toutefois, Kizito estime que le gouvernement n’en porte pas la responsabilité.
Une population en forte croissance que le fleuve ne peut supporter contribue également à la pénurie, selon Danadu Mizani Célestin, chef du département d’écologie de l’université de Kisangani.
Les autorités du ministère de l‘Agriculture, de la Pêche et de l’Élevage n‘ont pas répondu à nos demandes de commentaires.
Les données sur le secteur de la pêche étant rares, on a du mal à avoir une estimation du nombre de pêcheurs artisanaux dans la région, explique Kizito. Toutefois, selon les estimations les plus récentes des Nations unies, Kisangani comptait 1,26 million de personnes en 2020, soit plus du double de sa population de 2000.
La croissance démographique entraîne dans son sillage l’augmentation de la demande en poisson et de son coût.
Selon Cécile Thianda, femme de ménage à Kisangani, elle ne peut plus se le permettre.
« Je ne m’intéresse [plus] au poisson frais de notre fleuve, car il est trop cher », confie-t-elle.
Thianda affirme qu‘avant la pénurie actuelle, les morceaux de poisson frais local se négocient entre 50 et 300 francs congolais. Aujourd‘hui, un petit morceau de poisson frais se vend à environ 2 000 francs.
Face à la hausse des prix, les habitants tentent leur chance au Zando ya Bitula (marché des invendus) où les poissonniers qui n’ont pas d‘installations de stockage écoulent leur dernier stock à un prix inférieur de peur de le voir pourrir. Pour ces poissonniers, cela n’est pas sans conséquence, explique Jacqueline Mosunga, vendeuse de poisson au marché central de Kisangani.
« Nous achetons le poisson aux pêcheurs vers les chutes Wagenia à un prix trop cher. Nous devons aussi à notre tour le revendre entier ou en morceaux tout en pensant à notre bénéfice aussi », explique-t-elle.
Jean Norbert Loluka Lolisambo, ministre provincial de l‘Environnement et du Développement durable, estime que la responsabilité principale incombe aux pêcheurs, qui doivent commencer à recourir à des engins de pêche appropriés et à respecter le calendrier de pêche.
« Cette population confisque le fleuve Congo et fait n’importe quoi », s’insurge-t-il.
Zita Amwanga est journaliste à Global Press Journal et vit à Kisangani, en RDC.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.