RUBAYA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO – « Muderi » est ce vocable très à la mode à Rubaya, centre commercial blotti au sommet d’une colline dans le territoire de Masisi. Et pour cause : c’est le nom porté par le site où se fait l’extraction de grandes quantités de coltan et d’étain, minerais convoités pour leur utilisation massive dans les technologies modernes en tant que semi-conducteurs que l’on trouve dans des voitures et des téléphones portables.
Au moins six jours par semaine, des hommes et avec eux des femmes et des enfants sont affairés sans arrêt. Puiser de l’eau, telle est la tâche des enfants. Les femmes, elles, sont occupées par la cuisson. S’agissant des hommes, certains portent de lourds sacs pleins de minerais et d’autres creusent la terre. Remuer et gratter terre et cailloux sans lâcher prise et faire fortune un jour reste l’espoir nourri par chacun.
Selon un rapport officiel publié en 2015, l’exploitation minière industrielle ou artisanale en RDC reste le gagne-pain de plus d’un million de personnes. Selon une étude plus récente, les emplois dans le secteur minier représentent 11% de la main-d’œuvre formelle.
Rubaya est le plus grand site d’extraction de coltan en RDC. Du labeur des miniers peut résulter des blessures. Pourtant, pour les mineurs artisanaux d’ici, leur labeur cache un autre aspect plus difficile à vivre. Ces dernières années, nombre d’entre eux ont subi des retards de salaire répétés, dont certains pendant des mois.
Les miniers confrontés à des retards de salaire ont éprouvé plus de difficultés à nourrir leurs familles. Ces retards de salaire n’ont fait qu’aggraver l’endémique trafic de minerais, moyen plus rapide de se faire de l’argent.
La plupart des mineurs artisanaux vendent leur butin à la Société minière de Bisunzu (SMB), une société autorisée à acheter les minerais trouvés à Rubaya et à les vendre sur le marché international.
Chaque mois, la SMB achète auprès de quelque 3 500 mineurs artisanaux de Rubaya une quantité de coltan d’une valeur variant entre 3 et 5 millions, lit-on dans un rapport publié en avril 2019 par Sofala Partners, un groupe de consultants qui s’intéresse à l’Afrique subsaharienne.
L’année écoulée n’aura pourtant pas permis aux mineurs comme John Bizimana, 45 ans, à voir leur salaire arriver pendant cinq mois. Bizimana fait office de mineur depuis 30 ans. En cas de mois sans salaire, confie-t-il, les membres de sa famille devaient parfois dormir le ventre vide.
« Je devais m’endetter ici et là pour prendre soin de ma famille, mais à un moment donné, personne ne pouvait me prêter un sou, car je mettais beaucoup de temps à les rembourser », lâche-t-il. Il a récemment reçu ses arriérés de salaire pour deux mois, mais attend toujours d’autres.
À en croire les responsables de la SMB, les retards de salaire à Rubaya sont en grande partie imputables aux échauffourées politiques entre les États-Unis et la Chine, en particulier l’augmentation par Donald Trump des taxes sur les produits chinois.
« La loi de Trump nous a déstabilisés, car tous nos clients sont originaires d’Asie », déclare Philippe Stuyck-Swana, directeur des communications chez SMB.
Une surveillance accrue des chaînes d’approvisionnement qui vise à s’assurer que les minerais sont « sans lien avec un conflit » – c’est-à-dire ne bénéficient pas à des groupes armés – a également eu un effet sur le versement de salaires. Après une première crise, les nouvelles lois en matière de surveillance ont fini par entraîner une forte augmentation des exportations de minerais de la RDC. En 2016, par exemple, la province du Nord-Kivu aura battu un record d’exportation qui s’est hissée à 1 550 tonnes d’étain (d’une valeur de 11,7 millions de dollars) et 1 121 tonnes de coltan (d’une valeur de 35,9 millions de dollars), selon l’ONG américaine Enough Project, une organisation de défense des droits de l’homme.
Appelé « approvisionnement responsable », ce système de traçabilité ne profite pourtant pas aux mineurs artisanaux, selon un rapport d’avril 2019 de l’Institut danois d’études internationales.
« Les parties prenantes locales ont expliqué que la récente réforme minière a donné lieu à d’autres parties prenantes qui demandent des contributions supplémentaires », indiquent les auteurs du rapport. « Des mineurs ont affirmé que les propriétaires fonciers, les coopératives et les représentants du gouvernement ont augmenté leurs redevances. Par conséquent, les gens se sont plaints que l’approvisionnement responsable a surtout profité aux élites locales ».
Aujourd’hui, la plupart des négociants attendent d’être payés pour le produit certifié sur le marché avant de payer les mineurs artisanaux qui ont fourni les minerais.
Aux dires de certains, il n’y a aucune excuse.
Si le gouvernement avait une stratégie bien planifiée, de tels retards de paiement pourraient être évités, explique Fidel Bafilemba, coordinateur du Groupe d’appui à la traçabilité et à la transparence dans la gestion des ressources naturelles, groupe de la société civile du Nord-Kivu.
« Le gouvernement doit mettre en place des mesures pour soutenir les investisseurs en leur fournissant des fonds de fonctionnement afin qu’ils puissent payer les mineurs en cas de manque de liquidités », conseille Bafilemba.
Mais, il ne donne pas cher des chances de voir cela se produire.
« Il y a beaucoup de désordre dans la gestion du secteur minier, la corruption se retrouve partout, et cela nuit à l’économie du pays », déplore-t-il. La région de Rubaya elle-même est connue pour ses niveaux élevés de contrebande de minerais. Des retards de salaire au grand dam des mineurs non clandestins ne contribuent en rien à la solution à ce problème de trafic.
En 2015, un groupe d’experts des Nations unies a constaté qu’entre 20% et 40% de tous les minerais extraits à Rubaya sont passés en contrebande à travers la frontière pour être vendus au Rwanda, où les acheteurs paient environ 20% de plus que la SMB. Les minerais issus de la contrebande sont étiquetés avec des étiquettes en papier contrefaites avec des codes-barres qui ressemblent aux étiquettes nécessaires pour rendre les minerais traçables de la mine à la fonderie.
Toujours selon le même groupe d’experts des Nations unies, ce commerce illégal de minerais était facilité par l’armée, le Service national de renseignements, la Police des mines, la Division des mines et le Service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière à petite échelle.
Aux dires des experts, la soif d’argent rapide pousse des mineurs en RDC à tenter de faire de la contrebande vers d’autres pays frontaliers, notamment l’Ouganda et le Burundi.
« De façon aisée, nous pouvons quitter Rubaya avec la tourmaline », glisse Fabien, un trafiquant de la région qui a voulu que son nom de famille ne soit pas cité. Il attendait qu’un ami, un avocat de Goma, lui donne un coup de fil, car ils étaient prêts à conclure un marché avec un client potentiel. « Son colis est moins pesant et facile à cacher au point que les barrières ne sont pas pour nous difficiles à traverser ».
Selon les groupes de la société civile à Rubaya, l’éradication du trafic n’est possible que si le gouvernement déploie davantage d’efforts pour identifier les filières de trafic. D’après eux, les profits qui se volatilisent du pays devraient rester en RDC.
« Avec une chaîne claire pour la lutte contre le trafic et la corruption, plusieurs réalisations en matière de bien-être social seront possibles », explique Philémon Nizeyimana Sebazungu, un activiste basé à Rubaya.
Entre-temps, affirme Stuyck-Swana de la SMB, la société se remet sur les rails en ce qui concerne le paiement des salaires. « Pour le moment, nous rattrapons nos retards sur les paiements des mineurs. Nous avons presque réduit nos arriérés et au moins 80% des dettes ont déjà été payées », confie-t-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.