KISANGANI, PROVINCE DE LA TSHOPO, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Il était juste après 19 heures quand le père de Dorcas l’a envoyée dans la rue pour acheter une allumette.
Sur le chemin de retour à la maison, elle rencontra un ami de son père qui lui demanda de faire chemin avec lui. Et pour cause, ils habitaient le même quartier. À ses dires, l’ami l’a tirée à l’intérieur quand ils sont passés près de chez lui.
« J’ai crié, crié et crié, mais personne n’est venu à mon secours. Et mon bourreau a fini de faire ce qu’il avait à faire », confie Dorcas, les yeux pleins de larmes avec son bébé de sept mois sur son dos, essayant de relater le viol dont elle a été victime.
Quand Dorcas a raconté à sa mère ce qui s’était passé, la famille a fait le choix de ne pas porter plainte, connaissant pourtant le bourreau de leur fille. Or, tout coupable de viol avec violence sur mineur risque de se retrouver en prison pendant cinq à 20 ans. La famille, elle, ne voulait pas que la nouvelle fasse tache d’huile, surtout après avoir réalisé que Dorcas était enceinte suite à ce viol.
« Quand j’ai raconté à ma mère ce qui venait de se passer, elle m’a convaincue de ne pas révéler la triste nouvelle à qui que ce soit, de peur que cela risque de jeter le déshonneur sur toute ma famille », explique Dorcas.
Des violeurs déboursent l’argent pour régler l’affaire à l’insu de la justice, et la pratique est devenue monnaie courante, déplorent les défenseurs des droits de l’enfant. Pour le cas de Dorcas, ses parents affirment avoir reçu du violeur une somme de 5 000 dollars pour régler l’affaire aux dépens de la justice.
Aujourd’hui, Dorcas aide sa mère dans son petit commerce qu’est la vente de légumes au centre-ville de Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo, et ce, au lieu d’aller à l’école.
« J’ai décroché du secondaire à cause de la grossesse », confie-t-elle. « Mon rêve de devenir un jour médecin s’est envolé ».
À Kisangani, le viol est devenu fréquent. Mais la pauvreté, la corruption et la stigmatisation sont telles que les familles sont souvent obligées d’opter pour un règlement à l’amiable, affirme Fortina Mwanishay, 65 ans, conseiller juridique de la police de protection de l’enfance dans la ville de Kisangani.
« Des familles remuent ciel et terre pour identifier l’agresseur et lui imposer le versement d’une somme d’argent », révèle Mwanishay. « Les deux parties font tout pour que l’affaire s’arrange en cachette ».
Le poste de police de Kisangani a créé une unité de protection de l’enfance en 2006, et a depuis enregistré plus de 1000 cas, dit Mwanishay.
Mais engager des poursuites contre un violeur est une bataille longue, publique et coûteuse. Soixante-quatre pour cent des Congolais vivent en dessous du seuil national de pauvreté, ce qui rend les paiements en espèces séduisants, en particulier face aux frais de justice et aux longs procès publics impliquant souvent des membres de la famille ou des amis.
Lorsque Sarha, 17 ans, a été violée par son oncle il y a trois ans, sa famille a opté pour l’argent plutôt que pour la justice, affirme-t-elle.
« Après avoir été violée, ma famille s’est réunie et a invité mon oncle à se justifier », dit Sarha, dont le nom de famille n’a pas été révélé pour protéger sa vie privée. « Je n’ai pas la moindre idée de la somme qu’il a payée, mais une chose est sûre: il n’a fait l’objet d’aucune poursuite », glisse-t-elle.
La division de la protection de l’enfance du département de police locale s’inquiète de la pratique d’échange de la justice contre de l’argent devenue de plus en plus fréquente, témoigne Mwanishay. Elle craint que le viol des enfants ne devienne plus fréquent ici, car les violeurs savent qu’ils ne risquent aucune poursuite.
Il est possible que la preuve que le viol des enfants est en hausse ici ne soit pas manifeste dans les tribunaux, mais elle se confirme dans les hôpitaux locaux.
Matabisi Muteba, 42 ans, médecin directeur de l’hôpital de référence de Kisangani, raconte qu’ils reçoivent « des dizaines de jeunes filles mineures » qui se font soigner après avoir été violées.
« Souvent quand je leur demande si leurs violeurs ont été incarcérés, elles répondent que ces derniers courent librement. Selon elles, elles sont contraintes de sauver l’honneur de leurs familles, à la suite de quoi les familles décident d’enterrer moult affaires de viol », annonce-t-il.
Les médecins ne sont pas autorisés à signaler des cas à la police sans le consentement de leurs patients, ajoute-t-il.
René Kande, médecin au centre de santé de référence Saint Joseph-Kisangani, un autre hôpital local, dit qu’il reçoit aussi de nombreux patients chaque mois, lesquels patients sont mineurs et souffrent de diverses conséquences physiques et mentales après un viol. Ils traitent généralement tout allant des chocs émotionnels à des complications de grossesse chez les adolescentes.
« Si les familles se rendaient compte de l’ampleur des dégâts causés par le viol, elles ne garderaient pas le silence, assurant que la justice soit faite », conseille-t-il.
Depuis 2010, des efforts ont été déployés pour attirer l’attention sur le viol des enfants ici, a déclaré Marguerite Mbombo, militante pour la défense des droits de l’enfance qui travaille avec des mères célibataires adolescentes.
« Les gens ici ont tendance à penser que le viol des filles mineures est normal, car ils savent très bien qu’ils peuvent payer les familles des victimes pour s’en sortir sans problème », déplore Mbombo, ajoutant que les séminaires locaux sur le sujet se poursuivent depuis 2010 avec peu d’impact.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.