ÎLE D’IDJWI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Au cœur du lac Kivu se niche une île aux collines ou, mieux encore, une oasis brumeuse productrice de certaines des meilleures variétés de café arabica dans le monde.
Aux confins de la RD Congo et du Rwanda voisin, ce climat stable de haute altitude a créé des conditions favorables à la passion pour la culture du café se transmettant, à travers les générations de familles, de père en fils. Aujourd’hui même, il en va de même.
Âgé de 42 ans et père de 7 enfants, Erneste Kakesa marche sur les traces de ses ancêtres. De son père, il a appris à cueillir des cerises de café rouge vif ; et la saison des récoltes était sa période préférée de l’année. Néanmoins, des problèmes en cascades, dont la hausse des températures, l’absence d’investissements publics et les problèmes de sécurité, ont freiné la filière et menacent son avenir. Autrefois deuxième contributeur aux recettes d’exportation du pays, le marché du café a touché un creux et son cœur ne bat presque plus.
« J’ai grandi dans une famille où la culture du café était notre seule source de revenus, et c’était plus que suffisant pour nous », confie Kakesa. « Je pensais pouvoir prendre soin de ma famille en cultivant la plantation de café que j’avais hérité de mon père. Malheureusement, la réalité est bien différente ».
En 2018, les producteurs congolais ont enregistré environ 10% de leur production d’il y a environ trois décennies, selon l’Organisation internationale du café, un groupe intergouvernemental qui se consacre au développement de la filière.
Auparavant, affirme Kakesa, l’un de ses caféiers pouvait avoir un rendement de 10 kilos de cerises, mais ne donne que 7 kilos aujourd’hui. Comme si cela ne suffisait pas, le gros de sa production est de piètre qualité.
Quand on parle de café dans ce pays, il faut souligner que son passé remonte à plus d’un siècle avec l’arrivée des colons belges. Il y a un demi-siècle, ces cerises à l’origine de la boisson épaisse et aromatique était le deuxième produit d’exportation du pays après le cuivre. Au milieu des années 80, la RD Congo était l’un des principaux producteurs mondiaux de café.
Une guerre civile des années 1990 et des violences sporadiques survenues depuis lors ont lourdement pesé sur cette filière. La situation s’est récemment aggravé en raison du coronavirus. À l’heure où une pandémie a mis à l’arrêt différentes activités dans le monde entier et poussé des gouvernements à imposer la limitation des déplacements, les producteurs peinent à vendre leur café. Le transport de personnes par bateau étant interdit au début de cette année, les agriculteurs sont restés confinés sur l’île d’Idjwi.
Les mauvaises conditions météorologiques dues au réchauffement climatique constituent des menaces à long terme pour le marché.
Josiane Muliri, 55 ans, est productrice de café depuis trois décennies. Assise dans la cour de sa maison et portant un foulard coloré enroulé autour de sa tête, son regard tourné vers les champs, elle décrit à quel point la sécheresse et les insectes ont détruit sa plantation de café. Aujourd’hui, la production de Muliri n’est que la moitié de ce qu’elle était par le passé.
Le même sort fait ses griffes sur d’autres producteurs. D’abord, la saison sèche s’est allongée, se désole Chance Rwesi, directeur général de la Société coopérative des producteurs novateurs du café au Kivu (SCPNCK). Et puis, il y a deux ans, une quantité de pluie verglaçante détruisait des fleurs de caféiers en pleine floraison. La production de café sur l’île d’Idjwi a chuté, passant de 14 tonnes à 5 tonnes.
Un récent profil des changements climatiques établi par le gouvernement néerlandais laisse présager une aggravation de la situation : on s’attend à plus de journées chaudes et moins de nuits froides et à des saisons pluvieuses plus courtes.
Il y a longtemps que les producteurs de café se fient aux connaissances transmises par leurs ancêtres pour déterminer l’arrivée des saisons sèches et pluvieuses, explique Clement Bikuba, président de l’association des agriculteurs de Rutshuru, une ville au nord du lac Kivu. Une dizaine d’hommes se regroupent autour de lui, discutant de l’avenir de la filière.
Bikuba détient des secrets de la production de café qu’il a appris de son père. Aujourd’hui, fait-il savoir, la prévention des pertes reste difficile en raison des caprices imprévisibles de la météo.
« Les temps ne sont plus les mêmes », lâche-t-il.
Les producteurs remettent en doute la volonté du gouvernement de leur venir en aide. Selon les documents du gouvernement, la part du budget 2020 consacrée à l’agriculture et à l’élevage est inférieure à 2%.
« L’agriculture n’est pas une priorité », déclare Eric Tollens, professeur d’économie agricole à l’Université catholique de Louvain en Belgique qui étudie les marchés du café congolais.
« Il n’y a pas d’argent pour soutenir les agriculteurs sur le terrain. La recherche agricole est très faible. C’est comme un orifice sans fond ».
À en croire les autorités, elles font tout ce qu’elles peuvent avec le peu de ressources disponibles.
« Notre pays a un long chemin à parcourir pour que chaque filière reçoive un budget suffisant », déclare Jean Baptiste Musabyimana, chargé de communication au Programme d’appui à la filière agricole dans la province du Nord-Kivu, un projet du gouvernement congolais. « Nous faisons de notre mieux au niveau provincial pour aider les agriculteurs ».
Non seulement le gouvernement a mis en place des centres de recherche, mais aussi des pépinières pour la régénération de caféiers, confie Nicodème Mulumba Kasongo, directeur technique du bureau gouvernemental de la production agricole. À cela s’ajoute sa politique visant à mettre les producteurs en contact avec des acheteurs qui paient le juste prix, poursuit-il avant d’ajouter que le gouvernement mène une guerre contre la contrebande de café « Bientôt, nous aurons des semences de bonne qualité qui seront distribuées aux producteurs de café ».
Pis encore, des violences sporadiques par des groupes armés à l’est de la RD Congo – héritage de la guerre civile –, ne permettent pas, eux aussi, à la filière de reprendre des couleurs.
Lambert Katembo, producteur de longue date de café qui vit près de la frontière ougandaise, parcourt 35 kilomètres pour se rendre dans son champ. Selon lui, nombreux sont les producteurs de café qui vivent dans des zones plus sûres, loin de leurs plantations qui sont la proie des voleurs. Les coûts de transport et de déplacements étant rédhibitoires, certains ont déserté leurs plantations.
Par le passé, les producteurs de café se faisaient de gros revenus grâce à leur culture, affirme-t-il. Ils n’avaient aucune difficulté à bien vivre et à envoyer leurs enfants à l’école. Aujourd’hui, ils ne sont plus en mesure de réaliser des profits.
Ceux qui sont voués à la préservation de l’héritage du café de la RD Congo en appellent aux autorités de faire en sorte que le marché du café redevienne une priorité nationale, ce qui permettrait de conjurer les effets du changement climatique et de s’assurer d’un environnement de travail sûr. Davantage d’appui de la part du gouvernement est essentiel pour redonner tout son lustre à cette filière, précise Tollens, professeur.
« Sinon, la filière café en RDC est fondamentalement condamné ».
Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo. Elle est spécialiste des reportages sur la paix et la sécurité.
Merveille Kavira Luneghe, GPJ, and Pascaline Kavuo Mwasi Saambili, GPJ, ont contribué à cet article.
Note à propos de la traduction
Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ. Cliquez ici pour en savoir plus sur notre processus de traduction.