Democratic Republic of Congo

Jadis « maîtres de la forêt », la communauté pygmée de la RDC se voit évincée du parc national

Bien qu’une loi de 2022 protège les droits fonciers des autochtones, les expulsions du parc national des Virunga entravent considérablement les modes de vie traditionnels.

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Once ‘Masters of the Forest,’ DRC’s Pygmy Community Is Being Forced Out of National Park

Illustration par Matt Haney, GPJ

GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Jusqu’en juin 2022, c’est pratiquement le bruissement des arbres qui berçait la plupart des journées de Biranda. Ce dernier qui, par peur de représailles, a demandé à Global Press d’utiliser son nom de famille, a vu le jour puis grandi dans le parc national des Virunga et, pendant la majeure partie de sa vie, n’a absolument pas eu besoin de s’aventurer dans le monde extérieur.

« L’atmosphère [est] si bonne », dit cet homme de 51 ans.

Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le parc avec environ 2 077 espèces de plantes, 218 espèces de mammifères et un sol extrêmement fertile peut se targuer de la plus riche biodiversité de n’importe quel autre parc en Afrique. Elle regorge de savanes, de plaines, de marécages, d’une singulière végétation, de deux des volcans les plus actifs du continent ainsi que des gorilles de montagne, une espèce menacée d’extinction.

Ce riche écosystème a toujours approvisionné Biranda et les membres de sa communauté ; en fait, il s’agit d’ailleurs de leur principale source de subsistance.

Jusqu’à récemment, les habitudes quotidiennes de Biranda étaient les mêmes : enfiler ses bottes dès le réveil et ratisser à longueur de journée le parc en quête de miel, d’herbes comestibles et de plantes médicinales. Pour lui, il n’y avait aucune différence entre une journée dans le parc et une au marché. Il était capable d’y trouver presque tout ce dont il avait besoin. De ses souvenirs d’enfance, il n’était jamais question de pénurie alimentaire, eu égard à la riche biodiversité du parc. De la viande, il y en avait à profusion, confie-t-il. Ses parents étaient d’habiles chasseurs. Le soir, la communauté entière s’asseyait autour d’un feu. Tout en entretenant les enfants à travers des contes, les adultes dégustaient du kasiksi, un breuvage local à base de miel ou de banane.

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Graphique par Matt Haney, GPJ

Toutefois, comme tous les autres membres de la communauté autochtone pygmée en République démocratique du Congo, Biranda n’a plus accès à cette vie paradisiaque, ni même à ces terres qui jadis leur servaient de demeure.

En juin 2022, les gardes forestiers de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), l’agence d’État responsable de la surveillance du parc national des Virunga, l’ont expulsé du parc, lui et sa famille ainsi que d’autres membres de la communauté, les plongeant dans un univers qui jusque-là leur était carrément inconnu.

En juillet 2022, juste un mois après ces expulsions, le Président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a signé une loi protégeant les peuples autochtones pygmées. Cette loi reconnaît les discriminations auxquelles les autochtones ont dû faire face au fil des ans et leur accorde des droits fondamentaux essentiels, notamment le droit à leurs terres et ressources naturelles.

Seulement, plus d’un an après cette signature présidentielle, la communauté pygmée est toujours expulsée et interdite d’entrée au parc, ce qui les prive de tous leurs droits fonciers et de toute connexion avec leur mode de vie traditionnel ; inutile de dire combien elle doit batailler pour s’alimenter.

« Je donnerais n’importe quoi pour y retourner, » soupire Biranda.

La communauté pygmée de Biranda fait partie d’une plus vaste collectivité de chasseurs et de cueilleurs qui auraient été les premiers occupants de la région des Grands Lacs en Afrique centrale. Ils sont disséminés à travers l’Ouganda, la RDC, le Burundi et le Rwanda, à en croire des rapports de Minority Rights Group International, une organisation à but non lucratif qui défend les droits des minorités et des peuples autochtones.

En RDC, selon un rapport d’Initiative Équateur en 2019, ils se chiffrent entre 600 000 et 700 000, dans un pays d’environ 100 millions d’habitants, d’après les données 2022 de la Banque mondiale.

Bien que ces communautés partagent des ancêtres communs, leurs dénominations varient en fonction des lieux. Dans le Nord-Kivu, par exemple, ce sont les Batwa ou Bambuti. En République centrafricaine, les Baaka vivent dans la forêt de Lobaye.

Où qu’elles vivent, ces communautés sont exposées aux discriminations, aux violations de droits humains, à la précarité alimentaire, à l’absence de droits fonciers ainsi qu’à la marginalisation par d’autres groupes et responsables politiques nationaux.

En RDC, elles sont constamment contraintes d’abandonner, sans le moindre dédommagement, ce qu’elles considèrent comme leur héritage ancestral. Il s’agit d’une tendance qui, selon des rapports, plonge ses racines dans la RDC coloniale, quand le gouvernement colonial belge a commencé à créer des parcs à l’instar du parc national des Virunga et du parc national de Kahuzi-Biega, tous classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.

« Il y a encore des obstacles à surmonter. » Dynamique des Groupes des Peuples Autochtones

Rubin Rashidi, député de la ville de Kindu, la capitale de la province du Maniema au centre-est de la RDC, précise que ces exclusions récurrentes l’ont obligé à soutenir au parlement la loi sur la protection et la promotion des peuples autochtones pygmées. Il explique qu’il voulait voir les membres de cette communauté vivre dans un monde où ils ne se sentent pas en danger.

« Les pygmées du Nord et du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo, sont menacés d’être expulsés de leurs terres ancestrales et sont harcelés, arrêtés, battus, torturés, voire tués, » déclare-t-il.

Selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement, le processus d’élaboration et d’adoption de la loi impliquait la consultation des communautés pygmées à travers le pays ainsi que des groupes autochtones dans les États voisins comme la République centrafricaine. Les organisations de la société civile ont également engagé des experts juridiques et des organismes internationaux de défense des droits humains, puis fait pression sur des députés pour qu’ils défendent le projet de loi devant le parlement.

Parmi les garanties de la loi, laquelle est entrée en vigueur en février 2023, l’on note qu’à moins qu’il y ait « au préalable leur consentement libre et éclairé », lequel s’accompagnerait de la compensation en terres ou des ressources équivalentes, aucune délocalisation des communautés autochtones ne pourrait être effectuée. La réussite de la mise en œuvre de cette loi dépend d’une synergie d’efforts entre le gouvernement central, les administrations provinciales et les entités territoriales décentralisées.

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Graphique par Matt Haney, GPJ

Bien qu’il s’agisse d’une belle avancée, il faudra du temps pour que cette loi porte du fruit, souligne Patrick Saidi, coordinateur de la Dynamique des Groupes des Peuples Autochtones, un réseau d’organisations de la société civile qui préconise le respect des lois. Il révèle que sa simple adoption fut un processus houleux.

« Nous savions que de nombreuses personnes pourraient, par exemple, bénéficier de l’expulsion des pygmées, car elles pourraient avoir besoin d’utiliser leurs terres à des fins commerciales, » expose-t-il.

Saidi ajoute qu’ils continueront d’œuvrer pour s’assurer que les peuples autochtones jouissent de leurs droits et qu’ils ne sont plus évincés sans consentement. Toutefois, poursuit-il, cela exigera une assistance et un engagement financier, technique et politique à long terme, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

« Il y a encore des obstacles à surmonter », admet-il.

Pour une mise en œuvre réussie, Rashidi soutient que tous les partenaires politiques, ainsi que le public, doivent être impliqués.

« En effet, avoir le texte est une chose, jouir des droits qu’il contient en est une autre », argue-t-il. « Malheureusement, je peux dire que la bonne application de la loi prendra plus de temps, peut-être un an ou plus. »

« Nous sommes simplement les maîtres de la forêt parce que c’est notre maison. »

Biranda admet ne pas être au courant de cette nouvelle loi qu’il accueille cependant. Ce qu’il sait, c’est que la vie n’est plus la même pour sa communauté à présent confinée à Muja, une bourgade à la lisière du parc national des Virunga. Environ 20 huttes de fortune, faites de bois et couvertes de vieilles toiles parsèment le village.

Connaissant mal le terrain et ne disposant d’aucun autre moyen de subsistance, les personnes vivant dans ces villages sont obligées de s’introduire furtivement dans le parc pour trouver ce qui jadis était facilement accessible. Chaque incursion est un test de leur capacité à prendre à l’improviste les gardes forestiers de l’ICCN sans cesse aux aguets. Bien connaître le parc et savoir où aller, même de nuit, constitue dès lors un réel avantage.

« Nous n’avons pas d’astuces particulières. Nous sommes simplement les maîtres de la forêt parce que c’est notre maison », explique Biranda.

Iramba, qui par peur de représailles a demandé à Global Press d’utiliser son nom de famille, est l’épouse de Biranda et elle l’accompagne toujours. À l’instar de bien d’autres membres de sa communauté, elle maîtrise la biodiversité unique du parc. Une fois à l’intérieur, sa mission première est de trouver de la nourriture, des légumes en l’occurrence, pour leurs cinq enfants. Puis, elle cherche des herbes médicinales pour leur fillette de quatre ans, qui souffre de douleurs abdominales.

« Ma fille est constipée depuis deux jours et n’a pas d’appétit. Je sais quelles herbes l’aideront à se sentir mieux », indique-t-elle.

Malgré ces connaissances qui ont fait leurs preuves, il y a toujours ce risque de croiser le chemin des gardes forestiers de l’ICCN. Biranda rapporte qu’actuellement, ils se déplacent en groupes de cinq, machettes à la main, pour se protéger mutuellement. Ils craignent d’être battus ou arrêtés si des éco-gardes venaient à les surprendre.

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Graphique par Matt Haney, GPJ

Biranda se souvient d’une certaine aventure en septembre 2022. Il faisait partie d’un groupe qui avait passé la journée dans le parc, cherchant de la nourriture. Sur le chemin du retour, ils ont rencontré des gardes forestiers qui les ont arrêtés, les accusant de tuer des singes.

« Bien sûr, nous [étions] innocents. Nous n’[avions] pas tué les singes. Nous [étions] simplement allés chercher des herbes pour un traitement médical, mais ils ne nous ont pas crus », se remémore-t-il. Ils n’ont pas été inculpés. Au bout de trois jours de détention, les gardes forestiers leur ont donné un ultimatum, les mettant en garde contre toute violation ultérieure des limites du parc.

Dans une note écrite à l’adresse de Global Press Journal, M. Olivier Mukisya, chargé de communication du parc national des Virunga a fait savoir qu’ils ne disposaient d’aucune trace d’une arrestation de Biranda et des membres de sa communauté.

Cependant, il a précisé que les gardes forestiers pourraient parfois arrêter des individus dans le but de protéger le parc, conformément à la loi de la RDC ; néanmoins, ils sont tenus de les traiter avec bienveillance. La plupart des personnes interpellées pour activité illégale sont conduites en dehors du parc et libérées sans inculpation, mais avec une explication sur les raisons de leur exclusion ainsi que la nature illégale de leurs activités. De l’avis de Mukisya, les récidivistes ou les coupables de plus graves délits sont traduits en justice.

Mukisya déclare que « la loi en question a été établie pour protéger les communautés indigènes, non pour créer une base pour la destruction de l’habitat naturel à des fins illégales par des populations rurales s’infiltrant dans le parc (depuis l’extérieur de ses frontières). Si vous accédez aux images satellites d’il y a 10 ans, je pense que vous verrez qu’il n’y avait dans cette zone du parc ni d’installations permanentes ni d’activités agricoles. »

Mais Patient Nkulu, un juriste de Goma, affirme que même si le parc est un site protégé qui ne devrait pas être habité, pas même par ceux qui y ont vu le jour, comme les peuples autochtones pygmées, la loi exige qu’ils soient consultés avant toute expulsion.

« Ils devraient également être impliqués dans la gestion du parc », soutient-il, « car leur contact quotidien avec la forêt leur donne une connaissance approfondie de ses ressources naturelles, une connaissance qui peut être utilisée pour la conserver. »

« Nous demandons aux autorités de nous laisser vivre en paix dans notre forêt. »Leader de la communauté pygmée

Pour Bonane Muhindo, un leader de la communauté pygmée, les incessantes expulsions du parc national des Virunga violent les droits fondamentaux de la collectivité. Comme leurs ancêtres, les populations pygmées sont habituées à vivre de la chasse et de la cueillette, mentionne-t-il. Mais à présent, ils ont du mal à trouver leurs repères dans un monde qui leur est hostile, entourés de personnes qui les discriminent au quotidien.

« Nous ne connaissons pas d’autre vie que la forêt. Nos médicaments, ce que nous mangeons, ce que nous buvons, tout ce dont nous avons besoin vient de la forêt », confie-t-il. « Nous demandons aux autorités de nous laisser vivre en paix dans notre forêt, car c’est notre domicile. »

Chaque fois que le gouvernement, en collaboration avec l’ICCN, expulse des communautés, ajoute-t-il, ils leur indiquent uniquement où s’installer, mais ne déploient aucun effort ni les moindres ressources pour les aider à s’adapter à leur nouvel habitat. Voilà la raison pour laquelle elles finissent toujours par retourner au parc, au risque d’en être délogées encore et encore.

Comme Biranda, Muhindo a été chassée du parc en 2022. L’expulsion fut brutale, se souvient-elle. « Comme nous n’avons normalement pas beaucoup de biens, tout le monde a pris ses quelques vêtements et ustensiles de cuisine et s’est rendu dans le village voisin, ici à Muja, où nous avons lutté pour nous intégrer à la communauté locale. »

« Cela n’a pas été facile au début, car j’ai dû me battre pour survivre dans un environnement qui m’était inconnu. »

Il y a deux ans, les gardes forestiers de l’ICCN ont expulsé du parc Karoli Mbusa et sa famille. Ce dernier dit avoir fait tout son possible pour démarrer une vie nouvelle en dehors du parc. Il loue une petite maison de deux chambres dans le voisinage Mabanga, ville de Goma, où il vit avec sa femme et ses cinq enfants.

Pour gagner sa vie, Mbusa parcourt les rues de Goma, un sac de médicaments traditionnels sur le dos et tenant en main un microphone à piles. Il se sert de ce porte-voix pour attirer l’attention vers ses produits. Pour avoir passé la majeure partie de sa vie dans le parc, il a une vaste connaissance de la médecine traditionnelle, notamment l’usage des plantes et où les trouver.

« Lorsque nous avons été expulsés, certains d’entre nous voulaient résister et rester dans le parc, mais j’ai décidé de partir et de m’installer avec les autres habitants. Cela n’a pas été facile au début, car j’ai dû me battre pour survivre dans un environnement qui m’était inconnu, mais aujourd’hui, je me suis intégré », avoue-t-il. « Chaque fois que je passe, les gens m’appellent “Mbuti” [d’un ton moqueur], mais cela ne me dérange pas, tant qu’ils achètent les médicaments que je leur propose. »

Bien que Mbusa ait eu vent de « rumeurs » à propos de la loi, il doute que celles-ci soient vraies.

« Si cela s’avère [exact] et est mis en œuvre, » songe-t-il, « je serais heureux de retourner dans la forêt et de poursuivre mes recherches sur la médecine traditionnelle en toute tranquillité. »

Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Kouethel Tekam Néhémie Rufus, GPJ.

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