KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Sans sièges et seule disponible, une mini-fourgonnette blanche avec sirène sur son toit s’invite dans presque toutes les funérailles dans cette communauté nichée à l’extrémité est du pays. Ce corbillard, des familles se succèdent pour s’en servir pour accompagner leurs proches à leur dernière demeure dans cette région où le manquement au devoir d’honorer un être cher est une atteinte au sacré et où la mort arrive trop souvent pour emporter des vies.
Avec ce corbillard, cette communauté a changé la façon d’enterrer ses morts.
Il y a trois ans, des hommes devaient transporter des dépouilles mortelles au lieu de sépulture sur des brancards en bois sur une distance d’environ 3 kilomètres. Muscles tendus et corps couverts de sueur sous le soleil brûlant, ces hommes n’avaient qu’à se relayer. Certains pouvaient transporter les corps de leurs êtres chers à moto dans des cercueils en planches attachés avec des cordes. En l’absence de cercueil, en particulier dans les régions éloignées, une personne pouvait attacher le corps à une moto ou l’y maintenir ferme pendant que l’autre conduisait.
Mais dans une région souvent en proie à des maladies comme le paludisme et la typhoïde et parfois la cible des actes de violence par des groupes armés, on reconnaît à ce quelque chose de simple tel qu’un corbillard un impact considérable.
« Le corbillard public est devenu un salut pour la population », confie Muhindo Kevo David, 34 ans, un agriculteur local élancé qui se dit conscient de cette rude épreuve : le transport des morts aux cimetières. Il se souvient avoir aidé au transport du corps de son grand-père sur une distance de 10 kilomètres pour l’enterrer dans un champ familial.
Le corps devenant si lourd, ils l’ont sorti du cercueil à michemin. Arrivés près du cimetière, ils le placèrent à nouveau à l’intérieur.
« Avant son existence », dit-il à propos du corbillard, « les hommes souffraient ».
La fourgonnette est arrivée en 2017, offerte en don par Edouard Kiove Kola, membre de l’Assemblée nationale et représentant du territoire de Lubero, où se trouve Kirumba, près d’un lac tentaculaire à cheval sur la frontière du Rwanda et de la RDC.
Kiove a voulu venir à la rescousse de ceux qui devaient user de leurs épaules pour transporter des corps au lieu de dernier repos, faisant ainsi don de fourgonnette, explique Shangiliya Kavali, président du comité de gestion du corbillard qui contrôle l’utilisation de ce dernier.
Toutefois, seuls le conducteur et le corps sont autorisés à bord du corbillard, en raison des préoccupations quant à la propagation du coronavirus. Prudence oblige, car personne n’a encore attrapé ce virus dans cette communauté de plus de 90 000 âmes.
Mais il y a du pain sur la planche pour ce corbillard. Selon Mumbere Mukuhi Daniel, chauffeur officiel du corbillard, il transporte environ trois corps par jour, et même parfois plus. La violence dans la région par des groupes armés, reliquat de la guerre civile connue dans les années 90, ne fait qu’alourdir le bilan des morts.
« Le corbillard public est d’une importance capitale », renseigne Kambale Mukosa, 33 ans, enseignant ayant vu le paludisme faucher son fils âgé d’un an. « Cet engin roulant m’a beaucoup aidé ».
Le comité de gestion de corbillard fait payer 2 500 francs congolais par ménage à titre de cotisation annuelle.
Ce montant couvre les réparations, le carburant et le paiement du conducteur, explique Kavali, président du comité de gestion. À l’origine, l’adhésion était volontaire, et ce n’est qu’en 2018 que les autorités locales ont interdit l’utilisation de motos pour le transport de morts, rendant ainsi obligatoire le recours au corbillard. Les familles n’ayant pas adhéré déboursent jusqu’à 98 450 francs d’amende.
« Le corbillard est disponible », déclare Muhindo Shawite Matthieu, leader communautaire. « Pourquoi utiliser des motos et s’exposer à des accidents en transportant un cadavre ?»
Certaines gens ne veulent pas en entendre parler.
Certains habitants, ne faisant pas confiance au comité de gestion, rechignent encore à adhérer, révèle Paluku Bayilanda Jean-Baptiste, vice-président de la société civile locale, affirmant que 70% des habitants de la cité ont adhéré. Ceux qui se refusent d’adhérer, confie-t-il, estiment que le comité est incompétent et n’a pas bien utilisé les recettes.
« Que les gestionnaires du corbillard public gèrent rationnellement les recettes afin d’acheter un autre véhicule », conseille Bayilanda.
Il évoque des cas où un corbillard occupé ne peut pas transporter d’autres corps.
Kyakimwe Mutangi, secrétaire permanente du comité de gestion, défend quant elle le groupe pour sa gestion des recettes. À l’en croire, les habitants qui ne paient pas leur cotisation annuelle sont à tenir responsables pour l’incapacité du comité à acquérir un autre corbillard.
Malgré cette tension, cet engin offert en don est pour beaucoup un symbole d’égalité.
« Avant son arrivée, lors de la mort, la famille du défunt, une fois ayant les moyens, effectuait beaucoup de dépenses » pour prendre un véhicule en location, déclare Nzanzu Sikwaya, 31 ans, enseignant à l’école secondaire locale.
Aujourd’hui, fait-il savoir, lui aussi y a accès.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.
Cet article a été initialement publié le 23 août 2020 et a été actualisé.